Proposition de clarification des terminologies de diffusion, adoption, implémentation et appropriation d’une innovation
Nous proposons ici une clarification des notions de diffusion, adoption, implémentation et appropriation basée sur une littérature variée sur les innovations en général et sur le BIM en particulier. Des hypothèses sont avancées pour expliquer les confusions observées dans la littérature.
Diffusion de l’innovation
La Diffusion est « un concept qui représente la propagation de l’innovation dans une population d’adoptants » (Stoneman, Diederen 1994; Succar, Kassem 2015). Rogers (2003) définit la diffusion comme le « processus par lequel une innovation est communiquée par certains canaux au cours du temps parmi les membres d’un système social ». Cette définition met l’accent sur la notion de transmission entre les acteurs, comme l’apprentissage social ou organisationnel, mais est également très centré sur la communication dans un système social.
Ces définitions ne précisent cependant pas l’échelle de la population ou du système social concerné par la diffusion : s’agit-il de la diffusion d’une innovation au sein d’une population d’entreprises, d’individus ou de l’utilisation de plus en plus étendue d’une innovation au sein d’une même entreprise ? Pour lever cette confusion, des chercheurs ont distingué la diffusion interentreprises de la diffusion intraentreprise.
La diffusion interentreprises (Stoneman, Diederen 1994) est caractérisée par « l’augmentation au cours du temps du nombre d’entreprises utilisant ou ayant fait l’acquisition d’une technologie ». L’adoptant est ici une organisation et l’échelle de travail est une population d‘organisations. La diffusion intraentreprise (Battisti, Stoneman 2005) correspond à l’utilisation de plus en plus intensive d’une technologie au sein d’une même entreprise. Cette diffusion rejoint les notions d’apprentissage organisationnel et d’amélioration continue. Elle considère donc l’adoptant comme étant une entreprise en considérant l’échelle du groupe social des individus qui constituent l’organisation.
La définition la plus répandue de « diffusion » correspond à la diffusion interentreprises.
Adoption de l’innovation
Le terme « adoption » de l’innovation trouve de multiples définitions dans la littérature scientifique. Elle est utilisée tantôt pour faire référence :
• À la décision prise par la direction de commencer à mettre en œuvre une innovation : « L’adoption est une décision, typiquement faite par un dirigeant, qui indique que les employés de l’organisation vont utiliser une innovation dans leur travail » (Klein, Sorra 1996). Rogers différencie même deux types de décision : la décision de la direction de faire utiliser une innovation par les membres d’une organisation, et la décision collective d’acceptation de l’innovation (Rogers 2003).
• Au moment où l’on a acquis un certain niveau de maîtrise de l’innovation. Dans la littérature spécifique au BIM, ce moment est même appelé « Point d’adoption » ou PoA (Point of Adoption), faisant référence au moment où une organisation met en œuvre avec succès les outils et processus BIM. Ce moment marque le saut initial dans l’utilisation du BIM qui va ensuite être améliorée progressivement (Succar, Kassem 2016).
• À un processus long qui décrit les différentes étapes associées à la mise en œuvre d’une innovation, qui commence au moment où l’on ne connait pas l’innovation jusqu’au moment où l’on est capable de la mettre en œuvre (Rogers 2003).
Dans son ouvrage fondateur Diffusion of Innovations, Rogers a décrit le « processus de décision-adoption » en cinq étapes. Ce modèle a été adapté à plusieurs reprises et parfois renommé comme étant « le processus d’adoption » sans référence explicite à la décision dans le titre (Karlsson 1988). Plus récemment, ce modèle a été utilisé à plusieurs reprises dans la littérature spécifique au BIM pour décrire le processus d’adoption du BIM (voir Tableau 2) : l’étape de décision y est parfois devenue « le point d’adoption » (Ahmed, Paul Kawalek, Kassem 2017).
Aucun consensus ne se dégage autour d’une définition précise de la notion d’adoption.
Nous proposons ici de distinguer les différentes définitions de l’adoption en précisant s’il s’agit du processus d’adoption, de la décision d‘adoption (Decision of Adoption – DoA) ou de la confirmation d’adoption (Confirmation of Adoption – CoA).
Le processus d’adoption est donc le processus par lequel le BIM est connu, mis en œuvre, puis ancré dans les pratiques d’un adoptant qui peut être un individu ou une organisation. Au cours de ce processus, il existe un moment où la décision de mettre en œuvre l’innovation est prise (DoA) par le top-management de l’organisation. Après qu’elle ait été testée et éprouvée, il existe un moment où la prise en main de l’innovation est stabilisée au point où l’organisation peut l’utiliser dans ses projets courants : c’est la Confirmation d’Adoption (CoA). Après la CoA, les adoptants continuent à améliorer leur maîtrise de l’innovation.
Implémentation de l’innovation
Rogers définit la quatrième étape du processus d’adoption, l’implémentation, comme la mise en utilisation de l’innovation. Il s’agit d’un « ensemble d’activités réalisées pour préparer, déployer ou améliorer des livrables et des processus de travail » (Kassem, Succar 2017). Ces définitions peuvent également amener différentes compréhensions du concept. Certains travaux exploitent ainsi l’expression « implémentation du BIM » pour désigner :
• Le processus d’adoption, incluant la décision
• L’organisation de pratiques de travail BIM au sein d’une équipe de projet dont les membres sont déjà opérationnels et formés individuellement sur les pratiques BIM.
• Le processus d’amélioration continue liée à l’utilisation prolongée du BIM.
Cette définition rapproche les notions d’implémentation et de niveau de maturité ; l’expression « évaluation de l’implémentation » est même parfois utilisée en lieu et place d’ « évaluation de la maturité » comme chez (Naville, Rajeb 2016).
• La première mise en œuvre de pratiques BIM au sein d’une organisation dont les membres et l’organisation ne maîtrisent pas ces pratiques. Cette mise en œuvre du changement porte un caractère radical, qui impacte profondément les pratiques de l’organisation, comme chez (Fadeuilhe 2015).
Ces quatre interprétations font référence à des concepts différents et incompatibles dans une même notion. Le premier sera désigné par le processus d’adoption, le second fait plutôt référence à un plan d’exécution BIM. C’est la dernière définition de l’implémentation que nous utiliserons ici. L’implémentation d’une innovation fait partie du processus d’adoption. Il s’agit d’un ensemble d’activités qui ont vocation à mettre en place une technologie qui n’était jusque-là pas encore utilisée dans une organisation. Parfois appelée déploiement, elle comporte trois volets : technique (achat et mise en place des logiciels par exemple), humain (formation du personnel, embauche) et processus (mise en place de pratiques et processus de travail).
Appropriation d’une innovation
L’appropriation de l’innovation concerne le niveau de l’individu, contrairement à l’implémentation qui concerne l’échelle d’une organisation. L’appropriation est le processus individuel d’acceptation puis d’amélioration de la capacité à utiliser l’innovation (Venkatesh, Bala 2008).
Cette définition propose que l’appropriation se déroule en deux temps : l’acceptation (proche du changement radical) puis l’amélioration (qui recoupe les définitions du changement continu)54. Ainsi, le processus individuel d’acceptation peut s’apparenter au deuil (Autissier, Vandangeon-Derumez, Vas 2014): les individus connaissent une phase de choc, puis de résistance, d’exploration et enfin d’implication. Lorsque l’acceptation a eu lieu et que l’individu est impliqué dans le changement, alors la seconde phase de l’appropriation commence : l’amélioration de l’utilisation de l’innovation. Celle-ci correspond au processus d’apprentissage individuel, ou l’apprentissage par la pratique (Kim 1998). La définition générale de l’appropriation recoupe celle de l’adoption qui peut concerner l’échelle de l’individu ou de l’organisation. Pour plus de clarté, il faut peut-être préférer « appropriation » pour un individu, et « adoption » pour une organisation.
