Processus de subjectivation/symbolisation
Les auteurs (Balier, 1996 ; Ciavaldini, 1999) relèvent chez les auteurs de violence sexuelle une altération de la capacité de mentalisation. De cette insuffisance résulte l’emploi de mécanismes de défense archaïques et la profonde difficulté à accéder à la représentation et à l’affect qui lui est lié. Aussi, Ciavaldini (1999) considère que la possibilité d’un changement psychique pour ces sujets passe par une amélioration de sa capacité à mentaliser. Il propose de désigner par le terme de « pragmatique de la mentalisation », « ce qui sera efficace pour permettre à des sujets délinquants sexuels de parvenir à mentaliser enfin leurs actes dans le registre de l’intersubjectivité. ». En outre, cet auteur insiste sur l’importance de travailler la dimension affective, le processus de subjectivation reposant sur celle-ci (Ciavaldini, 2007). Ce terme de « mentalisation », caractérisant le processus qui permet d’intégrer la pulsion dans la psyché du sujet par l’activité représentative, est utilisé classiquement par les psychosomaticiens. Il semble équivalent au terme de symbolisation conceptualisé par Roussillon (2014). Aussi, je propose d’approfondir ce point en revisitant les concepts liés à la naissance de la vie psychique, à la symbolisation et à la subjectivation.
Des traumas primaires
La pratique psychanalytique avec des patients et dans des situations « limites » (Chabert, 2007) met en évidence des souffrances et traumas qui ne s’inscrivent pas dans une problématique œdipienne mais plutôt avec des avatars dans la constitution du narcissisme. Roussillon (1999) les désigne comme « traumas primaires » pour les distinguer des « traumas secondaires » liés au refoulement et aux problématiques névrotiques. Les traumas primaires, quant à eux, sont gouvernés par le mécanisme du clivage. Ils se caractérisent par l’absence d’inscription de l’évènement traumatique dans l’espace de pensée du sujet. Le déroulement du processus n’obéit pas au principe de plaisir-déplaisir mais plutôt à celui de la compulsion de répétition « au-delà du principe de plaisir » (Freud, 1920). Les défaillances narcissiques plongent le sujet dans un désespoir et une honte sans issue. Processus de subjectivation/symbolisation 62 Bertrand (2007) considère comme un problème de subjectivation cette impossible représentation du trauma, ni comme évènement dans le psychisme, ni même sous forme d’un « jeu » dans une symbolisation primaire.
Subjectivation, symbolisation
Notion de subjectivation
Bertrand (2005) indique que la notion de subjectivation reprend, dans une perspective un peu différente, la question du sujet amenée par Lacan, ouvrant des perspectives théoriques et des implications pratiques. À partir de la célèbre formulation de Freud (1923) : « Wo es war, soll ich werden », Lacan (1956) repositionne le pulsionnel comme emplacement au sein duquel « je » (Ich) a le devoir, au sens moral, d’établir son être. Le sujet (je) réalisant en cela le travail de la culture (Kulturarbeit). Pour affirmer encore son propos, Lacan (1966) propose sa fameuse traduction « accentuée » : « Là où c’était, là comme sujet dois-je advenir ». Sa thèse opère une distinction radicale entre le Moi, produit de multiples identifications aliénantes, et le sujet, du côté de la vérité, sujet de l’inconscient et assujetti à ses pulsions. La notion de subjectivation s’intéresse à la structuration du psychisme dans la mesure où l’assomption subjective correspond à l’appropriation ou réappropriation subjective de motions pulsionnelles inconscientes. Ce processus concerne la réminiscence de souvenirs sous l’action de la levée du refoulement, mais aussi des vécus qui, n’ayant pas été symbolisés, demeurent isolés ou clivés à l’état de traces psychiques brutes, hors de toute mémoire, mais toujours actifs sous forme d’agirs compulsifs. Ainsi, le processus de subjectivation demeure, par essence, inachevé, et le sujet, selon la formule de Lacan, ne réalise jamais la visée identitaire unifiante du Moi et reste inévitablement divisé. La subjectivation nécessite la présence d’un autre, lequel par son soutien du processus, contribue à constituer ou rétablir un espace intérieur chez le sujet. Par ailleurs, la subjectivation passe par la symbolisation des vécus, traces mnésiques, traumas primaires, en vue de leur intégration psychique.
Notion de symbolisation
Etymologiquement, le symbole désigne un objet coupé en deux, permettant aux détenteurs de chaque fragment de se reconnaitre en réunissant les parties en leur possession5 . Ainsi, le symbole, en réunissant deux univers étrangers, opère une reconnaissance et la persistance d’un lien ancien. Pour Winnicott (1971), l’objet trouvé-créé symbolise l’union entre le bébé et la mère, au point où s’inaugure leur état de séparation. L’activité de symbolisation participe de la constitution d’un univers transitionnel. On a donc affaire à une forme plus ou moins élaborée de mise en pensée de la séparation, et à ce titre de reconnaissance de sa subjectivité. Roussillon (2014) définit la symbolisation comme un processus d’organisation progressif de la perception et de sa signification au sein du psychisme, en quatre temps : – Le premier temps est somatique et correspond à la perception des stimuli à un niveau corporel – Le deuxième temps correspond à l’investissement de la perception par la libido, au niveau du Ça. Il s’agit d’un premier mode d’organisation, à un niveau pré-représentatif et pré-subjectif. – Au troisième temps, Le Moi est affecté par cette perception organisée et investie libidinalement et l’intègre à un niveau primaire de symbolisation. La perception devient alors une représentation de chose. – Au quatrième temps, la perception devenu représentation de chose se fraye un chemin jusqu’au Préconscient et, se heurtant à la censure, subit un travail de mise en sens. Elle devient une représentation de mot, permettant une formulation par le sujet de ce qu’il admet avoir perçu.