Les clefs du profil
La réputation des Coquettes est un peu trop simple : allumeuses par excellence, elles seraient expertes à susciter le désir par leurs tenues provocantes et leur comportement aguicheur. Mais leur véritable talent est d’instaurer un esclavage affectif qui dure bien après les premières flèches du désir. S’il fallait classer les séducteurs par ordre d’efficacité, c’est cette capacité qui leur vaudrait le premier rang.
De telles femmes [narcissiques] exercent le plus grand charme sur les hommes […] Le charme de l’enfant repose en bonne partie sur son narcissisme, le fait qu’il se suffit à lui-même, son inaccessibilité ; de même le charme de certains animaux qui semblent ne pas se soucier de nous, comme les chats […] C’est comme si nous les enviions pour l’état psychique bienheureux qu’ils maintiennent, pour une position de libido inattaquable que nous avons nous-mêmes abandonnée par la suite.
Pour saisir la spécificité du pouvoir de la Coquette, il faut bien comprendre une donnée essentielle de l’amour et du désir : si je te suis, tu me fuis, si je te fuis, tu me suis. Certes, un excès d’assiduité peut être flatteur un moment, mais un constant état de siège devient vite insupportable, et celui ou celle qui en fait l’objet finit par prendre peur ou souffrir de claustrophobie. C’est une preuve de faiblesse et d’indigence affective, mélange peu séduisant s’il en est. Combien de fois ne commettons-nous pas l’erreur de croire qu’une présence persistante rassure ! La Coquette, elle, comprend d’instinct cette dynamique particulière. Championne dans l’art de l’esquive, elle joue brusquement la froideur, elle s’absente inopinément pour déstabiliser sa victime, elle surprend, elle intrigue. Ses retraites la rendent mystérieuse et suscitent toutes les interprétations. Prendre un peu de distance approfondit les sentiments ; au lieu de nous mettre en fureur, l’attitude de la Coquette nous plonge dans le doute : m’aime-t-il, m’aime-t-elle vraiment ? Ou ai-je cessé de l’intéresser ? Et, une fois notre vanité en jeu, nous succombons à la Coquette juste pour prouver que nous sommes encore désirables. N’oublions pas que l’essence de la coquetterie consiste non pas dans l’art de la tentation, mais dans l’étape suivante : le retrait affectif. Là est le secret si l’on veut asservir sa proie, ligotée par son désir.
La coquette ne sait que plaire, et ne sait pas aimer, voilà pourquoi on l’aime tant.
Même dans les détails d’une affection, une absence, le refus d’un dîner, une rigueur involontaire, inconsciente, servent plus que tous les cosmétiques et les plus beaux habits.
La femme narcissique n’est pas en manque affectif : elle n’a besoin de personne. Et cela est étonnamment séduisant. Dans le domaine de la séduction, la confiance en soi est vitale. Un manque de sûreté en soi éloigne, l’assurance et l’autonomie attirent. Moins vous semblerez avoir besoin des autres, plus ils rechercheront votre compagnie. Une fois que vous aurez assimilé l’importance de ce point dans toute relation amoureuse, vous n’aurez aucun mal à faire taire votre insécurité affective.
Celle qui veut longtemps garder le pouvoir doit maltraiter son amant.
OVIDE
La Coquette doit avant tout être capable d’exciter la cible qu’elle vise : érotisme, célébrité, argent, tous les moyens sont bons. Dans le même temps, la Coquette émet des signaux ambigus, suscitant chez la victime des réactions contradictoires et la plongeant dans la confusion.
La stratégie de la Coquette, extrêmement efficace, consiste à déstabiliser sa victime puis à la maintenir dans cet état. Quelqu’un qui a fait l’expérience du plaisir se languit de recommencer ; ainsi la Coquette ne donne-t-elle que pour reprendre.
Il est une façon de défendre sa cause en traitant l’auditoire d’une façon distante et condescendante, en sorte qu’il remarque que l’orateur ne le fait pas pour lui plaire. Le principe doit toujours rester de ne pas faire de concessions à ceux qui n’ont rien à donner mais à ceux qui ont à gagner de nous. Nous pouvons attendre jusqu’à ce qu’ils le demandent à genoux, même si cela prend fort longtemps.
La Coquette n’est jamais jalouse, cela nuirait à ses dehors ostensiblement autarciques. En revanche, elle suscite la jalousie à tout moment : en prêtant attention à un tiers, en créant une triangulation du désir, la Coquette fait comprendre à sa proie qu’après tout celle-ci ne monopolise pas son intérêt. Cette stratégie du triangle est un formidable outil de séduction, dans un contexte mondain aussi bien qu’érotique. N’oubliez pas de garder physiquement et affectivement vos distances. Cela vous permettra de pleurer ou de rire à loisir et de montrer que vous n’avez besoin de personne, et ce avec un détachement si total que vous jouerez avec l’inconscient collectif comme sur un piano.
Symbole : l’ombre. Elle est insaisissable. Poursuivez-la et elle s’enfuit, tournez-lui le dos et elle vous suit. L’ombre est aussi la face cachée d’une personne, son air de mystère. Une fois qu’elle nous a accordé le plaisir, leur retraite nous fait languir après leur retour, comme le ciel gris fait désirer l’embellie.
le Charmeur
Le charme, nec plus ultra de la manipulation, est l’art de séduire en installant une sensation de bien-être qui élude la sexualité. La méthode du Charmeur est simple : il se fait oublier et concentre toute son attention sur sa cible. Empathique, il comprend son humeur, partage sa douleur, s’adapte à la moindre de ses nuances. En sa présence, on se sent plus satisfait de soi-même. Jamais le Charmeur ne se plaint, ne soulève de polémique, ne se met en colère – peut-on rêver plus facile à vivre ? Son indulgence agit comme une drogue dont on ne peut bientôt plus se passer : c’est ainsi qu’on tombe en son pouvoir. Pratiquez les sortilèges du Charmeur en sollicitant la faiblesse première de l’homme : la vanité.
Le charme : un art ou un don ?
La sexualité, c’est fort encombrant. Cela suscite des peurs et des émotions capables de mettre un terme à une relation qui, sans elle, auraitdes chances d’être profonde et durable. La solution du Charmeur consiste à satisfaire les aspects les plus séduisants de la sexualité et les plus susceptibles d’induire une dépendance : d’agréables égards pour l’amour-propre de la victime, une cour délicieuse et une grande compréhension, réelle ou apparente. Mais… on ne touche pas ! Certes, le charmeur ne bannit pas toute sexualité, pas plus qu’il ne la décourage ; l’érotisme est là, seulement à l’état latent. Le charme n’existe qu’avec un soupçon de tentation. Cependant il n’opère que si le désir physique reste à l’arrière-plan, totalement maîtrisé.
Un discours entraînant et applaudi est souvent moins suggestif, parce qu’il avoue l’intention de l’être. Les interlocuteurs agissent les uns sur les autres, de tout près, par le timbre de la voix, le regard, la physionomie, les passes magnétiques, les gestes, et non seulement par le langage. On dit avec raison d’un bon causeur qu’il est un charmeur dans le sens magique.
Le mot « charme » vient du latin carmen, qui signifie incantation, poésie ou chant capable de créer un sortilège. De fait, le Charmeur tient sa proie en la fascinant, en l’envoûtant. Et pour monopoliser son attention, il obscurcit son jugement et sollicite les profondeurs mal maîtrisées de sa personnalité : son ego, sa vanité, son amour-propre. « Parlez à quelqu’un de lui-même et il vous écoutera des heures », disait Benjamin Disraeli. Cette stratégie ne saurait être trop visible : le premier don du Charmeur est la subtilité. Pour que la victime ne perce pas à jour ses efforts, pour qu’elle ne se méfie pas, qu’elle ne se lasse pas de son attention, il faut avoir la main légère.