L’industrie de la construction continue d’accuser depuis quelques décennies un ralentissement de productivité contrairement à d’autres industries en croissance exponentielle. Le McKinsey Global Institute (2017) montre que cette situation n’est pas spécifique au Québec et liste quelques causes de ces faibles performances du secteur, communes à plusieurs pays : une réglementation lourde qui participe à la fragmentation de cette industrie, une dépendance large à des marchés publics et des contrats qui comportent des disparités dans la répartition des risques et des avantages. On relève une mauvaise gestion et une mauvaise exécution des réalisations de projets qui résultent des processus inappropriés en phases de conception et de développement. De plus, l’industrie de la construction est polluante et des freins économiques et organisationnels en réduisent la compétitivité ; pourtant, son rôle est crucial dans l’économie d’un pays (WEF, 2016).
Concomitamment, la quatrième révolution industrielle est amorcée à différents degrés dans plusieurs pays industrialisés, depuis l’Allemagne en 2011, et peu d’attention de la part des acteurs de l’industrie de la construction est portée à ce phénomène (Teuteberg et Osterreich, 2016). Qu’il s’agisse de Smart Factory ou Industrie 4.0, selon les noms choisis dans les différents pays, l’industrie manufacturière est bouleversée par l’intégration des technologies du numérique et de la connectivité qui appellent l’émergence de nouveaux processus (Rivest et al., 2017). Ces processus concernent autant les phases de conception, de production et d’exploitation du produit que la collaboration qui leur est propre.
L’industrie de la construction a déjà gagné à s’inspirer des autres industries pour améliorer sa productivité et en adapter les meilleures pratiques (Crotty, 2012) : le Lean Construction, inspiré des méthodes de production Toyota (industrie automobile) pour une optimisation et une amélioration continue, est une équation éprouvée pour la productivité et la chaîne de valeur d’un « produit construction » (Koskela, 2000). À l’ère du numérique, c’est le Building Information Modeling (BIM) fondé, en partie, sur l’utilisation d’outils numériques et de conception paramétrique, inspiré également de logiciels de conception de l’industrie aéronautique et de l’industrie automobile, qui véhicule une philosophie de travail basée sur de nouveaux processus efficaces de collaboration et de gestion de projets dans l’industrie de la construction. Des mesures prises lors de la réalisation de projets de construction en BIM ont montré une économie des coûts de construction suite à une réduction du gaspillage des matériaux et des reprises de travaux pendant la phase chantier (McGraw Hill, 2012). Les plans de transition numérique des pays qui réalisent ce grand pas dans le 21e siècle devraient englober la transition de l’industrie de la construction pour l’émergence, en marge de l’industrie 4.0, d’une industrie de la Construction 4.0 : une industrie compétitive, moins polluante et dont le numérique est un composant intrinsèque.
La machine à vapeur et la production mécanique dans les industries du tissage et de l’extraction du charbon ont constitué les avancées majeures de l’industrie à la fin du 18e siècle ; c’était la première révolution industrielle. À la fin du 19e siècle, la deuxième révolution industrielle apporte de nouvelles énergies (pétrole, le gaz et électricité) et des inventions majeures comme le téléphone et le moteur à explosion. La théorie de la relativité d’Einstein, l’éclatement de la gamme des sons de Shoenberg et la libération de l’espace Euclidien, au début du 20e siècle, annoncent la troisième révolution industrielle : le développement de la physique quantique, de l’électronique et de l’informatique entre autres. La quatrième révolution industrielle marque le début de ce 21è siècle avec le développement du numérique et des interconnexions cyberphysiques, c’est l’Industrie 4.0.
Les principes de l’industrie 4.0
L’Industrie 4.0 ou 4e révolution industrielle a été officiellement déclenchée par le gouvernement allemand en 2011, lors de la foire de Hanovre. L’enjeu de cette nouvelle révolution est the data (la donnée ou les données), toutes ces informations collectées par les principales plateformes du web et les applications et appareils qui y sont connectés. Les données sont le nouveau pétrole en ce 21e siècle (Kohler et Weisz, 2014, PWC, 2016), elles constituent une nouvelle forme de valeur ajoutée. C’est pourquoi le gouvernement allemand s’est engagé pour la maîtrise des interfaces et des accès massifs aux données des personnes afin de les protéger et de protéger leur traitement. Concrètement, la 4e révolution industrielle est l’engagement du gouvernement allemand auprès de l’industrie pour effectuer le virage numérique à grande échelle et à différents niveaux dans tous les secteurs. L’objectif est la réalisation de l’usine numérique ou usine connectée (PWC, 2016). Pour réaliser cet objectif, la place accordée à la R&D est confirmée et amplifiée par la création de l’Union pour la Recherche et la plate-forme « Industrie 4.0 » en 2013 (Kohler et Weisz, 2014) qui réunit l’industrie, les syndicats et des chercheurs autour de l’Industrie 4.0 sous le regard du gouvernement allemand.
Le but de l’Industrie 4.0, bien que guidée par le numérique, n’est pas d’automatiser davantage mais plutôt d’améliorer et d’optimiser l’automatisation en faisant communiquer les systèmes (Roland Berger, 2016, Kohler et Weisz, 2014) dans le but d’augmenter la valeur pour le client. Des rapports d’études publiés depuis 2013 (Kohler & Weisz, 2013, PWC, 2016, McKinsey, 2017, BCG, 2016) on peut dégager trois grands volets de l’Industrie 4.0 et neuf technologies qui transforment la production industrielle .
Les trois grands volets de l’Industrie 4.0 s’articulent autour de : 1) la numérisation et l’intégration des chaines de valeur horizontales et verticales pour un meilleur suivi, une meilleure traçabilité pour une meilleure planification, 2) la numérisation des produits et offres de services pour une génération et une gestion des données qui permettent une personnalisation des services proposés et 3) la numérisation des modèles d’affaires et de l’accès à la clientèle pour asseoir complétement un univers de service customisé . Le but ultime de l’optimisation et de l’amélioration continue en bout de chaîne vise surtout à fournir au client le produit qui répond à sa demande spécifique, ce qui confirme la valeur du produit.
Elles sont toutes intégrées à l’industrie de la construction, de manière disparate, selon les pays et leur niveau d’adoption du numérique dans la construction à travers le BIM. Le recours à l’une ou plusieurs de ces technologies dépend aussi du programme de l’ouvrage à construire et de sa destination.
Une définition de la Construction 4.0
Les trois volets de l’Industrie 4.0 montrent que l’idée maîtresse est de définir un profil ou une personne, définir ses besoins et exploiter toutes les informations collectées afin d’apporter une réponse sur mesure, le tout par le biais de la numérisation. Les constantes du processus sont : l’interopérabilité assurée par l’internet des objets (IoT), la disponibilité de l’information en tout temps (une omniscience du monde cyber-physique par la création de la copie du monde réel), le relai technique et la décentralisation des décisions (PWC, 2016). Le « sujet » pourrait ne pas être une personne mais un système, une industrie. Il s’agit alors de collecter assez de données pour comprendre le fonctionnement, identifier les besoins et apporter une réponse spécifique. Le numérique, la collecte des informations et leur traitement est le premier pont entre l’Industrie 4.0 et l’industrie de la construction.
INTRODUCTION |