Profil bactériologique et sensibilité aux antibiotiques des souches bactériennes isolées
INTRODUCTION
Le service de réanimation est un service médico-technique de haut niveau, où s’effectue la prise en charge de patients présentant une ou plusieurs défaillances viscérales aiguës mettant en jeu ou susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital à court terme. La discipline s’est développée grâce aux progrès de la science et de la technique, l’ensemble du dispositif médical de diagnostic de traitement et de surveillance des malades a bénéficié de cet essor scientifique et technologique [1]. La contrepartie de ces progrès réside dans la complexité croissante et le caractère invasif de ces méthodes. Elles entraînent, par la même occasion, une augmentation du risque d’infections associées aux soins (IAS). Ces infections surviennent en général par transfert des germes présents sur les mains d’un agent de santé lorsqu’il touche le patient ou ce dernier s’infecte par les germes de sa flore lors d’un acte de soin invasif [2]. Les IAS constituent un réel problème de santé publique. Chaque année, des centaines de millions de patients dans le monde sont affectés par ces infections, dont une grande partie est causée par des agents pathogènes résistants aux antimicrobiens [2]. En Europe, l’incidence représente entre 5,5 et 9,9 % des admissions à l’hôpital. L’enquête nationale de prévalence de 2006 en France montrait une prévalence nationale des patients infectés de 4,97% [3]. Aux Etats-Unis (prévalence de 4,5 %), on estime que les IAS sont responsables de 9000 décès par an. Cette prévalence est de 10,5 % au Canada, 6,2 % en Belgique [4]. Ce risque est deux à vingt fois supérieur en Afrique et dans certains pays en développement, le taux le plus élevé de prévalence de ces infections est estimé à 25,0 % [5]. 2 En réanimation le nombre de patients infectés est plus élevé en raison de la densité des soins, de l’exposition à divers dispositifs invasifs (sondage vésical, cathétérisme vasculaire à l’origine du biofilm bactérien) et la gravité des pathologies des patients qui font que la proportion peut atteindre 30% [6, 7]. En 2006, la prévalence en France des IAS en réanimation adulte était de 22,4 % d’après l’Institut national de veille sanitaire [6]. Au service de réanimation de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca, le taux de prévalence de l’IAS était de 17,9% [8]. Dans les pays en développement, on estime que les IAS constituent la troisième cause la plus fréquente de la mortalité et jusqu’à 40 % sont considérées comme évitables. Ces infections représentent un frein important au développement médical du fait de leur fréquence sans cesse croissante, de leur gravité et du fait de la multi-résistance des germes en cause sans compter l’aspect médicolégal. Elles génèrent un surcoût économique majeur à l’hospitalisation. De cette façon, ces infections contribuent de manière importante à la morbidité et à la mortalité chez des patients hospitalisés [9]. Depuis 2004 au Sénégal, il y’a la mise en place du Programme National de Lutte contre les Infections Nosocomiales (PRONALIN) et chaque établissement hospitalier héberge en son sein un comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) pour prendre en charge et prévenir ces IAS. L’objectif de ce CLIN est de diminuer de façon significative l’incidence des IAS en passant par la réduction du niveau de résistance bactérienne aux antibiotiques dans l’établissement. Il existe peu de connaissances sur l’écologie bactérienne des souches circulant en Unité de soins intensifs (USI) et le niveau de résistance de ces souches à cause de l’insuffisance des données microbiologiques lors des enquêtes nationales de prévalence. 3 Ce constat a motivé cette étude dont l’objectif général était : Dresser le profil bactériologique des souches isolées en USI De déterminer le profil de résistance de ces souches Et nos objectifs spécifiques étaient: D’identifier les déterminants sociodémographiques (âge, sexe et service) des patients porteurs des souches isolées. D’étudier la répartition des souches isolées en fonction des différentes USI D’actualiser la surveillance des résistances bactériennes De formuler des recommandations pour la maitrise des BMR dans les USI
DEFINITION
Selon l’OMS, une infection associée aux soins ou infection hospitalière peut être définie comme suit : Infection acquise à l’hôpital par un patient admis pour une raison autre que cette infection. Infection survenant chez un patient à l’hôpital ou dans un autre établissement de santé et chez qui cette infection n’était ni présente ni en incubation au moment de l’admission. Cette définition inclut les infections contractées à l’hôpital mais qui se déclarent après la sortie, et également les infections professionnelles parmi le personnel de l’établissement [7]. Plus précisément, on parle d’infections associées aux soins lorsque celle-ci n’existait pas chez le patient lors de l’admission, ni pendant les 48 premières heures à l’hôpital. En cas d’opération chirurgicale, une infection au niveau de l’opération dans les 30 jours suivant l’intervention sera considérée comme associée aux soins, de même que jusqu’à un an après la pose de matériel étranger tel une prothèse, une valve cardiaque, un stimulateur cardiaque [7]. II. HISTORIQUE Les infections associées aux soins (IAS) ou infections nosocomiales ont existé depuis que l’on a regroupé les malades dans un lieu commun pour tenter de leur porter assistance. En fait, l’adjectif « nosocomial » est utilisé depuis au moins le XVIIIe siècle comme nous le confirment de nombreux dictionnaires de médecine. De la « pourriture d’hôpital » à l’« infection nosocomiale », l’histoire des hôpitaux regorge de références à cette problématique. Déjà, au XVIIIe siècle, l’Écossais John Pringle (1707-1782) réalisait les premières observations sur les « infections acquises à l’hôpital » et introduisait de grandes réformes sanitaires dans les hôpitaux militaires. En 1788, Tenon (1724-1816) se préoccupait, dans ses Mémoires sur les hôpitaux de Paris, des « fièvres des hôpitaux », et il prônait, pour les combattre, la mise en place de mesures effectives d’hygiène hospitalière [10]. 6 La promiscuité aidant, la probabilité d’acquérir ce type d’infection était non négligeable. Une étude du début du XIX siècle a montré que le risque de décès secondaire à des amputations était 4 fois plus élevé chez les malades hospitalisés que chez les patients opérés à domicile [11]. Dès le milieu du XIXème siècle, des progrès majeurs vont être réalisés qui permettront de limiter le développement d’infections hospitalières. En 1846 Ignaz P. Semmelwiess a constaté que les fièvres puerpérales étaient 4 fois moins fréquentes si les accouchements étaient effectués par des sages-femmes plutôt que par des étudiants en médecine qui pratiquaient en parallèle des autopsies sans se laver les mains. Ignatz Semmelweis, en imposant un lavage systématique des mains par une solution désinfectante de chlorure de chaux par chaque étudiant de la clinique (où il opérait), après chaque dissection, avant la pratique de l’accouchement. Il réussit à faire baisser la mortalité par fièvre puerpérale (appelée en son temps « la fièvre des accouchées ») de 16% à 3%. Mais ces méthodes d’asepsie ne correspondaient, dans l’esprit scientifique de l’époque à rien d’identifié, et il ne fut donc pas suivi par le reste de la communauté scientifique, malgré les chiffres qui prouvaient son succès [10]. Louis Pasteur et de Robert Koch vont poser les jalons de la microbiologie moderne par leurs travaux qui vont permettre de comprendre la nature et le mode de transmission des maladies infectieuses [10, 12]. Quelques années plus tard, Sir Joseph Lister va publier son essai historique « on the antiseptic principe in the practice of surgery » qui va jeter les bases de l’asepsie chirurgicale [10]. Au début de l’ère des antibiotiques, on a cru juguler aisément la pathologie infectieuse hospitalière. Dès les années cinquante, l’apparition d’épidémies dévastatrices d’infections hospitalières à staphylocoque résistant va susciter un regain d’intérêt pour cette forme d’infection
LES INFECTIONS ASSOCIEES AUX SOINS
Epidémiologie des infections associées aux soins
Les infections associées aux soins sont connues dans le monde entier et touchent aussi bien les pays développés que les pays pauvres en ressources. Elles représentent une charge importante pour le patient comme pour la santé publique. Une enquête de prévalence réalisée pour l’OMS dans 55 hôpitaux de 14 pays représentant quatre Régions OMS (Europe, Méditerranée orientale, Asie du Sud-Est et Pacifique occidental) a montré qu’en moyenne, 8,7 % des patients hospitalisés étaient touchés par une IAS [2]. A tout instant, plus de 1,4 million de personnes dans le monde souffrent d’infections contractées à l’hôpital. Entre 5 et 10 % des patients admis dans des hôpitaux modernes de pays développés contractent une ou plusieurs infections. Le risque de contracter une infection au cours de soins de santé est 2 à 20 fois plus élevé dans les pays en développement que dans les pays développés. Dans certains pays en développement, la proportion de patients souffrant d’une infection résultant de soins de santé peut dépasser 25 % [14]. Aux Etats-Unis d’Amérique, 1 patient hospitalisé sur 136 tombe gravement malade par suite d’une IAS, ce qui équivaut à 2 millions de cas et à près de 80 000 décès chaque année [14]. En Angleterre, plus de 100 000 cas d’infections résultant de soins de santé aboutissent à plus de 5000 décès par an, directement imputables aux infections [14]. Au Mexique, on estime que 450 000 cas d’infections liées à des actes de soins causent chaque année 32 décès pour 100 000 habitants [14]. Au Sénégal, une enquête de prévalence, « un jour donné », effectuée en 2008 au niveau du CHNU de Fann a montré que 10,9 %, avaient au moins une IAS
Modalités de transmission des IAS
Les modes de transmission
En milieu hospitalier, la transmission par contact direct ou indirect est largement le mode de transmission prépondérant [16]. Transmission par contact direct Dans ce mode de transmission les mains du personnel soignant jouent un rôle important dans le transfert passif des micro-organismes d’un malade à l’autre. En effet, les mains du personnel peuvent contenir jusqu’à 100 à 1000 bactéries/cm2 constituées par 2 types de flores [16]. Transmission par contact indirect Les objets et les matériaux présents à l’hôpital peuvent servir de support de transmission, c’est le cas : Des instruments de chirurgie, Du matériel destiné au sondage et aux injections, des endoscopes et stéthoscopes. Ces objets peuvent avoir été contaminés par le personnel ou par les malades . Les autres modes de transmission Ils jouent un rôle moins important dans l’hôpital telle que la transmission par voie aérienne, par l’intermédiaire d’un support contaminé (nourriture, liquide de perfusion)
Les voies de transmission
La voie endogène (l’auto-infection) Le malade s’infecte avec ses propres germes à la faveur d’un acte invasif (porte d’entrée) et /ou en raison d’une fragilité particulière. Les bactéries présentes dans la flore normale provoquent des infections en cas de transmission vers d’autres sites que leur habitat naturel (voies urinaires), de lésions tissulaires (plaies) ou de traitement antibiotique inapproprié qui favorise leur prolifération . La voie exogène L’agent infectieux est transmis d’un malade à l’autre par les mains ou les instruments de travail du personnel médical ou paramédical. C’est le mode de transmission le plus fréquent parmi les infections exogènes. C’est à ce mode de contamination que s’appliquent les mesures prophylactiques traditionnelles (l’hygiène des mains, les procédures de désinfection et de stérilisation, la sécurité de l’environnement)
Les principaux types d’IAS
Des définitions permettant d’identifier les IAS de diverses localisations (par exemple urinaires, pulmonaires) ont été établies, d’après celles publiées aux Etats-Unis d’Amérique par les Centers for Diseases Control and Prevention (CDC) ou issues de conférences internationales, et sont utilisées aux fins de surveillance. Elles s’appuient sur des critères cliniques et biologiques et portent sur une cinquantaine de sites infectieux potentiels [3,18]. La figure 1 montre la répartition des IAS selon leur localisation lors des enquêtes nationales de prévalence (ENP) réalisées en France. Figure 1 : Répartition des IAS par site infectieux (ENP, France)
Infections urinaires
Ce sont les IAS les plus courantes ; 80 % des infections sont liées à un sondage vésical à demeure. Les infections urinaires sont associées à une plus faible morbidité que les autres IAS, mais peuvent dans certains cas provoquer une bactériémie potentiellement mortelle. Ces infections sont habituellement définies selon des critères microbiologiques : uroculture quantitative positive (≥105 micro-organismes/ml, avec au maximum deux espèces microbiennes isolées). Les bactéries responsables proviennent de la flore intestinale du patient normale (Escherichia coli) ou acquise à l’hôpital (Klebsiella multi-résistante) [6]. 3.2. Infections du site opératoire Les infections du site opératoire sont également fréquentes : leur incidence va de 0,5 % à 15 % selon le type d’intervention et l’état général du patient. Il s’agit d’un problème important qui limite le bénéfice potentiel des interventions chirurgicales. L’impact sur les coûts hospitaliers et la durée du séjour postopératoire (3 à 20 jours de plus) est considérable [20]. La définition de ces infections est essentiellement clinique : écoulement purulent autour de la plaie ou du site d’insertion du drain, ou cellulite extensive à partir de la plaie. Les infections de la plaie opératoire (au-dessus ou au-dessous de l’aponévrose) et les infections profondes des organes ou des espaces sont identifiées séparément. L’infection est en général acquise pendant l’intervention elle-même, avec une origine soit exogène (air, matériel médical, chirurgiens et autres soignants), soit endogène (flore cutanée ou flore présente sur le site opératoire ou, dans de rares cas, sang utilisé en peropératoire)
Pneumopathies associées aux soins
Les pneumopathies associées aux soins s’observent chez plusieurs catégories de patients, principalement les patients sous ventilation artificielle dans les USI, où leur taux atteint 3% par jour. La pneumopathie associée à la ventilation assistée possède un taux de létalité élevé, bien que le risque attribuable soit difficile à déterminer du fait de l’importance des co-morbidités. A part les pneumopathies associées à la ventilation, les patients atteints de convulsions ou dont le niveau de conscience est altéré sont exposés au risque d’IAS même en l’absence d’intubation. Les pneumopathies par surinfection bactérienne peuvent toucher les établissements pour personnes âgées. Chez les patients gravement immunodéprimés, une pneumopathie à Legionella spp peut être observée
Bactériémies associées aux soins
Les bactériémies ne représentent qu’une faible proportion des IAS (environ 5%) mais possèdent un taux de létalité élevé, plus de 50 % pour certains microorganismes. L’infection peut se développer au point d’insertion cutané d’un dispositif intravasculaire ou sur le trajet sous-cutané d’un cathéter (infection du tunnel). Les micro-organismes qui colonisent le cathéter à l’intérieur du vaisseau peuvent provoquer une bactériémie sans infection externe visible. L’infection prend sa source dans la flore cutanée résiduelle ou temporaire. Les principaux facteurs de risque sont la durée du cathétérisme, le niveau d’asepsie lors de l’insertion, et les soins continus une fois le cathéter en place
Autres IAS
Les infections décrites plus haut sont les quatre types les plus fréquents et les plus importants d’IAS, mais il existe de nombreux autres sites potentiels d’infection.
L’écologie bactérienne des IAS
L’écologie bactérienne des infections nosocomiales est fonction de la flore endogène des patients hospitalisés ou des germes qui circulent dans l’hôpital et de la pression de sélection due aux antibiotiques. Ce qui fait que la composition peut varier en fonction du pays, de l’hôpital et de l’unité d’hospitalisation. En France, les trois bactéries le plus souvent en cause étaient Escherichia coli (26%), Staphylococcus aureus (15,9%) et Pseudomonas aeruginosa (8,4%). Ces trois micro-organismes représentaient la moitié (50%) des micro-organismes isolés des IAS (Figure 3) [19]. Au Sénégal 50% des souches responsable d’IAS sont des entérobactéries avec en tête Enterobacter cloacae puis Escherichia coli ensuite viennent Staphylococcus aureus et Pseudomonas aeruginosa .
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