PRODUCTION D’ANTICORPS ET DE CYTOKINES DIRIGES CONTRE LE PALUDISME CHEZ LES ENFANTS
Malgré les efforts considérables consentis pour le contrôle du paludisme, il demeure toujours un problème de santé publique en Afrique surtout chez les enfants et les femmes enceintes. Ceci peut être dû à l’inadéquation des stratégies de lutte dans les zones endémiques. Face à cette situation plusieurs stratégies de prise en charge du paludisme ont été mise en œuvre. Pour le traitement du paludisme simple, devant l’émergence et la propagation de la résistance de P.falciparum, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a recommandé depuis 2004 dans tous les pays d’endémie palustre l’utilisation des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA) pour le traitement des cas de paludisme simple (WHO Press 2010). Dans le domaine de la prévention plusieurs études ont montré que la chimioprophylaxie permettrait de réduire considérablement le risque de développer une infection palustre (Kobbe et al. 2007; Mockenhaupt et al. 2007; consortium 2009). Dans les régions endémiques, la chimioprophylaxie protège les femmes enceintes et les enfants contre les épisodes palustres, l’anémie et les décès (Geerligs et al. 2003). La chloroquinorésistance a conduit à la mise en place d’une intervention supplémentaire de prévention du paludisme dénommée Traitement Préventif Intermittent ; elle a été adoptée chez les femmes enceintes depuis 2003 au Sénégal. Cette stratégie dénommée TPIg consiste à l’administration directe d’au moins 2 doses de SP au cours des deuxième et troisième trimestres de la grossesse. Des études ont montré que le TPIg/SP était efficace pour réduire la prévalence de l’anémie maternelle, du faible poids de naissance et de l’infection placentaire (Geerligs, Brabin et al. 2003). Dans les zones de transmission saisonnière du paludisme comme les pays du sahel, l’incidence du paludisme est élevée chez les jeunes enfants (Genton et al. 1995; Snow et al. 1997; Rogier et al. 1999). Dans ces zones le risque de développer un paludisme clinique est strictement limité à la période de transmission (3 à 4 mois). Dans ces zones plusieurs études ont démontré que l’administration de la SP+AQ aux enfants âgés de 3 mois à 10 ans mensuellement pendant les pics de transmission est une stratégie efficace de prévention du paludisme (Cissé et al). La chimioprophylaxie antipalustre bien menée protège contre les cas cliniques ; cependant elle pourrait à la longue entraver le développement d’une immunité anti-palustre. Du point de vue immunologique, la production d’anticorps spécifiques dirigés contre les parasites chez les sujets sous TPI n’est pas encore bien documentée. Il est certain qu’une chimioprophylaxie prise régulièrement (comme c’est le cas chez les expatriés vivant pendant un temps limité en zone d’endémie) empêche le développement d’une immunité anti-palustre. Cependant, la situation est moins claire si on analyse les effets de la chimioprophylaxie de masse (par exemple TPI en zone d’endémie). Chez la femme enceinte, des auteurs ont montré que l’acquisition de l’immunité anti palustre semblerait être retardée chez les multigestes sous TPI/SP comparé au groupe témoin (Staalsoe T et al, 2004). D’autres parts, le profil des cytokines et du rapport Th1/Th2 joue un rôle important dans la protection contre 2 certaines maladies parasitaires. En effet, la sécrétion des cytokines inflammatoires (Th1) comme l’IFN par les cellules NK serait essentielle pour les contrôle des infections parasitaires telles que la toxoplasmose, la trypanosomiase, la leishmaniose et le paludisme (Korbel et al,2004). Or, dans le cas de la grossesse, la production ferait plutôt en faveur des cytokines Th2 ce qui permettrait d’assurer l’acceptation, de l’allogreffe fœtal (Liu et al, 2004). L’impaludation pendant la grossesse représente ainsi une situation complexe au cours de laquelle l’organisme devrait assurer le maintenant et le développement du fœtus mais également la lutte contre l’infection, ainsi se dessine un nouveau profil dans lequel certaines cytokines Th1 comme l’IFNγ permettrait d’assurer la lutte contre les parasites (Moore et al, 1999) alors que l’IL10 empecherait le rejet du fœtus en inhibant l’action des cellules NK (Hadinedoushan et al, 2007). Au Ghana les résultats d’une étude plus récente montre globalement une augmentation des taux sériques IL10 et de G-CSF chez les femmes enceintes présentant un paludisme asymptomatique comparativement à des femmes enceintes non infectées (Wilson et al, 2010). De plus il a été établi que la protection contre paludisme chez la femme enceinte serait associée a une forte production d’IFNγ par les cellules mononuclées du placenta (Moore et al, 1999). Même l‘efficacité protectrice contre la morbi-mortalité palustre du TPIc a été démontrée, du point de vue immunologique, la production d’anticorps spécifiques dirigés contre les parasites chez les enfants sous TPIc n’est pas encore bien documentée. Basé sur le model murin, de nombreux antigènes sanguins de Plasmodium ont été identifiés pour le développement de candidats vaccins. Parmi eux, l’Apical Membrane Antigen 1 (AMA1) exprimé au cours du stade érythrocytaire et la Glutamate Rich Protein (GLURP) exprimé au cours des stades préérythrocytaire et érythrocytaire ont été étudiés comme étant des candidats vaccins prometteurs. Ces deux antigènes sont bien conservés dans toutes les espèces plasmodiales et jouent un rôle important dans l’invasion érythrocytaire et à la croissance parasitaire. Une immunisation avec l’antigène GLURP et AMA1 recombinant induit des niveaux de protection élevés contre P.yoelli chez la souris (Narum et al. 2000) et contre P.falciparum chez le singe Aotus (Stowers et al. 2002). Plusieurs études d’immunisation passive et/ou active ont montré que ces deux antigènes suscitent des réponses immunitaires protectrices ((Bouharoun-Tayou et al. 1995; Theisen et al. 1998; Hermsen et al. 2007; Miura et al. 2007). D’autres études ont également montré que la production d’anticorps cytophiles à ces antigènes était plus élevée que les non cytophiles ce qui démontre leur importance dans le développement d’une immunité antipalustre (Bouharoun-Tayoun et al 1992; Dodoo et al. 2000; Oeuvray et al. 2000; Lusingu et al. 2005) La stratégie du TPIe et TPIg aurait –elle un impact sur l’acquisition de l’immunité protectrice de l’enfant ?, la production d’anticorps spécifique dirigés contre les antigènes serait elle entravée par ces stratégies de chimioprophylaxie ? 3 C’est dans ce contexte que s’inscrit notre travail de Master dont l’objectif principal était de fournir des informations sur l’impact du TPI sur l’acquisition d’une immunité protectrice chez l’enfant et chez la femme enceinte, ceci pour une bonne orientation des politiques de prise en charge du paludisme et ainsi renforcer les programmes de contrôle du paludisme. Les objectifs spécifiques étaient de: 1- Mesurer l’impact du TPIe sur la production d‘anticorps spécifiques (IgG) dirigés contre les antigènes AMA1 et GlurpR0 de P.falciparum par ELISA 2- Déterminer l’impact du TPIg sur la production des cytokines l’IFN ; le TNF, l’IL12 et l’IL10
Physiologie du paludisme
A l’échelle des tissus et des cellules
La connaissance de certains phénomènes, telles les défaillances multiviscérales notées lors d’un épisode de paludisme grave, est encore incomplète. En effet, l’expression du paludisme grave s’accompagne de défaillances viscérales souvent liées à l’activation endothéliale par diverses cytokines dont le TNF-alpha qui assure la cytoadhérence des hématies parasitées. La défaillance viscérale est secondaire à la séquestration de la biomasse parasitaire au niveau des veinules. Cette synthèse de cytokines est concomitante de celle des médiateurs de l’inflammation et ce, même lorsque la biomasse parasitaire séquestrée est faible. C’est pourquoi, en stimulant la synthèse locale de divers médiateurs, la séquestration peut entraîner des désordres neurologiques malgré des charges parasitaires apparemment faibles. La cytoadhérence augmente également la synthèse locale de certaines cytokines qui jouent un rôle pathogène direct. En effet, c’est l’activation endothéliale qui induit la cytoadhérence des hématies parasitées à l’endothélium des veinules post-capillaires avec, selon la conception classique, une souffrance ischémique des tissus correspondants (Dondorp et al., 2000). Il s’ensuit une perturbation de la respiration cellulaire qui détourne le métabolisme oxydatif vers la voie anaérobie avec formation des lactates (WHO, 2000). Lorsque surviennent, parfois simultanément, les troubles de la fonction rénale, de la fonction respiratoire, la diarrhée et les vomissements, le sujet connaîtra des désordres hydroélectrolytiques complexes.
A l’échelle moléculaire
Lors de la maturation de P. falciparum, la surface des érythrocytes émet des protubérances appelées knobs. Ces protubérances contiennent l’antigène PfEMPl (P. falciparum erythrocyte membrane protein) qui est le ligand principal des hématies parasitées. Les hématies contenant des parasites matures et qui expriment les knobs à leur surface échapperont au filtrage réalisé par la rate en adhérant à l’endothélium et poursuivront leur développement. Cependant, il est fréquent d’observer des hématies séquestrées présentant des formes en anneau qui n’expriment pas les knobs (Silamut et al., 1999) .Les ligands parasitaires adhèrent à divers récepteurs endothéliaux comme le CD36 qui estexprimé à l’état de base, l’ICAM-l (Inter Cellular Adhesion Moleculel) qui est inductible, le PECAM-l (Platelet endothelial cell adhesion moleculel), le CD31, le VCAM-l (Vascular cell adhesion moleculel), les sélectines E et P, la CSA (Chondroïtine Sulfate A), l’acide hyaluronique et la thrombospondine (Mazier et al., 2000). Dans ces conditions, on note aussi l’augmentation de l’expression des molécules HLA de classe II au niveau de l’endothélium des microvaisseaux cérébraux (Silamut et al., 1999). Les cytokines entraînant l’activation endothéliale et l’expression des récepteurs de cytoadhérence sont d’origines diverses et variées. Lors de l’infection par P. 6 falciparum, l’antigène GPI (Glycosyl Phosphatidyl Inositol) du parasite est capable d’induire la production de TNF-alpha (Tumor necrosis factors alpha) et de l’INüS (Inductible Nitric Oxide Synthase). De même, le parasite peut métaboliser l’acide arachidonique et synthétiser des prostaglandines pyrogéniques et somnogéniques (Clark et al, 2000). Le TNFalpha est la cytokine la plus incriminée dans la physiopathologie du paludisme. D’autres études suggèrent que le rapport entre les cytokines proinflammatoires (TNF- alpha) et anti inflammatoires (IL-I0) est le meilleur indice pour apprécier les phénomènes immunitaires sous-jacents (Clark et al, 2000). En effet, l’étude de ces mécanismes immunitaires est d’autant plus complexe que des dosages périphériques de cytokines ponctuels ne sont pas forcément corrélés avec les cytokines in situ des organes lymphoïdes profonds (Mazier et al., 2000). En inhibant le développement du parasite et des récepteurs de cytoadhérence, le NO (Nitric Oxide) est parfois considéré comme un facteur de protection (Perkins et al., 1999; Kun et al., 1998). Parfois encore, son rôle dans la pathogénicité est mis en évidence lors des accès pernicieux (Maneerat et al., 2000 ; Burgner et al., 1998). Certains auteurs pensent que le rôle protecteur ou pathogène du NO tient à la diversité de ses origines. Lors de la formation de la liaison entre le fragment Fc des IgE et le CD23 des macrophages humains, il y a une induction de l’INOS (Dugas et al., 1995) ainsi que la synthèse du NO. Les globules fouges ont aussi une activité NO-synthétase (Ghigo et al., 1995; Tachado et al., 1996). Certains auteurs ont montré que la baisse de l’IL-I0 est corrélée avec l’anémie palustre. Les IgE totales et spécifiques, dans l’infection à P. falciparum, sont en quantité significativement plus élevée dans les cas de paludisme grave que dans les accès simples (Perlmann et al., 1997). En présence des IgE, les monocytes circulants chez les sujets faisant un accès palustre grave ont une capacité augmentée de production de TNF- alpha (Perlmann et al., 1997).
Immunité dirigée contre le paludisme
Dans les zones où sévit le paludisme, les sujets infectés par P. falciparum développent deux types de protection immunitaire: l’immunité non-spécifique et l’immunité adaptative.
Immunité non-spécifique
Ce type d’immunité n’exige pas le développement préalable d’une mémoire immunitaire. Elle contribue à éliminer le parasite par la phagocytose ou les sécrétions parasitaires par la pinocytose. Les phagocytes de la lignée mononuclée (monocytes et macrophages) ainsi que les lymphocytes sont recrutés dans le sang périphérique et contribuent, en synergie avec les cellules spléniques reconnues pour leur rôle de barrière antiparasitaire, à augmenter la capacité de la rate à filtrer les parasites et celle des cellules phagocytaires à les éliminer (Cruz et al., 2000). Les cellules folliculaires dendritiques accomplissent des fonctions importantes qui sont à l’origine de l’immunité spécifique : identification et lecture du message 7 antigénique, initialisation de la mémoire immunitaire et stimulation des cellules naïves (Cruz Cubas et al., 2000).
Immunité adaptative
C’est une immunité que les sujets acquièrent progressivement dans le temps. L’immunité à médiation cellulaire et l’immunité à médiation humorale en sont les 2 principales composantes.
Immunité cellulaire
Le développement de la réponse immune ne nécessite ni un grand nombre d’infections ni la présence du parasite qui l’a induite pour se maintenir. L’immunité à médiation cellulaire a un délai d’acquisition relativement court et assure la protection par l’inhibition de la multiplication parasitaire. Une infection de faible intensité rapidement contrôlée, même dans des conditions non naturelles, peut induire cette réponse immune protectrice (Pombo et al., 2002). Certains antigènes plasmodiaux entraînent une production d’anticorps dans le cadre d’une coopération lymphocytaire T/B, impliquant les lymphocytes T CD4+. Il a été démontré, dans le modèle murin, l’existence d’une dichotomie des lymphocytes CD4+ en cellules Th1 (productrices d’INF-y et d’IL-2) et Th2 (productrices d’IL-4, IL-S, IL-6, IL-10). Les mécanismes effecteurs des lymphocytes Thl sont précoces et anticorpsindépendants et les lymphocytes Th2 interviennent plus tardivement (Mosmann et al.,1996). Chez l’homme, cette dissociation fonctionnelle des CD4+ en deux sous-populations a été également reconnue et des expériences in vitro ont montré que ces lymphocytes intervenaient de façon spécifique en réponse à la stimulation par des antigènes plasmodiaux (Romagnani et al., 1991 ; Mosmann et al, 1996). Les mécanismes de cette réponse immune précoce contre les antigènes de P. falciparum, chez l’homme, sont essentiellement caractérisés par la prolifération des lymphocytes Thl (CD4+ et CD8+) et en l’absence d’anticorps (Pombo et al., 2002). Son induction est accompagnée de la production d’une cytokine de type Th1, l’IFN-y (Good, 2001 ; Pombo et al., 2002). L’action de l’IFN-y et l’activité de l’oxyde nitrique produit par les cellules mononuclées du sang périphérique jouent un rôle clé dans l’obtention de cette réponse immunitaire (LutY et al., 1999 ; Pombo et al., 2002).
INTRODUCTION. |