Problématique du financement du service public par le budget général ou par les bénéficiaires 4 du service
La question de la gratuité du service public ou de son financement par ceu: qui en bénéficient ne se limite pas à une dimension purement juridique. Ell doit aussi être appréhendée sous ses aspects économique, politique et budgé taire. Encore faut-il, au préalable, s’entendre sur la notion de gratuité. Celle-c ne résulte pas du seul fait que le service ne donne pas lieu à paiement de rede vance, au sens précis que la jurisprudence a donné à ce terme. Du point de vw de l’utilisateur- et, plus généralement, sur un plan économique- il n’est pos sible de parler de gratuité qu’en présence d’un financement assuré par le bud get général, c’est-à-dire par l’ensemble des contribuables. À ce stade de l’analyse, il peut paraître indifférent que la somme demandée , l’usager reçoive la qualification de taxe- auquel cas l’obligation de son verse ment ne peut résulter que d’une loi- ou de redevance- que l’administration, la faculté d’instituer sans habilitation particulière- : cette question de qualifi cation juridique, avec les conséquences qu’elle implique en termes de compé tence pour instituer l’obligation de payer, ne se pose que dans un secoue temps, une fois qu’ont été déterminés les éléments du choix premier qu s’offre à l’administration.
Les éléments du choix
L’analyse économique de la nature du service
La possibilité de réclamer un paiement à l’usager du service public paraît ‘ priori dépendre assez largement de conditions d’ordre économique, voire dt considérations pratiques. Les travaux des économistes ont en effet montré qu’un paiement du servict par l’usager suppose en principe que l’activité considérée porte sur des biem ou services pouvant être fournis séparément à des usagers dûment individualisés, autrement dit que ses prestations puissent être considérées comme divisibles. On peut alors parler de consommation privative, laquelle présente um double caractéristique : d’une part, elle suppose généralement une démarche active du «consommateur» en vue de bénéficier de la prestation, qui est alon: conduit à révéler ses préférences en acceptant de payer un certain prix poUl bénéficier d’une quantité donnée; d’autre part, le fait qu’une personne 4 ~ La notion de bénéficiaire est entendue ici comme visant l’usager ou utilisateur; la question de savoir s’il bénéficie effectivement du service au regard des critères jurisprudentiels permettant de distinguer redevance et taxe est examinée au paragraphe 1.1.2. 14 1 problématique du financement du service public par le budget général ou par les bénéficiaires 4 du service consomme une partie de la prestation exclut qu’une autre puisse simultanément en bénéficier. À l’inverse, en présence de biens ou de services collectifs (également dénommés <> 5), le paiement par l’usager s’avère a priori difficilement concevable, ne serait-ce que parce que de nombreux services publics relevant de cette catégorie n’ont pas, à proprement parler, d’utilisateurs directs, mais plutôt un ensemble indéterminé de bénéficiaires qu’il n’est pas possible d’identifier individuellement. Dans certains cas en effet, l’identification d’un lien suffisamment direct avec des usagers déterminés n’aurait guère de sens: il s’agit notamment de la diplomatie, de la défense nationale, des services d’administration générale ou de ceux dont la fonction est de préparer des textes législatifs ou réglementaires. Au surplus, si un individu supplémentaire bénéficie de la prestation, le coût total de production de cette prestation reste inchangé, et le coût marginal étant nul, le prix doit, selon les enseignements de la théorie économique, l’être également. De telles distinctions rendent cependant assez mal compte de la réalité de certains services publics. Ainsi la justice peut-elle, suivant le point de vue, être regardée comme rendue au profit d’usagers déterminés, notamment lorsqu’elle tranche des litiges d’ordre civil, ou au contraire comme s’exerçant dans l’intérêt de la société tout entière, dans le cas de la justice pénale. Aussi importe-t-il de prendre en compte d’autres éléments.
La dimension politique du choix entre les deux modes de financement
Si la possibilité même d’une rémunération par l’usager est nécessairement exclue lorsque le service n’a pas de bénéficiaire direct, il peut en aller différemment dans les autres cas, où certains _.o;.;ervices, même ceux essentiellement assurés dans l’intérêt général, s’adressent en même temps à des utilisateurs déterminés. Le paiement par l’usager peut alors être envisagé, mais il n’a rien d’inéluctable. C’est là affaire de choix politique. En fonction de la nature et de l’objet du service, le recours à la solidarité nationale, qui suppose un financement par l’impôt, peut être jugé préférable. C’est ce que traduisent certaines dispositions législatives qui, notamment parce qu’elles prescrivent le caractère obligatoire d’une dépense pour une collectivité locale, sont interprétées comme excluant tout financement par le bénéficiaire : tel est par exemple le cas des services d’incendie et de secours 6 5- C’est-à-dire de biens, tels la radio ou la télévision, ou, selon l’exemple classique, le service rendu par un phare, dont la consommation par l’un ne réduit en rien les possibilités de consommation par les autres. 6- Cf CE, 5 décembre 1984, Ville de Versailles c/Lopez, p. 399, qui se fonde sur les dispositions aujourd’hui codifiées au 7o de l’article L. 2321~2 du CGCT. 15 Ill Il est même des hypothèses où l’interdiction de toute rémunération est issue de dispositions constitutionnelles 7. À l’inverse, comme l’a souligné Marcel Waline 8, le caractère onéreux peut se justifier par l’idée qu’il n’y a aucune raison pour que les contribuables, en finançant des services dont ils ne bénéficient pas nécessairement, fassent des cadeaux aux usagers de ces services.
La question de l’affectation et le lien avec la logique fiscale
Le choix entre financement par le budget général et financement direct par l’usager répond aussi à des considérations d’ordre budgétaire ou financier. En effet, le financement par l’impôt est en principe lié à l’idée de solidarité fiscale et aux principes d’unité et d’universalité du budget, qui veulent que tous les impôts viennent financer toutes les dépenses au sein d’un compte unique. Dans ce schéma, les impôts, qui sont la « contribution commune » prévue par l’article 13 de la Déclaration de 1789, sont établis et perçus selon une logique purement fiscale et indépendamment des dépenses, auxquelles ils ne sont confrontés que globalement pour déterminer un équilibre d’ensemble du budget. Quant aux dépenses, elles sont ainsi placées à égalité en termes de contraintes financières; l’utilité et le degré de priorité qui s’attachent aux services publics financés par le budget général ainsi que leur efficacité sont appréciés sans considération de leur capacité éventuelle à générer des recettes. En revanche, le recours à un financement par l’usager a souvent, et logiquement, pour corollaire une liaison entre recettes et dépenses, soit que le service concerné bénéficie de l’autonomie financière, soit qu’il y ait, au sein du budget de l’État, affectation des recettes correspondant aux sommes versées par les usagers à la couverture des dépenses du service qui réalise les prestations. Dans ce cas, dépenses et recettes ne peuvent être déterminées indépendamment les unes des autres. Au demeurant, on trouve ici les idées de contrepartie et d’équivalence 9 qui fondent la notion de redevance réclamée à des usagers : dès lors que celle-ci est la contrepartie de services qui leur sont rendus et doit en refléter la valeur, il paraît naturel de rapprocher le produit de ces redevances du coût des services qu’elles financent.