Madagascar est surtout un pays à vocation agricole avec un large territoire et des ressources naturelles suffisantes pour développer des activités économiques axées sur l’agriculture. Pratiquée soit en tant qu’activité économique principale, soit en tant qu’activité économique secondaire, l’agriculture implique pus de 80% de la population active .
Malgré le fait que le secteur agricole revêt une grande importance économique et sociale à Madagascar, qu’il constitue de loin le principal pourvoyeur d’emplois et que ce sont les femmes qui constituent la principale main d’œuvre agricole , le monde rural se retrouve dans l’abysse depuis des années. Les régimes qui se sont succédé au pouvoir n’ont pas su assurer la continuité de l’Etat dans la mise en œuvre des politiques agraires et des politiques nationales en matière de promotion de la femme. Leurs politiques publiques et leurs programmes ne sont pas assez réglementés, en particulier sur des questions directement liées à l’accès au foncier, à l’utilisation des ressources telles que les terres agricoles, et encore moins à la sécurisation de la propriété foncière, en faveur des communautés de petits exploitants agricoles familiaux. Toutefois, l’actuelle Politique Générale de l’Etat (PGE) souligne qu’il est indispensable de recourir à la sécurisation rationnelle du sol malgache pour assurer un développement soutenu.
Par ailleurs, des études ont démontré une féminisation progressive de la pauvreté. Le Bureau International du Travail (BIT) affirme qu’au cours de la décennie 1970 – 1980, le nombre de femmes qui vivaient en-dessous du seuil de la pauvreté a augmenté davantage par rapport à celui des hommes. En 1988, il était estimé que 60% des pauvres à travers le monde étaient des femmes . Selon le rapport mondial du Programme des Nations – Unies pour le Développement (PNUD) sur le développement humain, sur 1,3 milliards de personnes vivant dans des conditions de pauvreté absolue , plus de 70% sont des femmes. Le phénomène est en grande partie expliqué par la marginalisation des femmes dans leur accès à des facteurs de production dont principalement la terre .
Théories sur la politique foncière à Madagascar, sur les rapports entre la gestion foncière et la gestion des risques de catastrophes
La connaissance approfondie d’une société suppose celle de son droit, au moins dans ses principes généraux. La coexistence de règles traditionnelles de régulation foncière, notamment le droit coutumier et le droit moderne marque non seulement un pluralisme juridique du droit foncier malgache mais témoigne par la même occasion la complexité de la chose. Le droit d’accès à la propriété foncière se trouve, à maintes reprises, au cœur de multiples modifications ou de réformes, tantôt juridiques, tantôt structurelles. Dans ce contexte, il est important de comprendre comment il a évolué à travers le temps pour bien le cerner.
Ensuite, il s’avère important d’analyser le processus de sécurisation foncière. Une telle démarche permet d’identifier et de développer les points saillants de la réforme foncière initiée par le Gouvernement en 2005, consolidée en 2015. En dernier lieu, une transposition des concepts – clés de Gestion des Risques de Catastrophes permet d’appréhender l’insécurité foncière dans un autre registre.
Théorie sur le droit foncier malgache suivant une approche historique
La période précoloniale : les droits coutumiers d’antan en matière foncière
Madagascar était organisé en petits royaumes depuis l’installation des premiers peuplements. Vers le Vème siècle, le pays était encore organisé sous forme de clan ou de « foko ». Tous les membres de la communauté sont issus d’un même ancêtre, d’où la notion de « Tanindrazana » . Le tombeau de l’ancêtre fondateur du clan délimitait le territoire de la communauté. Vers le XVIIIème siècle, une première forme de gestion foncière structurée débutait à Madagascar sous le règne d’Andrianampoinimerina (1787–1810). A travers ses « Kabary » , le Roi décrétait que les terres lui appartenaient : « ahy ny tany » disait- il d’où la notion de « tanim– panjakana » . Le régime foncier était construit autour d’un principe fondamental : le droit éminent du Roi sur les terres du royaume. En d’autres termes, la terre était déclarée propriété du souverain et les populations disposaient du droit d’usage. Les principes du droit du premier venu, du « solom – pangady » et du « maintimolaly » étaient ainsi au centre de la reconnaissance sociale et juridique. Ainsi, les droits nés de l’occupation et de l’aménagement du territoire sont reconnus par la communauté et entérinés par les souverains en contrepartie d’un système d’imposition censitaire prélevée sur la production, le « hetra santa-bary » . L’accomplissement de la corvée royale ou le « fanompoana » était exigé en contrepartie de l’appropriation collective ou individuelle des terres.
La période coloniale (1896 – 1960)
Dès la déclaration de l’annexion de Madagascar par la France, l’une des priorités des autorités coloniales françaises était de bâtir un système domanial et foncier propice à l’installation des entreprises coloniales agro-industrielles. L’administration coloniale s’est inspirée du « système Torrens » Afin d’optimiser et de légaliser l’accaparement des terres à Madagascar. Ce système repose sur la notion fondamentale de la domanialité des terres et sur la reconnaissance par l’Etat des droits de propriété privée sur les terrains immatriculés. La loi du 09 mars 1896 – 176 sur la conservation foncière et le régime de l’immatriculation et du décret du 11 février 1911 ont été adopté dans ce sens. A travers l’inscription du titre de propriété dans le livre foncier, l’Etat reconnaît un droit incontestable, opposable au tiers. Cette nouvelle disposition a changé radicalement le système foncier malagasy. Les droits de propriété individuelle cèdent le pas aux droits collectifs d’antan. La reconnaissance sociale des droits est remplacée par la reconnaissance de l’autorité étatique à travers les services fonciers. Le titre foncier constitue désormais la seule preuve légale de propriété .
Ce système mis en place obéissait juste aux impératifs de l’époque : sécuriser durablement les projets immobiliers de la colonie en purgeant les droits indigènes et asseoir l’appropriation française sur une base juridique reconnue internationalement. De ce fait, les colons ont pu immatriculer de vastes espaces appelés « Périmètres de Colonisation (PC) » . Ceux – ci concernent soit des terres les plus fertiles (zones agricoles), soit des terres les plus avantageuses (zones minières, forestières et littorales les plus porteuses). Les Malgaches étaient généralement repoussés dans des « réserves indigènes » à titre de mains d’œuvre des concessionnaires avoisinants. L’enjeu n’était donc pas de sécuriser le plus grand nombre, mais d’octroyer des droits à une élite en perspective d’une agriculture ”moderne”. La colonie pouvait se contenter de services fonciers aux effectifs limités, auxquels il était essentiellement demandé l’immatriculation d’un petit nombre de terrains de grande superficie.
Depuis l’indépendance jusqu’en 2005
A la déclaration de l’indépendance, les systèmes fonciers malgaches s’inscrivent dans l’héritage et le prolongement des systèmes institués par l’administration coloniale : maintien du système Torrens, adaptation des opérations cadastrales pour l’immatriculation collective, transfert des périmètres de colonisation à l’Etat Malagasy. La dénomination a changé en Périmètres de Culture (PC). Les concessions coloniales n’ont jamais été prescrites ou éteintes jusqu’à ce jour malgré le départ massif des colons dans les années 1960 – 1970.
Par ailleurs, à travers l’ordonnance n° 60-146 du 3 octobre 1960 relative au régime foncier de l’immatriculation , le Gouvernement malagasy assoit le cadastre indigène sur la même valeur juridique que le titre foncier. Dans la même foulée, le recours à l’intervention du Tribunal de Première instance pour transformer un cadastre en titre foncier a été annulé. Désormais, une simple réquisition suffit. Cette nouvelle disposition juridique a favorisé l’avènement d’autres statuts fonciers, surtout dans les années 1960 – 1970. Il s’agit notamment de(s) :
– Aires de Mise en Valeur Rurales (AMVR) . Ce programme est créé dans le cadre de la politique agraire post – coloniale et ne concerne que des terrains à vocation agricole. Le principe était d’attribuer des lots de terrains agricoles pour tout ménage malgache qui voudrait bien les mettre en valeur au bout de cinq ans et à condition que les clauses du cahier de charges soient respectées. Les grandes AMVR sont localisées dans l’Alaotra, l’Itasy et à Manakara. Pour ce dernier, le statut a été levé en 2010 mais sans conséquences notables sur la sécurisation foncière dans la zone, faute de stratégies concertées entre les acteurs locaux. La politique agraire de redistribution ayant été abandonnée plus tard, sans que le décret de création des AMVR ne soit abrogé, ce statut a survécu jusqu’à nos jours sans que les exploitants, héritiers ou acquéreurs n’aient pu obtenir un titre foncier.
– Les « nouveaux cadastres » à travers des opérations cadastrales ou immatriculation collective. Faute de moyens mis à la disposition par l’Etat pour mener à bien ces opérations, la majorité des cas est restée à l’étape initiale du levé ou intermédiaire du jugement. Aucune opération cadastrale n’a abouti intégralement jusqu’à la phase administrative (création de titre foncier). Cette situation est à l’origine de la dénomination générale « cadastres inachevés ».
L’arrêté d’ouverture d’une opération cadastrale empêche toute autre forme de sécurisation dans la zone délimitée tant que l’opération n’est pas clôturée ou finalisée. Les occupants des parcelles restées en phase intermédiaire sont en situation d’insécurité jusqu’à ce que l’Etat décide de financer la finalisation des opérations.
– Les « Zones d’Aménagement Foncier » (ZAF) dans le cadre de la politique de nationalisation des entreprises. Il s’agit de l’acquisition par l’Etat des patrimoines détenus par les anciennes entreprises coloniales (terrains agricoles, usines, immeubles) en attribuant leur gérance à des anciennes sociétés d’Etat comme les sociétés ROSO, COROI. A Mananjary, la régularisation de la gestion des ZAF pose actuellement un grand problème. Diverses entités (étatiques, communales, privées) ou la population locale elles – même revendiquent des droits sur ces patrimoines. Si bien que la politique de privatisation engagée dans les années 90 a annoncé la fin des ZAF, celles – ci demeurent toujours titrées au nom de l’Etat. Aucune possibilité de transférer la propriété au sens juridique du terme aux occupants l’ayant mis en valeur depuis plusieurs années.
Introduction |