Projection et construction identitaire du lecteur-auteur
Les images transférées sur Internet rendent visibles certaines réappropriations culturelles, certaines pratiques de manipulation et de maîtrise, notamment par les adolescents. A un âge où l’individu se construit par identification, ce sont notamment les contenus des images reprises, et donc les thèmes valorisés, qui nous renseignent sur les rapports à l’image reprise et transformée. L’image du corps joue ici un rôle essentiel dans la projection du lecteur, tout comme la dimension communautaire de la monstration des images, qui participe de constructions identitaires électroniques. Nous avons vu que le rapport graphique à l’image plaçait les internautes- créateurs dans un statut d’expert se caractérisant, sur Internet, par un rapport à l’écrit encore très marqué. Nous verrons dans ce dernier chapitre quels sont les effets sociocognitifs et psychoaffectifs révélés par les circulations et reprises d’images dans les médias. Les reprises révèlent en effet certaines focalisations dans lesquelles s’expriment les motivations des adolescents et leur rapport aux images. Mais nous verrons également que les circulations d’images sont au centre d’une nouvelle donne médiatique, où la redondance visuelle revêt des enjeux économiques et sociaux qui dépassent notre étude de cas et dont la compréhension s’avère cruciale pour comprendre la société actuelle et ses dynamiques communicationnelles.
Jean Baudrillard [BAU 70] écrit, dans La société de con som m ation, la phrase suivante : « Dans la panoplie de la consommation, il est un objet plus beau, plus précieux, plus éclatant que tout – plus lourd de connotations encore que l’automobile qui pourtant les résume tous : LE CORPS ». L’approche sémiotique nous amène à examiner un univers visuel en profonde mutation, alliant de plus en plus la maîtrise de l’image du corps en tant qu’entité visuelle à la maîtrise « technique » de l’image du corps en tant que véritable produit de consommation. Nous avons vu dans le chapitre liminaire, que selon Jacques Fontanille [FON 05], le corps participe de la modalité sémiotique. L’approche sémiotique nous invite donc à analyser le corps comme indice d’une émotion qui renvoie à l’identification et à la fidélisation du téléspectateur dans la mesure où ce dernier est sensible à un certain « pathos » véhiculé par l’émission. Nous nous interrogerons dans les pages qui suivent sur ce que la dimension pluri-médiatique du corps « vu à la télévision » nous apprend sur le rôle des médias dans la monstration des corps et sur le rapport social au corps. Nous verrons également quels peuvent être les usages de ces images du corps à travers le thème de l’identification et de la projection sociale, qui s’exprime notamment au sein de structures communautaires largement visibles sur Internet.
Les processus circulatoires en œuvre dans les médias font que ces images télévisuelles du corps ne demeurent pas la propriété de l’émission, mais se trouvent transférées, non seulement dans les produits dérivés mais également dans des médias comme Internet et la presse magazine. Lors de son transfert dans un autre média – et donc dans un autre support – nous avons pu voir que l’image est réutilisée dans un contexte différent de son contexte initial : le nouveau support l’« exhibe » alors d’une manière qui est à relier au pacte éditorial du média. Dans le cas bien particulier de l’émission Star Academ y , axée sur l’ambition artistique de candidats se formant au chant, à la danse, au théâtre ainsi qu’à l’ « expression corporelle », le corps contient en lui seul le pacte éditorial proposé par le programme. Les images du corps choisies par un magazine ou par un site Internet sont révélatrices de l’idéologie véhiculée par le média, de son « image de marque ». Star Academ y est une émission de télé-réalité au principe « voyeuriste », où les corps sont à la fois dévoilés quotidiennement dans leur intimité (qui est celle de la vie de tous les jours, alliant tout de même aux actes banals du quotidien un travail axé sur le corps puisqu’il s’agit de former des artistes, et donc des « gens de scène ») mais également mis en scène et sublimés lors des exhibitions hebdomadaires de l’émission de prim e tim e .