Les diodes lasers à base de nitrure de gallium
Les premiers travaux que nous pouvons citer datent de 1991 [Jeon 91], lorsque la première diode laser émettant dans le bleu-vert a été démontrée. Celle-ci était réalisée à base de matériaux issus des colonnes II et VI de la classification périodique, à savoir le couple Zinc-Sélénium (ZnSe). Sur cette même base, un an plus tard est démontrée la première diode laser émettant à 447 nm [Okuyama 92]. Le seul problème de cette structure est la température très basse de fonctionnement, de l’ordre de 77 K. C’est en 1996 que la percée se fait avec la réalisation de la première diode laser à base de nitrure de gallium GaN, émettant à 417 nm [Nakamura 96]. Cette même année, à l’aide de cette combinaison de matériaux III-V l’équipe de Nakamura démontre des seuils de plus en plus bas, pour des longueurs d’onde de l’ordre de 410 nm. La figure 1.1 présente le schéma de principe d’une telle diode laser. FIGURE 1.1 – Schéma de principe d’une diode laser à base de GaN [Nakamura 00] La zone active est composée de puits quantiques à base d’InGaN. La longueur d’onde d’émission de la diode est donnée par la stœchiométrie d’indium par rapport au gallium. Ainsi plus la quantité d’indium est importante, plus la longueur d’onde d’émission est élevée. Sachant que la difficulté de réalisation d’une telle diode laser réside dans la grande pureté cristalline nécessaire à son bon fonctionnement, il est important de limiter le nombre de défauts de croissance. Ces deux considérations expliquent alors pourquoi les premières diodes laser à base de nitrure de gallium émettaient dans les basses longueurs d’onde (410 nm).
En effet le désaccord de maille est moins important lorsque la proportion d’indium est faible par rapport à celle de gallium et ainsi la croissance cristalline plus aisée. Néanmoins, avec l’amélioration des techniques d’épitaxie servant à la réalisation de la croissance cristalline, les diodes lasers à 445 nm (à base de GaN) sont commercialisées pour la première fois en 1999. Il est ainsi possible de se procurer des diodes laser délivrant une puissance de 50 mW, monomode transverse, avec un spectre d’une largeur de l’ordre de 2 nm [Nichia ]. Malgré l’aspect monomode, il est à noter que le faisceau laser est elliptique et qu’il est nécessaire de le remettre en forme pour le circulariser (Fig. 1.2.a). Si l’on désire une puissance de sortie plus importante, des échantillons de test sont désormais disponibles, délivrant une puissance de 500 mW; le faisceau n’est alors plus limité par la diffraction (Fig. 1.2.b) et le spectre est légèrement élargi. Bien que les diodes laser soient des composants souvent peu chers, il s’avère que les diodes à base de nitrure de gallium sont onéreuses du fait de la difficulté de croissance cristaline et des faibles volumes de vente (excepté pour le marché des lecteurs Blue Ray). Cette technologie est robuste et fonctionne sur des plages de températures importantes, malgré tout, elle ne peut remplacer les lasers à HeCd en toutes circonstances. En effet, une application nécessitant une forte puissance (>50 mW) et une bonne qualité spatiale de faisceau ne peut être réalisée actuellement à l’aide d’une diode laser à base de nitrure de gallium. Il en est de même pour une application nécessitant une grande longueur de cohérence (holographie), et donc une grande pureté spectrale.
Lasers à base de colquiriite dopé aux ions chrome, le Cr :LiSAF
En 1989, un nouveau cristal développé là encore au LLNL fait son apparition, le Cr :LiSAF de formule chimique Cr3+ :LiSrAlF6 [Payne 89a]. Ce cristal possède des propriétés spectroscopiques telles, qu’il se porte tout de suite en concurrent direct du Ti :Sa. En effet, au vu de la spectroscopie présentée en figure 1.6, on constate que celui-ci possède une bande d’émission équivalente à celle d’un cristal de Ti :Sa. De plus, son principal atout réside en sa bande d’absorption autour de 670 nm, rendant alors possible le pompage par diode. De nombreux travaux ont été réalisés à l’aide de ce matériau afin d’atteindre le domaine visible après conversion non linéaire. Ainsi en 1995, une puissance de 12 mW à 440 nm est démontrée [Falcoz 95], pour une puissance incidente de 680 mW à 670 nm. En 2000, c’est une puissance de 67 mW à 430 nm qui est publiée [Makio 00], pour une puissance de pompe incidente d’environ 900 mW. Cependant le cristal de Cr :LiSAF laisse apparaître trois principaux problèmes. Premièrement, il possède une conductivité thermique quatre fois inférieure à celle du Nd :YAG, à savoir de l’ordre de 3.3 W.m-1.K-1. Ainsi la montée en puissance des sources à base de Cr :LiSAF ne peut se faire aussi aisément que par la simple augmentation de la puissance de pompe [Makio 01]. Deuxièmement, il est le siège d’effets non radiatifs importants [Balembois 97] diminuant l’efficacité laser. Finalement, le dernier problème est relatif à la source de pompe elle-même. Les diodes lasers autour de 670 nm ont des performances qui à l’heure actuelle restent limitées et loin des puissances obtenues dans le proche infrarouge. La société Sony propose des diodes lasers (mono-émetteur) délivrant une puissance maximale de 500 mW à 670 nm [Sony ]. Il est possible de trouver des systèmes fibrés démontrant une puissance de 5 W à 690 nm [Brightpower ] pour un diamètre de coeur de 100 μm (Ouverture Numérique de 0.22). Cette puissance est à l’heure actuelle la plus grande disponible commercialement. Ainsi, les problèmes spectroscopiques, thermomécaniques et le manque de sources de pompe de puissance freinent l’augmentation des performances des systèmes à bases de cristaux de colquiriites dopés aux ions chrome.
Lasers à base de cristaux dopés aux ions néodyme Un an après la démonstration par Maiman du premier laser à base de rubis dopé aux ions chromes, un autre ion apparaît comme ayant des propriétés spectroscopiques intéressantes : l’ion néodyme Nd3+. La première oscillation laser utilisant cet ion fut obtenue dans un cristal de Nd :CaWO4 pompé optiquement et ré-émettant une puissance de 10 mW à 1058 nm pour une puissance de pompe de 1.5 kW délivrée par une lampe à mercure [Johnson 61]. Le principal avantage de l’ion néodyme tient en sa spectroscopie ”sympathique” qui admet des transitions laser à quatre niveaux autour de 1060 nm comme présenté dans la figure 1.7. Suite à cette première démonstration, de nombreux travaux sont effectués autour des potentielles matrices d’accueil de l’ion néodyme. En 1964, alors qu’il est inséré dans une matrice de grenat d’yttrium et d’aluminium, Y3Al5O12 (ou encore noté YAG), l’ion néodyme dévoile tout son potentiel. Une puissance de 1.5 W à 1064 nm est démontrée, pour une puissance de pompe de 360 W [Geusic 64], écrasant alors toute concurrence. Bien que très efficace et désormais largement exploitée, la transition à quatre niveaux dans le néodyme se trouve être trop décalée pour donner une émission laser autour de 440 nm. En effet, après doublement de fréquence, une longueur d’onde de 532 nm est obtenue pour des systèmes à base de Nd :YAG. En 1969 Wallace met en évidence la possibilité d’oscillation laser à 946 nm dans le Nd :YAG, sur la transition 4F3/2-4I9/2. Après doublement de fréquence à l’aide d’un cristal non linéaire de KDP (KH2PO4) le premier laser bleu (473 nm) à base d’ion néodyme est démontré [Wallace 69]. En 1987 Fan et Byer démontrent expérimentalement l’oscillation laser à 946 nm en pompage par diode à 808 nm, à température ambiante [Fan 87a]. Cette expérience ouvre la porte à des architectures laser compactes et efficaces émettant dans le bleu.
En 1999 c’est au tour des cristaux de vanadate d’yttrium ou de gadolinium (Nd :YVO4, Nd :GdVO4) de produire des oscillations laser à 457 et 456 nm après doublement de fréquence de leur transition à quasi-trois niveaux respectives. Malheureusement, malgré des puissances dans le domaine visible exceptionnelles (2.8 W à 473 nm [Czeranowsky 03], 4.6Wà 457 nm [Xue 06] et 5.3Wà 456 nm [Jia 06]), les longueurs d’onde d’émission sont là encore trop décalées pour pouvoir se substituer aux lasers à HeCd utilisées à 442 nm Revenons quelques années en arrières, en 1972, et considérons les travaux de Birnbaum, qui étudia dans une configuration de pompage par lampe flash la transition 4F3/2-4I9/2 du Nd :YAG. Dans un très court article, il mentionne l’observation de fluorescence à 939, 900 et 891 nm [Birnbaum 72]. Ces raies se trouvent être des à raies quasi-trois niveaux dont le niveau bas est situé en dessous du niveau servant à la transition à 946 nm. Intéressons nous maintenant à ces raies à quasi-trois niveaux que nous noterons de ”profondes” car plus proches du niveau fondamental. Nous considérerons pour la suite uniquement les cristaux de Nd :GdVO4, Nd :YVO4 et Nd :YAG, car leur croissance est désormais bien maitrisée et leur approvisionnement aisé : ces cristaux sont en effet fabriqués par de nombreuses compagnies. Les figures 1.8.a, 1.8.b et 1.8.c représentent les longueurs d’ondes respectives accessibles par ces trois cristaux, sur la transition 4F3/2-4I9/2. Nous constatons que pour chacun de ces trois cristaux il est possible de trouver une transition à quasi-trois niveaux ou purement à trois niveaux qui après doublement de fréquence permettrait de générer du bleu autour de 442 nm dans une plage de 3 nm. Peu avant le début de ces travaux de thèse, dans le cadre de mon stage de master deuxième année et de la thèse d’Emilie Herault, l’oscillation laser dans le Nd :YAG des raies allant de 899 nm à 884 nm avait été établie expérimentalement [Castaing 07, Herault 07] ; néanmoins la génération de seconde harmonique n’avait pu être réalisée qu’à partir de l’onde à 900 nm, du fait de la très faible efficacité des raies plus profondes. Dans le même temps, la possibilité d’une émission laser à trois niveaux dans les cristaux de vanadate d’yttrium ou de gadolinium était démontrée en pompage par diode [Herault 06]. Mais là encore, du fait de la faible efficacité de l’architecture laser, l’expèrience de doublement de fréquence n’avait pu être effectuée qu’en régime impulsionnel.
Choix du cristal laser et de la longueur d’onde d’oscillation Nous pouvons donc d’ores et déjà éliminer les transitions à 878 nm (Nd :YAG) et à 880 nm (Nd :YVO4) de par leurs intensités de pompe de transparence élevées. Les autres transitions quant à elles ne présentent pas des écarts suffisants pour que nous puissions statuer en regard de ce seul critère. Elimination du Nd :YAG : Outre le fait que les transitions relatives au Nd :YAG possèdent des intensités de transparence supérieures aux autres matériaux envisagés, il s’avère que ce cristal présente deux autres problèmes. Tout d’abord, l’émission dans ce cristal n’est pas polarisée. En soit, ceci n’est pas un réel problème, néanmoins, le but final de nos travaux étant la génération de seconde harmonique, cet élément prend tout son sens. En effet, les cristaux non linéaires couramment utilisés pour effectuer la conversion de fréquence à cette longueur d’onde possèdent généralement un accord de phase de type I. Avec ce type d’accord de phase, il est nécessaire d’avoir une émission polarisée à la longueur d’onde fondamentale pour maximiser le rendement de conversion. Bien qu’il soit possible de polariser l’émission d’un laser en insérant une lame à angle de Brewster dans la cavité, il est tout de même plus interessant d’utiliser une transition intrinsèquement polarisée. En effet, l’insertion d’une telle lame dans la cavité augmente le niveau des pertes passives.
Nous verrons dans la partie suivante que les transitions à quasi-trois niveaux ”profondes” ou à trois niveaux sont très sensibles à ce paramètre, et qu’il est important de limiter celles-ci au maximum pour conserver un niveau de puissance intracavité élevé. Le deuxième problème lié à l’utilisation du Nd :YAG est issu d’une observation expérimentale. Lors du pompage par diode de celui-ci, nous avons observé une dégradation du faisceau laser engendrant un comportement multimode spatialement. Pour la même puissance absorbée dans des cristaux de vanadate, une telle dégradation n’a pas été observée, ou à une échelle moindre. Ce fait a récemment été exposé dans les travaux de [Krennrich 08]. Celui-ci propose une comparaison des performances lasers des cristaux de vanadate et de YAG dopés aux ions néodymes pompés par diode longitudinalement. Il s’avére que dans les mêmes conditions expérimentales, la puissance de pompe maximale absorbée dans le Nd :YAG avant que les effets thermiques ne déteriorent la qualité spatiale de faisceau est moitié moindre que ce que peuvent absorber les cristaux de vanadate. Une explication de ce phénomène serait liée à l’importante dépendance de l’indice de réfraction du Nd :YAG avec la température, caractérisée par le coefficient dn dT .
lentille thermique (les deux autres étant le bombement des faces et la déformation de l’ellipsoïde des indices par les contraintes mécaniques), et qu’il devrait normalement être compensé par la meilleur capacité thermique de la matrice de YAG (cf tab. 2.6), il semble malgré tout prépondérant quant à la dégradation des performances observées. Elimination du Nd :YVO4 : Contrairement à d’autres longueurs d’onde telles que la transition à quatre niveaux émettant à 1064 nm, les transitions à 888 et 886 nm dans ce cristal ne sont pas polarisées [McDonagh 06]. De plus, le cristal de Nd :YVO4, comparativement au Nd :GdVO4 rencontre un problème lié à l’émission spontanée amplifiée (ESA) autour de 1064 nm. Ce phénomène présenté dans les travaux de [Herault 07], lié à la plus grande section efficace d’émission dans le Nd :YVO4 (sNd:YVO4 e (1064nm) = 11.4 ・ 10−19 cm2, sNd:GdVO4 e (1063nm) = 7.6 ・ 10−19 cm2), est d’autant plus dommageable pour les transitions laser nécessitant une forte inversion de population [Barnes 99], ce qui se trouve être le cas des transitions à quasi-trois niveaux et à trois niveaux. En effet, l’émission spontanée amplifiée à 1064 nm crée une désexcitation des atomes se trouvant dans le niveau haut vers le niveau fondamental, provoquant une réduction de l’inversion de population, tout en augmentant les pertes par réabsorption. Il est donc très probable que ce phénomène engendre une hausse du seuil d’oscillation des transitions à quasi-trois niveaux, voire une oscillation parasite à 1064 nm (fait rapporté dans [Herault 07]). Ainsi, bien que présentant des intensités de pompe de transparence faibles, ces transitions ne semblent pas exploitables pour la réalisation d’un laser efficace autour de 442 nm. Enfin, et bien que l’argument soit encore aujourd’hui soumis à controverse dans la communauté scientifique, le Nd :YVO4 possèderait une conductivité thermique inférieure à celle du Nd :GdVO4 (cf tab.2.6). Ainsi, sa capacité à éliminer la chaleur serait moins bonne, résultant en une baisse des performances lasers (puissance extraite moins importante, qualité spatiale de faisceau dégradée). Choix de la longueur d’onde d’émission dans le Nd :GdVO4 : Les deux seules possibilités s’offrant à nous sont l’émission à 879 nm ou à 887 nm. Cette dernière transition présente une section efficace d’émission relativement faible en comparaison avec celle de la transition trois niveaux (cf tab.2.4). De plus, bien que les spectres d’émission présentés dans [Czeranowsky 02] ne soient pas suffisament précis pour évaluer l’état de polarisation de la transition à 887 nm, nous pouvons faire un parallèle avec la transition correspondante à 888 nm dans le Nd :YVO4 et supposer que celle-ci n’est pas polarisée. Malgré une intensité de transparence plus élevée à 879 nm (10.4 kW/cm²) nous avons finalement décidé d’orienter nos travaux vers cette solution, sachant que les diodes de pompe actuelles permettent d’atteindre sans difficulté ces valeurs d’intensité.
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