L’environnement dans lequel évoluent les entreprises a subi de grandes transformations au cours des quarante dernières années. S’il était une époque où les changements étaient lents et peu importants, où l’on pouvait dire que le passé est garant de l’avenir et prévoir le futur d’une entreprise en examinant les tendances de la dernière décennie, elle est maintenant révolue. Aujourd’hui, être une grande entreprise ou un empire financier n’est même plus gage de succès. Déjà, en 1995, une étude de l’INRS-Urbanisation publiée dans le Journal de Québec du 12 juin 1995 (Carrier, 1997) rapportait que 40% des entreprises figurant au classement du Fortune 500 de 1985 n’y étaient plus. Les données récentes ne sont guère plus reluisantes, la longévité moyenne de l’inscription au registre du Fortune 500 est passée de 33 ans dans les années 1960, à 20 ans dans les années 1990 et est estimée à 14 ans pour l’année 2026. C’est donc dire qu’à ce rythme, la moitié des entreprises inscrites au registre du Fortune 500 seront remplacées d’ici 10 ans .
Plusieurs facteurs expliquent les changements rapides de cet environnement notamment la concurrence mondiale, l’accès rapide et facile à l’information, et particulièrement le comportement de plus en plus exigeant des consommateurs et acheteurs industriels. Le consommateur moderne est un être renseigné et informé exigeant aujourd’hui des produits à son image, c’est-à-dire des produits de qualité et répondant à ses besoins. Les bouleversements dans l’environnement économique ont ainsi rendu une certaine forme de pouvoir aux consommateurs sur les entreprises, forçant ces dernières à une recherche constante de la satisfaction du client. Ben Rejeb (2008) affirme même que « le client n’est plus seulement roi, il est devenu celui qui détient l’avenir des entreprises ». Pour survivre dans ce contexte, plusieurs auteurs et praticiens ont incité les entreprises à non seulement à s’adapter aux changements, mais à innover pour satisfaire ces consommateurs et acheteurs industriels exigeants. À cet égard, déjà dans les années 1980, Amabile affirmait que les entreprises ne pouvaient ignorer l’innovation : « En affaires dans les années 1980, il est impossible de se sauver de l’innovation. Ceci est vrai tant au sens littéral que figuré. Littéralement, il est impossible de lire les journaux ou revues d’affaires, d’assister à des conférences d’affaires ou lire des rapports annuels sans constamment entendre parler d’innovation. Au sens figuré, il est impossible de nier la réalité selon laquelle les entreprises doivent innover pour survivre. » (traduction libre de Amabile, 1988, p. 124) .
Bien près de quarante années se sont écoulées depuis cette citation de Teresa Amabile, mais il est toujours d’actualité que l’avenir des entreprises passe par l’innovation, puisque « l’entreprise qui n’innove pas ne fait pas que vieillir, elle décline» (Drucker, 1985, cité dans Carrier et Gélinas, 2011).
CRÉATIVITÉ
La créativité est un concept qui a été largement étudié depuis la fin du 19e siècle, et ce dans divers champs d’expertise. Selon Fustier (1976, dans De Courcy, 1992), Galton fut un des premiers chercheurs à s’intéresser aux opérations mentales des hommes de génie en 1865. Le terme anglais creativity, fait son apparition aux États-Unis vers les années 1940 dans le langage propre aux publicitaires tel Osborn et aux psychologues tel Guilford. La sémantique du terme provient du croisement des termes create (créer) et ivity (nouveauté) en référence à la recherche de nouvelles solutions à des problèmes, les chercheurs préférant ne pas utiliser le terme creation trop relié à une connotation artistique. En France, c’est la traduction de l’œuvre d’Abraham Maslow, Motivation and Personality (1954), Devenir le meilleur de soi même qui a favorisé l’apparition du terme et c’est depuis la parution de cet ouvrage que les sociopsychologues, psychanalystes et psychiatres ont aussi entrepris des recherches sur la créativité. Au début des années 1960, à la suite de la parution de L’Imagination constructive d’Alex Osborn, qui élargi le champ d’application de l’imagination à l’idée et à l’objet, les économistes commencent à appliquer les méthodes des psychologues à leur champ d’expertise. Aujourd’hui, la créativité est un thème abordé tant dans les domaines des sciences et de l’économie que dans les domaines de l’art et de la sociologie, dont la définition varie selon le champ d’étude de l’auteur tel que présenté subséquemment.
CONCEPTS ET DÉFINITIONS
Plus d’un siècle d’étude de la créativité n’a pas permis d’en obtenir une définition consensuelle. Il existe presqu’autant de définitions de la créativité que de chercheurs qui l’on étudiée. Certaines des définitions de la créativité apparues le plus tôt dans les recherches sur le sujet sont basées sur le processus qui caractérise la créativité. Selon ces définitions, le concept de créativité concerne l’activité qui permet de produire un résultat nouveau. Cependant, l’emphase des recherches sur la créativité avant les années 1980 ayant été portée sur l’individu, plusieurs définitions du concept concernent les caractéristiques individuelles qui favorisent la créativité. Ainsi Guilford, dans les années 1950, défini la personnalité créative par l’ensemble des traits qui caractérisent l’individu créatif. Selon (Amabile, 1983b) toutefois, les définitions les plus explicites du concept de créativité sont celles qui le définissent selon la notion de produit ou résultat, la créativité étant ici définie par le fruit du processus. L’auteure affirme, quant à la définition du concept de créativité, que, bien que les études portant sur les caractéristiques individuelles définissant la créativité aient été les plus nombreuses, les définitions les plus formelles du concept sont rarement basées sur l’individu. La définition selon le produit ou le résultat est la définition la plus utilisée, même pour les recherches concernant les caractéristiques individuelles ou le processus. Le tableau suivant présente une liste des définitions de quelquesuns des auteurs principaux, présentée selon que la créativité soit définie par l’individu, le processus ou le produit. .
Outre ces définitions du concept de créativité et des éléments communs à ces définitions, il importe pour certains auteurs de distinguer le concept de créativité des autres concepts qui lui sont associés tels l’imagination, la logique, l’intelligence et l’innovation. Tel que mentionné précédemment, Aznar (1971) préfère le terme créativité à imagination, malgré que le mot créativité ne soit pas présent dans les dictionnaires français au moment de la rédaction de son livre. L’imagination faisant référence à l’image de par sa racine linguistique et pour Aznar « il peut y avoir créativité corporelle, créativité musicale, sans qu’une structure imageante les conditionne. » (Aznar, 1971, p. 17). Pour Bessis et Jaoui (1972) le concept d’intelligence doit être différencié du concept de créativité. Ils définissent les deux concepts en se référant aux écrits de Guilford (1967, dans Bessis et Jaoui, 1972) qui associe l’intelligence à la pensée convergente, permettant la résolution de problème limité nécessitant une solution immédiate et unique, et la créativité à la pensée divergente qui permet la résolution de problèmes complexes solutionnés par essais et erreurs et dont les solutions peuvent être multiples. De même, pour les auteurs, le concept de créativité doit aussi être différencié du concept d’innovation qu’ils définissent comme le résultat de la créativité, soit la traduction en objet d’une idée fonctionnelle. Amabile (1988) dissocie également le concept d’innovation du concept de créativité, qu’elle associe aussi au produit de la créativité, l’innovation organisationnelle étant définie comme « the successful implementation of creative ideas within an organization » (Amabile, 1988, p. 126).
Les concepts, d’imagination, d’intelligence et d’innovation, bien que devant être différenciés du concept de créativité y sont intimement reliés. Pour Osborn (1959), penser intelligemment signifie penser de façon créative. Pour Aznar (1971), le concept de logique doit aussi être lié à la créativité, le premier, associé aux méthodes rationnelles, basé sur le principe d’établir des rapports d’ordre proche et la seconde étant la faculté d’établir des rapports d’ordre lointain. Ces deux concepts, logique et créativité sont à la fois contradictoires et complémentaires, contradictoires dans leur essence, la logique ne permettant pas de faille dans sa rigueur et la pensée créative ne permettant pas cette rigueur, mais complémentaires dans le sens où utilisées en alternance les phases de pensée logique et pensée créative permettent d’exploiter la créativité.
CHAPITRE 1 MISE EN CONTEXTE |