Processus engagés dans la rémanence
Les données issues du réseau OPERA
Deux types de mesures sont réalisés sur les échantillons obtenus à partir des prélèvements des stations OPERA. Une première détermination gravimétrique est réalisée par la pesée des filtres avant et après exposition sous des conditions de température et d’humidité similaires (24 heures en étuve à 40 °C). Cette mesure, réalisée en routine depuis mars 2007, permet d’estimer la masse totale de particules en suspension prélevée durant l’échantillonnage. Le second type de mesure consiste à déterminer les niveaux d’activité de différents radionucléides présents dans l’échantillon par spectrométrie gamma.
La spectrométrie gamma
La mesure de l’échantillon est confiée au Laboratoire de mesure de la radioactivité dans l’environnement (LMRE) de l’IRSN (DEI/STEME/LMRE) à Orsay (91), où les filtres sont réceptionnés et conditionnés. Ce laboratoire dispose d’une batterie de détecteurs entourés de plomb archéologique de très faible activité, eux-mêmes située dans une salle de mesure blindée par un mur de briques de plomb de faible activité intrinsèque, d’une épaisseur de 10 cm et recouvert de plaques de cuivre électrolytique de 0.5 cm d’épaisseur, le tout situé au deuxième sous-sol du bâtiment sous une dalle de béton pleine de 3 m d’épaisseur. Ce dispositif permet de limiter en partie l’impact du rayonnement cosmique sur la mesure réalisée. Pour optimiser les limites de détection, l’air des salles de mesures est ventilé et filtré en permanence à partir d’une prise d’air faite à une hauteur d’une dizaine de mètres, afin de réduire la concentration en radon et celle de ses descendants. Dans le cas d’échantillons de très faibles activités, la mesure est réalisée au Laboratoire Souterrain de Modane (LSM) où la protection vis-à-vis du rayonnement cosmique est assurée par une épaisseur de roche d’environ 1 700 m. Chaque filtre de prélèvement est thermocomprimé puis conditionné avec un second filtre contigu dans une géométrie de 60 ml, géométrie standard du LMRE pour laquelle existe un étalon en résine équivalent eau, provenant du Laboratoire des Etalons et Intercomparaison de l’IRSN (DEI/STEME/LEI). Les filtres conditionnés sont mesurés sur l’un des 7 détecteurs du LMRE. Leurs caractéristiques en efficacité relative, résolution et bruit de fond sont reportées dans la table 1-2. L’analyse par spectrométrie gamma permet une mesure quantitative de plusieurs radionucléides présents dans l’échantillon prélevé. Le principe général de cette technique consiste à mesurer les émissions de photons gamma issus des désintégrations radioactives. Chaque radionucléide ayant une énergie d’émission caractéristique, les spectres en énergie obtenus permettent de quantifier leur concentration. Un exemple de spectre obtenu par spectrométrie gamma est donné dans la figure 1-7. Sur ce spectre, il est possible de distinguer le pic caractéristique du Plomb-210 à 46 keV ainsi que celui du Béryllium-7 à 477 keV et également quelques raies caractéristiques de la radioactivité naturelle ambiante à 1 460 keV pour le Potassium-40, 2 614 keV pour le Thallium-208, 911 keV pour l’Actinium-228 ou encore le Bismuth214 à 609 keV, puisque ce détecteur ne se trouve pas dans la salle blindée qui protège de cette radioactivité ambiante. Le pic aux alentours de 662 keV correspondant à la détection du césium-137 à partir de la raie d’émission gamma du baryum-137 métastable avec lequel il est en équilibre. Les spectres obtenus par les différents détecteurs sont ensuite analysés à l’aide du logiciel Genie 2000 de Canberra. Pour finir, deux facteurs de correction sont appliqués aux activités obtenues : un facteur de correction de l’auto-atténuation, calculé à l’aide du logiciel Gammatool, et un facteur de correction de coïncidences calculé avec le logiciel GeSpeCor. Les temps de comptage sur les détecteurs sont compris entre 160 000 et 480 000 secondes. Les limites de détection typiques ainsi obtenues sont pour le césium-137 de 0.1 µBq.m-3 et de 0.05 µBq.m-3 pour les mesures à Modane. Figure 1-7 : Spectre obtenu sur la voie anti-coïncidence du système anti-Compton (51C) en 400 000 secondes.
Les radionucléides mesurés
L’analyse par spectrométrie gamma permet de mesurer directement ou indirectement les niveaux d’activité de plusieurs radionucléides d’origine naturelle ou artificielle présentés ci-après. Les énergies d’émission des raies gamma données dans les parties suivantes correspondent aux pics d’énergie utilisés pour leur détection.
Les radionucléides naturels
Le béryllium-7, radionucléide à vie courte (T1/2 = 53.3 jours), a une raie d’émission caractéristique à 477.6 keV. Il est formé dans la haute atmosphère par des réactions de spallation2 entre les rayons cosmiques et les molécules de N, O et C présentes dans l’atmosphère. Se formant principalement dans la stratosphère, à 67 % contre 33 % dans la troposphère, ce radionucléide est utilisé pour étudier les échanges entre ces deux couches atmosphériques (Gerasopoulos et al., 2001 ; Abe et al., 2009). Sa concentration est fonction de l’altitude et dépend également de la latitude (Kulan et al., 2006). Le taux de formation de ce radionucléide présente un cycle de 11 années à rapprocher du cycle solaire et de son activité, ces deux cycles se trouvant être en opposition de phase (Kulan et al., 2006). Le taux de formation du 7 Be est alors corrélé à l’intensité des rayons cosmiques à l’origine de sa formation. Après sa formation, ce radionucléide se trouve attaché aux aérosols ambiants dans le mode accumulation (Papastefanou et Ioannidou, 1996 ; Winkler et al., 1998 ; Papastefanou, 2006) et atteint la surface terrestre principalement par dépôt humide (Caillet et al., 2001 ; Likuku, 2006 ; Duenas et al., 2009). Sous nos latitudes, sa concentration dans l’air présente également un cycle annuel, avec un maximum au printemps et à l’été, dû à une fréquence plus importante des intrusions d’air stratosphérique à cette période et un mélange vertical dans les basses couches plus efficace (Ioannidou et al., 2005 ; Kulan, 2006 ; Valles et al., 2009 ; Duenas et al., 2009 ). Le sodium-22 est un émetteur gamma (1 275 keV) à vie longue (T1/2 = 2 605 ans). Ce radionucléide a principalement une origine cosmogénique et se forme par réaction de spallation entre les rayons cosmiques et l’argon dans la haute atmosphère. Sa concentration dans les basses couches peut également être utilisée pour étudier la dynamique des processus atmosphériques (Tokuyama et Igarashi, 1998 ; Jasiulionis et Wershofen, 2005). Le potassium-40 est un élément primordial et émetteur gamma (1 460 keV) à vie très longue (T1/2 ~ 109 ans). Cet isotope est trouvé à l’état de trace dans le potassium naturel puisqu’il représente, en termes de fraction molaire, 0.01% du potassium total trouvé sur la surface terrestre (Isotopic Compositions of the Elements, 2001). Le potassium est un nutriment essentiel pour la biomasse et pour l’homme. Son isotope radioactif se retrouve alors dans la majorité des types de sols et dans la végétation. Il est responsable de la majorité de la radioactivité du corps humain, soit environ 4 000 Bq chez un adulte. Il peut être utilisé comme radio-traceur de particules minérales (Hernandez et al., 2005 ; Karlson et al., 2008 ; Valles et al., 2009) ou de celles issues de la combustion de biomasse (Bourcier et al., 2010). Le plomb-210, à vie relativement longue (T1/2 = 22.3 ans), présente une raie d’émission gamma à 46.5 keV. Il est issu de la chaine de désintégration de l’uranium-238 présent dans les sols et est l’un des descendants du gaz radon. Son introduction dans l’atmosphère se fait par deux voies distinctes. Il est soit formé directement dans l’atmosphère par les désintégrations successives du radon-222 (3.8 jours) suite à son exhalation sous forme gazeuse à partir des sols, on parle alors de 2 Réaction nucléaire où des fragments de décomposition sont émis lors de l’interaction entre un noyau cible et une particule incidente de grande énergie. 28 plomb en excès ou non supporté, soit formé dans les sols et intégrant le compartiment atmosphérique lorsque des particules de sols sont remises en suspension, on parle alors de plomb supporté. La figure 1-8 présente schématiquement cette suite de désintégration. Après sa formation, il s’attache à des aérosols majoritairement submicroniques (Winkler et al., 1998 ; Papastefanou et Ioannidou, 1996 ; Camacho et al., 2009). De part sa source de production, sa concentration diminue lorsque l’altitude croit ou au dessus des surfaces marines. Il peut alors être utilisé pour tracer les masses d’air continentales (Caillet et al., 2001 ; Likuku, 2006) et sert de base à de nombreuses études sur la dynamique des processus atmosphériques, le plus souvent en complément de radionucléides d’origine cosmogénique comme le 7 Be (Caillet et al., 2001 ; Ioannidou et al., 2005 ; Papastefanou, 2006 ; Likuku, 2006 ; Abe et al., 2009 ; Duenas et al., 2009). Figure 1-8 : Schéma de la chaine de désintégration du 222Rn au 210Pb
Les radionucléides artificiels
L’iode-131 est un émetteur gamma (364 keV) à vie courte (T1/2 = 8.04 jours). Il peut être produit naturellement lors de réactions spontanées se produisant dans l’uranium naturel ou avoir une origine anthropique. C’est un radionucléide important d’un point de vue sanitaire en raison de sa grande mobilité, sa grande réactivité chimique, sa bonne assimilation dans l’organisme et également son accumulation dans la glande thyroïde (AIEA, 1996 ; OCDE, 2002 ; AIEA, 2005). Des quantités importantes ont été libérées dans l’environnement lors des divers accidents nucléaires au siècle dernier. L’accident de Tchernobyl, le plus important d’entre eux, a libéré à lui seul une quantité de 131I comprise entre 1.2 et 1.8 1018 Bq (UNSCEAR, 2000 ; OCDE, 2002 ; AIEA, 2005). Du fait de sa courte période radioactive, la quantité totale d’131I déposée sur l’ensemble de la planète 29 a rapidement disparue (Renaud et al., 2007). Ainsi, ce radionucléide ne peut être traité dans le cadre de ces travaux s’intéressant aux processus de remise en suspension à partir d’anciens dépôts. Le césium-134 est un émetteur bêta de période de décroissance radioactive de 2.1 années. Son introduction dans l’environnement est consécutive à l’accident de Tchernobyl en 1986 et de l’ordre de 50 1015 Bq (UNSCEAR, 2000 ; OCDE, 2002 ; AIEA, 2005). A l’inverse de l’131I, sa période de décroissance radioactive permet de considérer un dépôt au sol plusieurs années après un rejet accidentel (Schimmack et Schultz, 2006). L’évolution des niveaux d’activité associés à ce radionucléide sera discutée ultérieurement. Le césium-137 est un émetteur bêta ( – ) à vie relativement longue (T1/2 = 30.07 ans). Il est mesuré indirectement par spectrométrie gamma à partir de la raie d’émission à 661,7 keV de son fils, le 137m Ba (T1/2 = 2.55 minutes) (figure 1-9). Ce radionucléide a la particularité d’être exclusivement d’origine anthropique et est produit lors de la fission de l’uranium. Ces principales voies d’introduction dans l’environnement sont les essais nucléaires atmosphériques, les rejets accidentels et à un moindre niveau le cycle du combustible (cf. partie 1.3.1). Le 137Cs appartient à la classe des métaux alcalins. Dans l’environnement, son comportement chimique est très proche de celui du potassium, le 137Cs et le 40K pouvant dès lors être considérés comme des analogues d’un point de vue chimique. Il peut être intégré au cycle biologique de façon similaire aux nutriments essentiels à la croissance des végétaux. Dans la majorité des sols, ce radionucléide est considéré comme très peu mobile en raison de sa grande affinité avec les alumino-sillicates, de la famille des argiles, et se retrouve majoritairement dans les couches superficielles plusieurs années après son introduction (Colle et al., 2005). De manière générale, il est l’un des radionucléides les plus étudiés dans l’environnement de part sa biodisponibilité, sa période de décroissance radioactive relativement longue et sa toxicité radiologique.
INTRODUCTION GENERALE |