Production fourragère et intensification de l’intégration agriculture
Relations agriculture – élevage
L’enquête auprès des producteurs a fait ressortir plusieurs formes de relations entre l’agriculture et l’élevage (5 principales au total) dans une communauté villageoise donnée.
Conduite séparée de l’agriculture et l’élevage (forme 1)
C’est la forme où l’agriculture et l’élevage sont conduits par des exploitations spécialisées (agriculteurs d’une part et éleveurs de l’autre). Dans cette forme les liens qui existent entre agriculteurs et éleveurs sont les contrats de fumure, l’échange lait contre produits agricoles (céréales), la vente de lait ou certains animaux reformés par les éleveurs. De nos jours, cette forme se fait rare, car de plus en plus les deux activités sont embrassées au sein d’une même exploitation agricole. Elle est entretenue avec le passage des éleveurs transhumants venant du nord de la région. Mais ces déplacements dans la zone agricole deviennent de plus en plus difficiles car ils sont souvent sources de nombreux conflits avec la population sédentaire des zones d’accueil.
Agriculture menée comme activité principale au sein de l’exploitation (forme 2)
L’agriculture est la principale activité et l’élevage vient en appui par la fourniture de quantités limitées de fumure organique. Cette forme est la plus répandue. Elle est rencontrée chez les petits producteurs et les femmes à revenus limités. Le cheptel est composé de quelques têtes de petits ruminants et de volaille qui représentent le capital le plus facilement mobilisable pour faire face aux besoins urgents. Cet élevage est considéré comme un moyen d’épargne et de capitalisation. Il assure certaines fonctions sociales comme les cérémonies (mariage, baptême fêtes religieuses), l’habillement ou le complément alimentaire de la famille. Dans cette forme 2 les animaux sont gérés en mode d’élevage sédentaire traditionnel mais on y observe des fois l’embouche paysanne des petits ruminants.
Agriculture et Elevage conduits simultanément par l’exploitation agricole (forme 3)
Au sein de l’exploitation agricole, l’agriculture et l’élevage sont simultanément pratiqués en accroissant l’interaction entre les deux activités. L’élevage fournit l’énergie (culture attelée, transport des personnes, des produits agricoles, des intrants et autres prestations) et le fumier. En retour, l’agriculture fournit surtout le fourrage (résidus de cultures) et certains aliments concentrés qui interviennent dans l’embouche, l’entretien des animaux de trait ou les vaches laitières. Ces aliments concentrés sont les grains du sorgho, les cosses du niébé, les graines d’oseilles ou même les grains de mil pour les chevaux. L’agriculture et l’élevage pouvaient ainsi économiquement appuyé l’exploitant en lui fournissant divers produits. En effet dans la zone agricole, de grands agriculteurs investissent dans l’achat des bovins qui valorisent les résidus de cultures de leurs productions. Les animaux sont utilisés pour la culture attelée et fournissent du fumier. Chez ces producteurs, les animaux pouvaient être vendus pour financer le commerce, la main d’œuvre, l’achat des engrais, l’acquisition de la terre ou même l’équipement agricole. L’élevage qui était jadis l’apanage des pasteurs est devenu un capital des agro-éleveurs. Quant aux éleveurs qui ont embrassé l’agriculture, ils sont devenus des sédentaires avec comme corolaire l’arrêt de la mobilité des familles entières derrière les animaux. Dans ces conditions, lorsque le troupeau devenait important, une partie était envoyée en transhumance sous la conduite de quelques bergers membres de la famille. La grande partie de la famille restait surplace et gardait avec elle quelques têtes d’animaux (vaches laitières, caprins, ovins et ânes) pour les besoins familiaux. Ces petits troupeaux sont gérés en mode d’élevage sédentaire traditionnel. Ils fournissaient de la fumure organique au profit des champs des éleveurs sédentarisés qui font de l’agriculture, une activité de diversification en lieu et place de la transhumance ou du nomadisme.
Agriculture avec vocation de production de fourrage pour un élevage semi intensif (forme 4)
Cette forme de production agricole a été observée chez les quelques fermiers. Ce sont des agro-éleveurs, ayant de grandes propriétés terriennes et bénéficiant souvent d’un système d’irrigation. En effet, le long du fleuve, dans les vallées ou au bord de grandes mares, ces fermiers mettaient en valeur des parcelles d’Echinochloa stagnina (bourgou) ou d’autres cultures fourragères pour nourrir leurs animaux en élevage semi-intensif ou intensif (embouche). D’autres producteurs, les plus nombreux dans la catégorie, produisaient des cultures à double fin tout en mettant l’accent sur la récolte et le stockage des résidus de culture. Ils achetaient même la production de résidus de cultures à d’autres producteurs pour 35 nourrir leurs troupeaux en élevage semi-intensif. Le fumier produit chez ces agro-éleveurs était utilisé dans leurs propres champs. Ils faisaient recours à la traction animale ou des fois aux tracteurs pour le labour et même le transport des produits et sous-produits agricoles
Agriculture pour produire le fourrage (Forme 5)
C’est la forme la plus récente d’intégration agriculture – élevage qui s’était développée. Les paysans qui adoptent cette forme d’intégration étaient considérés comme producteurs de fourrage. Avec la valeur marchande de plus en plus intéressante du fourrage, certains producteurs riverains du fleuve cultivaient Echinochloa stagnina. Ceux qui exploitaient les périmètres irrigués dans le sud du Niger, cultivaient en relais l’arachide, le niébé fourrager, la dolique, le maïs ou le mil pour nourrir leurs propres animaux et pour vendre aux éleveurs locaux ou transhumants. Ainsi, ils valorisaient leurs terrains en continue dans l’année. En conclusion, de toutes ces formes de relation entre l’agriculture et l’élevage, la conduite simultanée de l’agriculture et l’élevage (forme 3) semble être la meilleure pour une intégration d’agriculture élevage. Cette forme constitue une amélioration de la forme 2 qui peut être pratiquée par un grand nombre de producteurs sans recours aux gros investissements. Quant à la forme 4, elle est l’apanage du groupe des grands agro-éleveurs. La forme 5, constitue une diversification qui peut évoluer vers la forme 3 pour le producteur qui a atteint une certaine stabilité financière. Par contre la forme 1 la plus primitive de toutes les formes, est entretenue par l’élevage transhumant dans son déplacement périodique du nord au sud et vice-versa.
Rôle des femmes et des enfants dans les activités agricoles
En dehors des caractéristiques de l’agriculture, de l’élevage, et leurs relations, il a été révélé le rôle des femmes et des jeunes dans les exploitations agricoles. Les femmes participaient activement dans les activités agricoles (agriculture et élevage). Environ 10% des femmes étaient chefs d’exploitations agricoles dans le sud du Niger. Chez les éleveurs, les femmes participaient à la collecte, la transformation et la vente des produits laitiers. Elles faisaient l’artisanat en transformant les feuilles du palmier doum en divers produits (nattes, vanniers, articles décoratifs).Elles contribuaient à la cueillette et la commercialisation des produits forestiers non ligneux. Quant aux jeunes, ils aidaient les hommes et les femmes dans les travaux agricoles. La conduite des animaux au pâturage a été l’apanage des enfants. L’application des innovations telles la culture attelée, la transformation des fourrages ou toute 36 autre innovation agro-sylvo-pastorale sont pratiquées par les jeunes producteurs faisant de cette frange de la population le moteur du développement rural.
Perspectives pour une intensification de l’intégration agriculture- élevage au Niger
A l’instar de l’Afrique soudano – sahélienne, pendant longtemps au Niger, l’extension des surfaces cultivées s’est traduite par l’accroissement de la population rurale. Les espaces non cultivés constituaient des réserves qui étaient progressivement exploitées pour répondre à l’accroissement des besoins et pour absorber une force de travail en augmentation (MILLEVILLE et SERPANTIE, 1994). Mais très tôt l’espace agricole exploitable s’est saturé, ce qui a conduit à la mise en valeur des terres marginales. Le constat était d’une part une réduction des superficies cultivées par personne de 1ha /personne environ en 1960 à 0,5ha/personne en 1990 (BARBIER et BENOIT – CATTIN, 1994), puis à 0,44ha /personne en 2012 (HCI3N, 2012) et d’autre part une baisse de la fertilité des sols. L’intensification du système agricole via une intégration entre l’agriculture et l’élevage devenait alors une nécessité pour satisfaire les besoins d’une population à forte croissance. En effet les producteurs étaient tenus de produire au maximum sur des petites superficies pour faire face à leur propre sécurité alimentaire et aussi générer des revenus. Plusieurs formes de relations entre l’agriculture et l’élevage sont entretenues par les producteurs mais au centre de ces relations se trouve l’utilisation des résidus de cultures pour l’alimentation du bétail, l’utilisation de l’énergie animale et la gestion du fumier produit par les animaux. La bonne gestion de ces principaux pôles aboutirait à une intensification véritable du système. De nos jours, compte tenu de l’intérêt des résidus de cultures dans l’alimentation du bétail, ils faisaient l’objet des transactions entre producteurs. Les prix des résidus de cultures variaient en fonction de la région, la saison ou la proximité des marchés. Un sac de fanes d’arachide pesant en moyenne 16 kg coûtait 1300 FCFA en janvier à Maradi, alors qu’il valait à la même période 2000 FCFA à Niamey. En période de difficulté alimentaire pour le bétail (mai – juin), le même sac coûterait 2000 FCFA à Maradi pendant que son prix variait entre 2500 à 3000 FCFA à Niamey. Cette évolution des prix est aussi observée sur les fanes de niébé et les tiges de céréales (mil et sorgho). Par ailleurs, il a été observé une certaine préférence dans la distribution des résidus de cultures aux animaux : les gros ruminants et asins recevaient les tiges et les petits ruminants les fanes. Des travaux de recherche menés sur la valorisation des résidus de cultures dans 37 l’alimentation du bétail permettent une meilleure utilisation des résidus des cultures par les petits et gros ruminants. La digestibilité des tiges de mil traité à l’urée est supérieure à celle des tiges de mil ensilées sans urée qui elle-même est supérieure à celle des tiges de mil broyées (INRAN, 1992 ; 1993 ; 1994). En outre la technique de production des Blocs multi – nutritionnels (BMN) pour l’alimentation du bétail a été mise au point (ISSA, 2005, AYATUNDE et al., 2008, DAN GOMMA et al., 2011). Cette technique consiste à broyer les résidus de cultures et à les enrichir avec des sous-produits agro-industriels (son de blé, tourteau de coton), du son du mil, maïs, sorgho et des sels minéraux, (calcaire, phosphate et sel de cuisine) tout en ajoutant un liant tel que la gomme arabique ou la bouillie de la farine de manioc en vue d’obtenir un aliment dénommé Bloc multi-nutritionnel (BMN) ou fourrage densifié. La première formule d’aliment développée et mise en vulgarisation est destinée à l’entretien des animaux qui éprouvent des difficultés d’alimentation en période difficile de l’année En associant tiges broyées et fanes broyées, on obtenait un aliment complet pour les gros et petits ruminants (DAN GOMMA et al., 2011). S’agissant de la gestion du fumier, on assiste à une évolution des termes du contrat de pacage. Dans la région de Tahoua, un troupeau moyen de quinze têtes recevait pour un séjour de un mois dans un champ d’environ 3,5 ha une somme de 15000 FCFA (GUDID, 2005). Souvent les tiges de céréales sont transportées dans le champ au profit des animaux qui déposeraient leurs déjections à l’endroit où ils étaient parqués la nuit. En zone urbaine et périurbaine, le fumier des bovins produit à l’étable est vendu aux jardiniers à 10 000 FCFA/tonne (10 FCFA/kg). Dans la station avicole de Maradi, les fientes de la volaille sont vendues au prix de 40 FCFA/kg. Le prix du fumier est souvent fonction de sa pureté et de son origine. A quantité égale, les prix des fumiers sont dans l’ordre décroissant : les fumiers de volaille, de bovins et de petits ruminants. Par l’utilisation de l’énergie animale, la culture attelée est l’un des facteurs clé de la modernisation de l’agriculture dans les pays en développement. Il est reconnu que la traction animale constituait une source de progrès en termes d’efficacité, de la rapidité, de la réduction de la pénibilité et la libération du temps pour d’autres travaux (LHOSTE, 2004). Au Niger, sur les périmètres rizicoles, l’utilisation d’un attelage diminuerait de moitié le temps de sarclo-binage (ONAHA, 1980). Dans le bassin arachidier de Maradi, la traction asine est utilisée pour le semis de l’arachide à cause de la rapidité, donnant la possibilité de semer de grandes superficies dès les premières pluies. Le gain en temps a été également la raison d’adoption de la traction équine ou asine dans le bassin arachidier au Sénégal surtout pour les 38 travaux de semis et de sarclage (DUGUE et DONGMO NGOUTSOP, 2004 ; PIRAUX et al., 1997). Pour renforcer l’intensification, le système de culture basé sur l’association de trois cultures mil – sorgho – niébé ou mil – sorgho – arachide est très pratiqué dans la zone agricole du Niger et particulièrement dans le centre sud de la région de Maradi. L’adoption d’autres techniques agro-sylvo-pastorales telles que la gestion des arbres dans les champs connue sous le nom de « Régénération Naturelle Assistée (RNA) » était la forme d’agroforesterie la plus couramment rencontrée et qui permettait l’amélioration de la fertilité des sols et la production de fourrage et de gousses de ligneux comme Piliostigma reticulatum et Fedherbia albida. Elle permettait aux producteurs de disposer des densités d’arbres acceptables dans les champs tout en leur procurant du bois pour les différents usages : énergie, construction et service (LARWANOU et al., 2006 ; 2010 et 2012).
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