La maladie cœliaque (MC) est une entéropathie auto-immune, aux manifestations cliniques variées, qui se traduit par une atrophie villositaire secondaire à une réponse immunitaire inappropriée induite par la gliadine du blé et les prolamines apparentés, survenant chez des sujets génétiquement prédisposés [1,2,3]. Sa prévalence a été longtemps sous-estimée, avoisinant aujourd’hui 1% dans la population générale [4]. La MC est souvent associée à d’autres pathologies, il existe un risque accru chez les patients atteints de diabète type 1, chez les patients atteints de maladies auto-immunes, et chez les apparentés au premier degré qui représentent le groupe le plus à risque [4]. Dans sa forme classique, la MC se manifeste par une diarrhée chronique, un ballonnement abdominal, une anorexie plus ou moins sévères et des vomissements. Ces symptômes débutent dans la première enfance et aboutissent à une malnutrition. La méconnaissance des formes silencieuses, frustes, pauci-symptomatiques ou extradigestives de la maladie, rend dans certains cas, le diagnostic difficile et méconnu expliquant le retard diagnostique, ce qui expose l’individu malade à des complications, dont les troubles carentiels l’ostéoporose, l’augmentation de la prévalence d’autres maladies autoimmunes, voire les néoplasies tardives [5,6]. Ces complications peuvent être prévenues grâce à l’observance d’un régime sans gluten (RSG), le seul remède efficace contre la maladie. Dans les dernières décennies, la reconnaissance du mécanisme auto-immun et la mise en évidence d’auto-anticorps spécifiques, notamment les anticorps anti-transglutaminase, ont bouleversé d’une part la vision épidémiologique de la MC, et d’autre part son approche diagnostique. En montrant que les formes atypiques ou latentes étaient beaucoup plus nombreuses, ces données ont fait passer la MC du statut de maladie pédiatrique rare à celui de pathologie fréquente à tous les âges [4].
Le diagnostic de la MC est basé sur la combinaison d’arguments cliniques, biologiques et histologiques. Si le diagnostic définitif de MC repose sur la mise en évidence des anomalies histologiques caractéristiques sur les biopsies duodéno jéjunales et sur la rémission clinique sous RSG, les différents outils sérologiques tiennent une place importante, et constituent un moyen non invasif de dépistage [7]. Ces tests sérologiques de plus en plus spécifiques et sensibles ont complètement transformé les conditions du diagnostic de la MC : ils permettent de cibler les patients chez lesquelles une biopsie est nécessaire et de suivre les sujets sous RSG. La démarche diagnostique de la maladie repose en premier sur des tests sérologiques sériques basés sur la détection des anticorps anti-endomysium et plus récemment les anticorps anti-transglutaminase tissulaire dont la sensibilité et la spécificité sont excellentes.
Généralités
Historique
La MC a été décrite pour la première fois en 1888 par Samuel Gee, comme étant un trouble fait de diarrhée, distension abdominale, et un retard de croissance avec un début généralement chez les enfants entre 1 et 5 ans [8]. La cause de la maladie était inconnue, mais on a remarqué que les patients ont récupéré quand ils ont été mis sous un régime alimentaire restreint. Différents régimes ont été utilisés, y compris un régime de bananes, jusqu’à ce que, le pédiatre hollandais Willem Karel Dicke, en 1941, reconnaisse l’association de la consommation de pain et de céréales et les diarrhées récurrentes. Il avait décrit l’amélioration clinique de cinq enfants lorsque le blé, le seigle et l’avoine ont été exclus de leur régime alimentaire et leur rechute quand ces éléments ont été inclus dans leur alimentation à nouveau. Il a conclu que les composants de ceux-ci causaient la MC [9]. Paulley fut le premier à décrire les lésions histologiques an niveau de l’intestin proximal [10], alors que la première biopsie chez l’enfant n’a été réalisée qu’en 1957[11]. La présence des anticorps circulants a été découverte en 1980, et l’association avec un phénotype HLA est reconnue 9 ans après [12 ,13]. L’identification décisive des anticorps dirigés contre la transglutaminase tissulaire II (tTG-2) remonte à 15 ans [14], et a permis de faire des progrès pour comprendre la physiopathologie de la maladie et en faire le diagnostic [15].
Epidémiologie de la MC
La prévalence de la MC dans la population générale est assez comparable, autour de 0,7 à 2 % [16]. Elle est estimée entre 1/500 et 1/100 en Europe et aux Etats unis avec une majorité de cas diagnostiqués à l’âge adulte [17]. La prévalence augmente avec l’âge, dépassant 2 % après 50 ans [18].
Des incidences proches de celles de l’Europe ou les Etats-Unis sont notées en Afrique du Nord (0,53 % en Egypte, 0,79% en Libye, et de 0,6% en Tunisie) [19,20,21]0,88 %en Iran et 0,6 % en Turquie (Moyen orient) [22,23] et 0,7 % en Inde [24]. En revanche, la MC est quasiment inconnue en Asie du sud-est et en Afrique noire [4]. En France, la prévalence de la maladie cœliaque dans sa forme symptomatique est estimée à 1/1000—1500 et son incidence annuelle à 1,3/100 000 [25]. En Tunisie, une étude réalisée chez les donneurs de sang, a montré une prévalence d’environ 1/700 [26]. La prévalence la plus élevée de la MC est retrouvée chez la population Sahraoui avec 5,6% [27]. Les résultats des études séro épidémiologiques suggèrent que pour chaque cas de MC diagnostiquée, il existerait trois à sept cas non diagnostiqués, et que 1 à 3 % de la population en Europe et aux Etats-Unis peut être touché à un moment de la vie [16]. Des différences de prévalence de gènes de prédisposition et des pratiques d’alimentation infantile précoce différentes pourrait expliquer des variations géographiques et dans le temps de l’incidence de la MC [16]. Nous ne disposons pas de données épidémiologiques concernant la prévalence de la MC à l’échelle du Maroc. Cependant, au regard de la prévalence assez élevée décrite à l’échelle de certains pays du Maghreb et de l’Afrique du Nord, et en raison d’un fort taux de consanguinité qui caractérise notre pays, de la fréquence de pathologie à risque de MC telle le diabète, nous nous attendons également à une prévalence élevée de la MC dans notre pays.
Etiopathogénie de la MC
Prédisposition génétique
L’importance de la composante génétique est objectivée par la forte prévalence des formes familiales, le risque relatif élevé chez les frères et sœurs de patients (20-60 %) et le taux de concordance très important (75 %) entre jumeaux monozygotes [28,29]. L’implication des gènes HLA est maintenant bien démontrée. L’association principale concerne les molécules HLADQ. Ainsi plus de 90 % des malades expriment la molécule HLA-DQ2, formée par l’hétéro dimère DQA1*O5 DQB1*O201, codé en cis chez les patients DR3 ou en trans chez les patients DR5/7. Une faible proportion de malades DQ2 négatifs portent différents sous-types de DR4. La fréquence d’expression de l’haplo type DR4-DQ8 conduit à incriminer aussi la molécule DQ8 (DQA1*301, B1*302) [10, 11].
L’intervention d’autres gènes situés en dehors de la région HLA reste pour l’instant non clairement élucidée. En effet, La différence entre le risque de 30 % pour un germain HLAidentique et 75 % pour un jumeau homozygote de développer la maladie est en faveur du rôle de gènes en dehors du complexe HLA. Plusieurs études ont évoqué la responsabilité d’un gène codant pour CTLA-4, une molécule impliquée dans la régulation de la réponse immune [30 ,31]. Une région située sur le bras long du chromosome 5 (5q31-33) semble être retrouvée très fréquemment chez les malades intolérants au gluten [32], ainsi que la région p13.1 du chromosome 19 [33]. La confrontation de ces données aux études cliniques des différents groupes de patients amène à penser que les gènes HLA interviendraient pour déterminer l’état de susceptibilité (c’est-à-dire de possible sensibilisation au gluten) et que les gènes situés en dehors de la région HLA moduleraient les réactions à l’environnement et l’expression de la maladie.
La toxicité du gluten
Les céréales toxiques pour les patients cœliaques sont le blé, le seigle, et l’orge. L’effet délétère de l’avoine reste un sujet de controverse depuis plus de 30 ans. De nombreuses études, dont une prospective et randomisée incluant 90 malades cœliaques, ont montré l’absence de toxicité de l’avoine [34]. Cependant, le cas d’un malade intolérant à l’avoine a été rapporté récemment [35]. Le riz et le maïs ne sont pas toxiques pour les sujets cœliaques et sont souvent utilisés comme substituts dans le RSG.
Le gluten, fraction hydro insoluble de la farine, comprend un mélange complexe de peptides, les gliadines et de grands polymères, les gluténines. Les gliadines sont les fractions solubles du gluten dans l’alcool, leur poids moléculaire varie entre 30 000 et 45 000 Da. Suivant leur migration électro- phorétique, on distingue quatre groupes : α, β, γ et ω ; l’ α gliadine est la fraction la plus toxique pour la muqueuse au cours de la MC. Les séquences peptidiques statistiquement les plus nombreuses dans les fractions toxiques et toujours absentes dans les fractions non toxiques sont : Pro – Ser – Gln – Gln et Gln – Gln- Gln – Pro [15].
INTRODUCTION |