Production d’écrits courts : la poésie en CE2
Une définition de la poésie : la poésie comme rapport au monde
Selon le Larousse, la poésie est « l’art d’évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l’union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers ». Pour Jean-Pierre Siméon, poète et directeur du Printemps des poètes, « La poésie, c’est comme les lunettes. C’est pour mieux voir. ». Ces définitions de la poésie renvoient à une expérience et à un regard particulier posé sur le monde qui nous entoure, et donc au domaine du sensible. Même si la poésie fait parler l’imaginaire, elle renvoie à travers lui au réel, aux grandes questions métaphysiques : « Laisser les enfants se frotter très tôt à la poésie influence leur façon d’être au monde. Le poète pose un regard particulier, intense, sur ce qui l’entoure, il questionne, il va en profondeur. C’est précieux pour susciter la curiosité de l’enfant. » On voit donc la difficulté d’enseigner la poésie à l’école comme une discipline, puisque c’est un genre littéraire qui relève du domaine du sensible, et de la subjectivité du lecteur autant que de celle de l’auteur.
La poésie à l’école
Dans les représentations des élèves, la poésie est souvent associée à la récitation. Or, ce genre littéraire, riche et multiple, peut être abordé de différentes manières : non seulement par la découverte et l’apprentissage de poèmes mais aussi par des jeux poétiques ou par la production de poèmes par les élèves eux-mêmes. En effet, la poésie permet aux élèves, par les formes multiples qu’elle prend, de s’éloigner de la norme pour mieux la comprendre. En cela, elle complète l’étude formelle de la langue et invite les lecteurs à entreprendre des stratégies de 2C. Galice, Demande au poème, Bayard, janvier 2010 6 lecture variées. Par l’écriture de poèmes, les élèves sont également amenés à manipuler, réécrire des formules, des mots, des idées… Pour le groupe d’Ecouen 3 , travailler des poèmes permet d’en comprendre et d’en maîtriser le fonctionnement. Les jeux poétiques permettent de prendre en compte l’imaginaire des élèves tout en le liant au fonctionnement linguistique du poème, de les faire travailler sur des activités créatives plus larges que la simple récitation de poèmes et de les confronter à d’autres thèmes que le « joli » en poésie, notamment par la fréquentation d’œuvres contemporaines. L’objectif de faire travailler les élèves sur la poésie en général et sur la production de poèmes en particulier est donc que les élèves, qui auront acquis une expérience de la poésie, soient en mesure de « lire, dire et écrire » des poèmes de leur propre initiative. Le but de ces apprentissages menés à l’école serait alors paradoxalement de « déscolariser la poésie ».
La poésie dans les programmes du cycle 2
Dans les programmes de 20154 , la poésie est associée à plusieurs domaines du Français au cycle 2 : – Au langage oral par la mémorisation, la récitation et la mise en voix de textes poétiques notamment ; – À la lecture et compréhension de l’écrit par « la fréquentation d’œuvres complètes […] empruntées à la littérature de jeunesse et à la littérature patrimoniale (albums, romans, contes, fables, poèmes, théâtre) » ; – À l’écriture en lien avec la copie mais également avec la production d’écrits en demandant aux élèves de mettre en œuvre une démarche de production de textes en s’appuyant sur l’identification de caractéristiques propres à différents genres de textes. Les programmes officiels ne cantonnent donc pas l’apprentissage de la poésie à la simple récitation comme peuvent le laisser penser les représentations des élèves et de certains 3 Groupe de recherche d’Ecouen, Former des enfants lecteurs et producteurs de poèmes, Hachette Education, 2007. 4Bulletin officiel spécial n°11 du 26 novembre 2015 7 enseignants. Ce genre littéraire est mis au service de l’étude de la langue, du langage oral et de la production écrite. On peut ainsi dire que l’étude de la poésie permet de « lire, dire, écrire ».
Les objectifs d’apprentissages : la poésie pour lire, dire, écrire
Comme le dit Jean-Pierre Siméon dans l’ouvrage La poésie au quotidien6 , la poésie est marquée par l’absence de règles. La poésie constitue ainsi un écart à la norme qui va permettre aux élèves de renforcer le sentiment de la norme et la conscience linguistique : « La lecture, l’écoute et la diction du poème induisent nécessairement une prise de conscience de la langue comme objet, engagent donc à cette conscience métalinguistique qui est le premier pas indispensable vers la maîtrise de la langue. » L’étude de la langue permet de structurer et ordonner la connaissance des règles par les élèves. Par l’écriture et la réalisation de jeux poétiques, les élèves pourront manipuler et transgresser les règles apprises, à condition qu’ils mettent une intention particulière à cette écriture (entre une « intention artistique » et une « attention esthétique »). La poésie s’oppose à la langue de la communication dans laquelle un mot équivaut à un sens (on doit comprendre sans ambiguïté le message) puisque la poésie se veut justement polysémique. Pour appréhender un poème, l’élève ne peut donc pas se contenter d’être un lecteur passif, il doit affiner ses stratégies de lecture. Il devient ainsi nécessaire d’émettre des hypothèses sur les relations qui existent entre les mots qui ont été choisis par l’auteur au-delà de leur sens premier. En termes de compréhension, le débat interprétatif permet de trouver un équilibre entre l’explication littérale du poème d’un côté (qui serait paradoxale du fait de la polysémie des poèmes) et l’absence systématique de commentaires pour laisser une lecture supposément libre et autonome des poèmes par les élèves de l’autre. 5 Groupe de recherche d’Ecouen, Former des enfants lecteurs et producteurs de poèmes, Hachette Education, 2007. 6 La Poésie au quotidien, ouvrage coordonné par Jean-Pierre Siméon, SCEREN Outre ces compétences liées à la maîtrise de la langue, la poésie permet de travailler la production des élèves. Comme exprimé dans l’ouvrage Former des élèves lecteurs et producteurs de poèmes, l’objectif de cet apprentissage est que les élèves soient capables de leur propre initiative de « lire, dire et produire des poèmes ». Pour cela, il s’agit : – de donner à lire en classe des poèmes pour que les élèves aient cette expérience particulière de lecture qui se différencie des autres lectures qu’ils sont amenés à rencontrer au cours de leur scolarité (romans, textes documentaires…) puisque la poésie relève d’un regard particulier sur le monde, que l’on pourrait qualifier d’existentiel ; – de mettre en place des pratiques qui permettent de développer l’imaginaire ; – de construire des compétences linguistiques : amener les élèves à cerner les caractéristiques des poèmes par rapport à d’autres types de textes en identifiant la superstructure des poèmes étudiés (architecture particulière, silhouette, ouverture, progression, clôture…) et le fonctionnement particulier du langage (phonèmes, graphies, rythmes…). C’est l’expérience vécue essentiellement lors de leur scolarité qui pourra leur donner le désir et la possibilité de « lire, dire et produire des poèmes ». Pour cela, il faut que la poésie ait une place particulière dans les pratiques de la classe voire de l’école
Pistes pédagogiques
La plupart des élèves ont peu d’expérience de la poésie en dehors de l’école, quand ce n’est pas aucune. Les ouvrages relatifs à la poésie à l’école s’accordent à dire que les apprentissages ne doivent pas se limiter à des séances ponctuelles et cloisonnées mais doivent s’insérer dans la vie de la classe. La poésie doit être pratiquée quotidiennement dans la classe, avec une continuité et une variété des actions pédagogiques. Afin que les élèves soient en mesure de dire, lire et écrire des poèmes, ils doivent être confrontés à des répertoires larges (classiques, modernes ou contemporains) et à des formes, tons et registres variés. Pour cela, plusieurs dispositifs sont envisageables : mise à disposition de livres, vers écrits au tableau, poème du jour… En effet, plus les élèves auront fréquenté des œuvres et des auteurs variés, plus ils auront la capacité de produire eux-mêmes des textes, même si dans un premier temps cette production passe par l’écriture-imitation. 9 Dans le document « La poésie à l’école7 », il est ainsi conseillé de « varier les modes d’entrée et d’appropriation afin que chaque enfant crée sa propre culture poétique et que tous les enfants de la classe accèdent à une culture commune ». Cela passe par la mise à disposition de recueils différents dans la classe pour permettre un travail individuel et inciter chaque élève à expliciter le cheminement qui l’a conduit vers le recueil qu’il aura choisi. Aux activités de lecture et d’écoute, peut également être associé un travail d’illustration graphique et sonore pour interpréter les poèmes, de même que la copie avec et sur des supports variés (calligraphie, instruments, type de papier…). Le regard porté sur la mise en espace du poème est également important : mise en forme sur la page, agencement…. Les jeux poétiques permettent de développer l’imagination et la créativité, en imposant des règles ou des contraintes, ou justement en s’en libérant. En se référant à des œuvres poétiques, ces jeux permettent aux élèves d’entrer en poésie en jouant avec les lettres, les mots, leur sens ou leurs rythmes8 . Ces jeux permettent de jouer avec les sonorités, de repérer des structures, des rimes ou des formes de poèmes, d’affiner la discrimination auditive ou de travailler les relations phonie/graphie. Différents types d’activités peuvent être proposés : virelangues, tautogrammes, poésies en puzzle, mots-valises, acrostiches, anagrammes, calligrammes, caviardage de texte etc. Le groupe d’Ecouen propose trois types d’activités : – Les ateliers à tremplin affectif et imaginaires qui permettent aux élèves de travailler leur imaginaire à partir d’une situation « tremplin » : les élèves notent des mots ou bribes de phrases que leur suggèrent une situation. Ces mots sont ensuite mis en commun sur un affichage qui pourra alors nourrir l’imaginaire de tous les élèves. Chaque élève produit ensuite un poème original à partir de règles et de contraintes qu’il s’impose lui-même. – Les chantiers-poèmes (« écrire à la manière de… ») pour apprendre aux élèves à produire un poème à partir d’un texte de référence : l’enseignant propose un poème qui fera l’objet d’une analyse afin d’identifier la silhouette du poème, sa dynamique, les mises en jeu particulières. En fonction de la structure identifiée, des contraintes 7 Document Edcuscol, La poésie à l’école, mars 2004, mis à jour 2010 d’écriture sont définies. Les élèves écrivent alors un premier poème qui fait l’objet d’une relecture selon les critères définis, puis d’une réécriture. – Les activités d’entrainement à la diction qui permettent de faire le lien entre produire un poème et le dire pour que les auditeurs le « reçoivent ». Le Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN) a travaillé sur le « texte recréé9 », dispositif qui permet de reconstituer collectivement l’intégralité d’un poème de mémoire. Un texte est proposé aux élèves qui le lisent. Le texte est ensuite caché et individuellement, les élèves doivent le réécrire. Par groupes de 4, les élèves échangent ensuite et doivent se mettre d’accord sur une version. Puis collectivement, on essaie de parvenir à une production commune. On affiche ensuite le texte original et on le compare avec la production du groupe. Enfin, le texte est à nouveau occulté, et des volontaires essaient de redire le poème. On se rend compte avec ce type de dispositif qu’on ne peut réussir à reconstituer un texte que par un travail collectif, ce qui fait émerger une dynamique au sein du groupe classe. Les désaccords permettent par ailleurs de travailler sur le fond et la forme du texte (quelle était l’intention de l’auteur en passant par tel procédé linguistique ?). Ce procédé permet de travailler plusieurs points : – Les élèves ne sont plus des lecteurs passifs mais ils deviennent acteurs de l’écoute ; – Une attention particulière est portée au processus de création utilisé par l’auteur (les élèves sont amenés à développer une vigilance particulière vis-à-vis du texte et de la langue) ; – Une dynamique collective est créée : les élèves ont besoin les uns des autres pour réussir.
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