Procédé thermo-hydraulique pour le chauffage et le
rafraîchissement dans le secteur résidentiel
Les procédés thermo-hydrauliques pourraient être un bon moyen de répondre aux différents besoins de l’habitat en ayant recours principalement à des sources d’énergies renouvelables disponibles localement. L’utilisation d’un « piston liquide » permettrait d’accroitre l’efficacité de la chaîne de conversion entre la partie motrice (coproduction de travail et de chaleur) et la partie réceptrice (consommation du travail et production de chaleur utile et/ou de froid). L’objectif de ce chapitre est d’analyser le fonctionnement de ce procédé, d’évaluer les fluides de travail potentiellement utilisables, ainsi que de définir et de quantifier les performances énergétiques du procédé. Ces performances sont estimées dans un premier temps grâce à une simulation dite « quasi-statique » qui consiste à effectuer des bilans d’énergie en quasi-stationnaire sur les échanges de chaleur ou de travail entre différents composants, ou entre les composants et les sources et puits de chaleur. Dans cette simulation tous les états intermédiaires du système thermodynamique au cours de la transformation sont des états définis et proches de l’état d’équilibre. Les différentes variantes du procédé seront étudiées, ainsi la comparaison de leurs performances permettra de définir quelle variante paraît la plus prometteuse en tenant compte également des avantages et inconvénients de chacune d’elles. Enfin les performances thermodynamiques de la variante choisie seront déterminées sur une plage de fonctionnement de température ambiante [-10 °C ;40 °C] nous permettant de définir quel couple fluide paraît le plus adapté à notre application, et de fournir un premier bilan des potentialités du procédé thermohydraulique.
Fluides de travail et composants d’un transformateur thermohydraulique
Le procédé CHV3T dans sa version la plus simple, dite CHV3T-W0 a été décrit de manière très complète dans la thèse de Matthieu Martins [53] qui a étudié ce procédé pour la production de froid dans le secteur résidentiel. Il est néanmoins nécessaire de revenir sur son fonctionnement afin de faciliter la compréhension des variantes plus complexes développées plus loin, et de définir la différence qu’implique la production de froid et de chaleur utile toujours pour le secteur résidentiel. Le principe de fonctionnement du procédé repose sur le couplage hydraulique de deux machines dithermes. L’une motrice va produire du travail à partir d’une source chaude à une température Th, et rejeter de la chaleur, valorisable ou non, à une température inférieure TmM. Le travail produit est utilisé pour alimenter un cycle dit récepteur qui consommera ce travail pour pomper de la chaleur d’une source thermique à Tb et en restituer à une température supérieure TmR. La source de chaleur à Tb correspond soit à l’intérieur de l’habitat en mode climatisation, soit à l’environnement extérieur en mode chauffage. Le schéma de principe des deux cycles dithermes est présenté dans la Figure II-1. Procédé thermo-hydraulique pour le chauffage et le rafraîchissement dans le secteur résidentiel. Chapitre II 32 Figure II-1 : Diagramme représentant le couplage entre deux machines thermodynamiques dithermes. Le cycle moteur (M) produit du travail (W) à partir de Th et rejette de la chaleur à TmM. Le cycle récepteur (R) consomme ce travail pour produire du froid à Tb ou du chaud à TmR. La spécificité du procédé thermohydraulique CHV3T réside dans le mode de transfert du travail, réalisé à l’intérieur de cylindres dits « de transfert » (notés CT) grâce au déplacement d’un fluide dit aussi « de transfert », distinct des fluides de travail, qui agit comme un piston liquide dans ces cylindres. Le fluide de transfert est en fait un liquide, donc incompressible. Si deux de ces cylindres de transfert contenant chacun un fluide de travail à l’état gazeux sont reliés ensemble via le liquide de transfert, le déplacement de ce dernier d’un cylindre à l’autre correspond à un transfert de travail avec un différentiel de pression très faible (aux pertes de charge près). C’est ce principe qui est utilisé pour transférer le travail de la partie motrice vers la partie réceptrice avec une efficacité a priori supérieure aux systèmes conventionnels. En effet le couplage mécanique entre un ORC et une pompe à chaleur par exemple engendre une chaîne de conversion peu efficace (voir section I.3.3.2), même chose avec le couplage entre une installation photovoltaïque et une pompe à chaleur. Dans le cas de la transformation thermo-hydraulique le rendement d’accouplement est a priori très élevé, car les pertes de charge dues au déplacement du piston liquide sont faibles devant les frottements piston/cylindre d’un compresseur classique et le rendement volumétrique est égal à l’unité. Évidemment l’efficacité globale de la chaîne de transformation complète entre les différentes sources et puits de chaleur doit prendre aussi en compte les rendements de conversion thermique/hydraulique des cycles moteur et récepteur. Ces rendements sont détaillés dans la section II.2.2 en fonction de la variante du procédé CHV3T. Néanmoins, l’utilisation de cylindres de transfert implique un fonctionnement discontinu du procédé. En effet, une fois que le liquide de transfert s’est déplacé du cylindre moteur CTM au cylindre récepteur CTR il est nécessaire de ramener ces cylindres à leur états initiaux. Cela ne peut se faire qu’à l’aide d’un jeu de vannes impliquant un fonctionnement en plusieurs étapes. C’est principalement ce fonctionnement discontinu qui va indirectement affecter les performances du système. Le schéma de principe de la machine complète est donné dans la Figure I-2. Chapitre II 33 Figure II-2 : Schéma de principe de la machine CHV3T-W0 On retrouve ainsi les composants habituels des machines thermiques, ainsi que ceux présentés précédemment. Le cycle récepteur comprend : • un évaporateur (ER) qui assure la production de froid en mode climatisation, ou permet d’extraire les calories de l’air extérieur en mode chauffage ; • un condenseur (CR) qui assure la production de chaleur utile en mode chauffage, ou permet le rejet des calories à l’air extérieur en mode climatisation ;
- une bouteille séparatrice (BSR) qui permet la récupération de condensats à la sortie du condenseur CR ;
- un cylindre de transfert (CTR) qui reçoit le travail venant du cycle moteur ;
- une électrovanne de détente (EVR) ;
- deux électrovannes gaz. Le cycle moteur comprend :
- un évaporateur (EM), qui permet de récupérer l’énergie solaire pour vaporiser le fluide de travail,
- un condenseur (CM), qui assure la production de chaud en mode chauffage, ou permet l’évacuation des calories à l’air extérieur en mode climatisation,
- une bouteille séparatrice (BSM), qui permet la récupération de condensats à la sortie de CM,
- un cylindre de transfert (CTM), qui permet le transfert de travail entre les cycles moteur et récepteur,
- une pompe (PM) qui pressurise le fluide de travail moteur, à l’état liquide ;
- une électrovanne sur le liquide, commune aux deux parties (motrice et réceptrice)
- deux électrovannes gaz, Les cylindres de transfert ne sont pas isolés pendant la phase de transfert de travail. Ceux-ci sont connectés via les fluides de travail respectifs aux échangeurs de chaleur, un évaporateur d’un côté et un condenseur de l’autre. Il en résulte un transfert isobare du fluide de transfert d’un cylindre vers l’autre. Les fluides de travail sont différents dans la partie motrice et la partie réceptrice. Ceux-ci sont choisis en fonction de leurs pressions d’équilibre aux températures des sources et puits de chaleurs imposées au procédé. Ainsi, la pression d’équilibre Ph du fluide de travail moteur (wfM) à Th est égale à la pression d’équilibre du fluide de travail récepteur (wfR) à TmR. On retrouve la même correspondance à la pression Pb entre wfR à Tb et wfM à TmM. Il est ainsi possible de piloter thermiquement le transfert du fluide entre les cylindres de transfert par le contrôle des 3 niveaux de température, à savoir : Th la source chaude, Tb la source froide et Tm le puits de chaleur intermédiaire. Le diagramme de Mollier de la variante CHV3T-W0 décrivant l’état thermodynamique des différentes phases du cycle est donné par la Figure II-3. Figure II-3 : Diagramme de Mollier des parties motrice et réceptrice du procédé CHV3T-W0 qui échangent du travail (W) à pressions haute et basse Les diagrammes de Mollier de la variante W0 sont relativement proches des cycles ORC pour la partie motrice et des cycles classiques de PAC pour la partie réceptrice. Mais pour le procédé thermo-hydraulique chaque transformation est une phase distincte. Un demi-cycle est composé de 4 phases :
- Phase δα : Compression des fluides (noté 1→2 et a→b dans la figure II-3). Coté récepteur cela correspond à une pressurisation du fluide de travail wfR en apportant de la chaleur à TmR dans BSR et CR de façon à remplir le cylindre CTR de vapeur à haute pression. Coté moteur cela revient à pressuriser le liquide contenu dans BSM pour l’envoyer dans l’évaporateur EM. • Phase αβ : Transfert de travail à haute pression (2→3 et b→c). Le fluide wfM dans EM est vaporisé à l’aide de l’énergie solaire à Th ; les vapeurs haute pression poussent le liquide de transfert de CTM vers CTR ce qui a pour conséquence de chasser les vapeurs à la même haute pression Ph de wfR contenues dans CTR dans CR afin qu’elles se condensent et s’accumulent dans la bouteille BSR. • Phase βγ : Détente du fluide moteur (c→d). Coté moteur le cylindre CTM est mis en communication avec le condenseur CM afin de condenser les vapeurs à haute pression de wfM et redescendre l’ensemble à Pb entrainant la production de chaleur depuis CM. Chapitre II 35 • Phase γδ : Transfert de travail à basse pression (3→4→1 et d→a). L’ensemble BSR, ER, CTR, CTM et CM est mis en communication permettant ainsi le transfert du liquide de transfert à Pb de CTR vers CTM. C’est pendant cette étape que l’évaporateur ER produit le froid et le condenseur CM la chaleur éventuellement utile. La température Tb peut être régulée par l’ouverture du détendeur. La mise en œuvre de ce procédé thermohydraulique nécessite donc deux fluides de travail compatibles du point de vue de leurs équilibres liquide/vapeur. Il s’agira de les choisir en comparant les performances thermodynamiques de l’ensemble des couples de fluides qui permettent le fonctionnement du procédé sur l’ensemble de la plage de fonctionnement considérée.
Critères de sélection du couple de fluides
Le procédé thermohydraulique au même titre que d’autres procédés thermodynamiques comme les ORC ou cycles de Stirling ont des performances qui dépendent en pratique des fluides de travail utilisés. Par ailleurs, certains fluides ont un impact environnemental qui doit être pris en compte, dans le respect des différentes réglementations de plus en plus restrictives.
Critères opératoires en températures et pressions
La détermination du couple de fluides de travail est réalisée à partir des courbes d’équilibre liquide/vapeur calculées via la base de données thermodynamique REFPROP 9.1 développée par le National Institue of Standard and Technology (NIST) et la librairie open source CoolProp. Après avoir défini une plage de température de fonctionnement, tous les couples fluides possibles sont testés parmi un ensemble de 110 fluides. Ce test en 4 étapes permet de ne retenir que les couples capables de faire fonctionner le procédé sur la plage choisie. Ces 4 étapes sont détaillées ci-dessous ainsi que dans la Figure II-4: 1. La température basse de la plage de fonctionnement (Tmin), qui correspond à la température de froid soufflé la plus basse en mode climatisation, ou la température extérieure la plus basse permettant le fonctionnement du procédé en mode chauffage, permet de définir la température Tb qui représente la température basse du fluide de travail (wfR) dans l’évaporateur récepteur ER en fonction du pincement thermique l’échangeur : 𝑇𝑏 = 𝑇𝑚𝑖𝑛−∆𝑇𝑝𝑖𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 ( 3 ) Tb permet ensuite de définir la pression Pb. 2. La température haute de la plage de fonctionnement (Tmax) qui correspond aussi à la température extérieure maximale considérée permet de définir la température TmR qui représente la température de condensation de wfR coté récepteur 𝑇𝑚𝑅 = 𝑇𝑒𝑥𝑡+∆𝑇𝑝𝑖𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 ( 4 ) TmR permet ensuite de définir la pression Ph. Chapitre II 36 3. La pression haute Ph, appliquée au fluide de travail moteur (wfM) permet de déterminer Th qui est la température de saturation de ce fluide à cette pression. Cette température permettra de définir la température de la source chaude nécessaire, qui correspond à la température en sortie du capteur solaire. 4. La pression basse Pb appliquée au fluide de travail moteur (wfM) permet de déterminer TmM qui est la température de saturation de ce fluide à basse pression. Ainsi si TmM est supérieur à TmR, le couple fluide peut être considéré comme valide et permet bien le fonctionnement du système sur la plage de température considéré [Tmin ; Tmax]. Figure II-4 : Illustration des 4 étapes nécessaires à la détermination du couple de fluides de travail détaillé dans la section I.1.1.1. Test réalisé pour une plage de fonctionnement [15 °C ; 35 °C] et un pincement ΔTpincement= 5 °C.
Critères environnementaux
Une fois le couple fluide validé, il convient de vérifier que les deux fluides considérés respectent bien les exigences environnementales suivantes : • pas d’effet sur l’ozone (ODP = 0) • faible pouvoir de réchauffement atmosphérique (GWP < 100) Ces critères permettent de limiter l’impact des fluides de travail sur la couche d’ozone et le réchauffement climatique en cas de fuite ou de mauvaise gestion de la machine en fin de vie.
Critères de sécurité
En plus des conditions environnementales, l’application du procédé à l’habitat impose de fixer des conditions supplémentaires pour valider le choix des fluides tels que les pressions de fonctionnement, la toxicité ou l’inflammabilité des fluides. En effet, il convient de fixer une pression maximale de fonctionnement pour limiter les risques de rupture mécanique des différents organes. La pression minimale Pmin doit elle aussi être fixée. Pour une puissance frigorifique donnée, le débit volumétrique est inversement proportionnel à la pression Pb et cela implique des canalisations de sections de plus en plus importantes pour minimiser les pertes de charges, ce qui augmente le coût des composants. En pratique, les limites que nous nous sommes fixées sont : Pmax = 15 bars et Pmin = 0,5 bar. De même la dangerosité des fluides en termes de toxicité et d’inflammabilité est classifiée par une norme ASHRAE (Figure II-5). Cette classification permet de catégoriser de manière simple les fluides à éliminer. Tous les fluides toxiques classés B sont systématiquement écartés. Les fluides inflammables, bien qu’autorisés dans le domaine domestique quand la charge de réfrigérant est faible, sont eux aussi déconseillés. Seule la catégorie de fluide A1 sera finalement sélectionnée. Toutefois avec l’arrivée sur le marché des fluides organiques HFO très faiblement inflammable, deux nouvelles catégories nommées « A2L » et « B2L » ont été introduites. Les fluides classés A2L tels que le R32, le R143a ou le R1234yf seront également considérés comme acceptables dans le cadre de cette étude.