PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE DE
L’HEPATOTOXICITE MEDICAMENTEUSE
énéralités sur l’hépatotoxicité médicamenteuse
L’hépatotoxicité se définit comme étant la capacité d’une substance à détruire les cellules du foie. Dans le cas où cette destruction est liée à la prise d’un médicament on parle alors d’hépatotoxicité médicamenteuse [98]. L’hépatotoxcité médicamenteuse peut être soit directe, soit liée à une réaction immuno-allergique ou auto-immune. Dans les 2 cas, l’élément déterminant est la formation d’un métabolite réactif du médicament par une enzyme de la famille du CYP-450. Ces métabolites sont chimiquement instables et réagissent spontanément in situ, avec des molécules de leur environnement qu’ils modifient (protéines, lipides insaturés, glutathion). L’hépatocyte possède néanmoins plusieurs systèmes de protection capables d’inactiver ces métabolites réactifs instables ou de s’opposer à leurs effets toxiques. Une hépatite d’origine toxique survient lorsque le métabolite réactif est formé en grande quantité, débordant ainsi les systèmes protecteurs. Le métabolite provoque alors des lésions moléculaires variées, pratiquement toutes les cellules présentes dans le foie peuvent être affectées par les médicaments. L’atteinte des hépatocyte provoque une hépatite aiguë, une stéatose, une phospholipidose, une stéatohépatite et une hépatite granulomateuse. L’atteinte des cholangiocytes provoque une cholangite. L’atteinte des Cellules endothéliale donne la maladie veino-occlusive et la dilatation sinusoïdale. Enfin l’atteinte des cellules d’Ito engendre une fibrose périsinusoïdale.
Epidémiologie
L’épidémiologie de l’hépatotoxicité des médicaments reste encore mal documentée. Elle repose essentiellement sur des données rétrospectives recueillies à partir des bases de données des centres de pharmacovigilance, des cohortes recueillies dans des services spécialisés et les données collectées par l’industrie pharmaceutique [101]. La prévalence de l’hépatotoxicité des médicaments est très variable d’une molécule à l’autre. Les médicaments ayant 51 une forte prévalence de toxicité (>1 %), sont généralement retirés avant même la mise sur le marché. Pour l’immense majorité des médicaments, le risque d’hépatotoxicité est plus rare, compris entre 1/10 000 et 1/100 000 [102-105]. Cela explique que la toxicité ne soit pas détectée durant les essais cliniques lors desquels les effectifs sont généralement compris entre 2000 et 8000 [102-105]. Ainsi, les premiers cas d’hépatotoxicité sont habituellement rapportés au cours des deux premières années de mise sur le marché. Ainsi pour ce qui est de l’hépatotoxicité des médicaments, il existe la banque de données Hepatox dans laquelle sont répertoriées toutes les références bibliographiques des médicaments identifiés comme étant toxiques pour le foie. Ainsi, des études prospectives américaines ont été récemment publiées [106, 7]. L’une d’elle centrée sur les hépatites aiguës graves a montré que plus de la moitié des hépatotoxicités était liées aux médicaments parmi ceux-ci, le paracétamol représentait à lui seul 46% des cas (tableau II). L’autre étude était une étude prospective du réseau américain pour les hépatites médicamenteuses idiosyncrasiques (HMI) ou DILI (drug induced liver injury pour l’abréviation anglaise) [7]. Elle confirmait que 13 % des hépatites graves avaient une cause médicamenteuse idiosyncrasique et que les compléments alimentaires et la phytothérapie étaient responsables de 9 % des HMI [7]. 52 Tableau II: Répartition des causes d’hépatite aiguë grave.
Mécanisme d’action des médicaments hépatotoxiques
Généralement la toxicité des médicaments est dose-dépendante et donc prévisible, apparaissant après un court délai (1-12semaines) après exposition au toxique [107, 108]. Elle peut être directe ou par surcharge : on parle de toxicité directe quand l’effet de toxicité est lié à la substance elle-même ou à un de ses métabolites. Dans le cas d’une toxicité liée à un métabolite dit «réactif», la gravité en est modulée par la quantité de métabolite formé. On parle de toxicité par surcharge et/ou accumulation dans le cas de médications qui ont la propriété d’être accumulées dans certaines cellules du foie ou qui induisent l’accumulation, en quantités anormales, de divers produits de métabolisme ou de dégradation [109-111]. Plus rarement, elle est idiosyncrasique, dose-indépendante et apparaît avec une période de latence plus longue (jusqu’à 12 mois). Il s’agit de toxicité indirecte, l’effet toxique de la substance est non reproductible chez l’animal et vraisemblablement d’ordre immunologique [109]. Le mécanisme des lésions hépatiques n’est pas unique, mais est généralement spécifique du toxique en cause, avec une atteinte régiosélective du lobule hépatique. Il peut être cytolytique, cholestatique ou mixte [107, 112, 113]. Différents mécanismes moléculaires peuvent y conduire (ils sont souvent multiples et associés pour un même toxique (Tableau III) . Tableau III: Mécanismes moléculaires pouvant aboutir à une lésion cellulaire hépatique toxique [116, 117]. Un mécanisme immunoallergique ou d’hypersensibilité (comme pour la phénytoïne, la nitrofurantoine ou l’halothane) apparaît souvent avec un délai, Mécanisme Commentaires et exemples Formation de liaisons covalentes Formation d’adduits par liaison d’un toxique ou de son métabolite réactif à des protéines ou autres macromolécules intracellulaires à l’origine de lésions directes (exemple : paracétamol en phase initiale) ou d’une réactivité immunologique (exemple : halothane) Peroxydation lipidique Réaction de radicaux libres avec les acides gras polyinsaturés des membranes, à l’origine de troubles de la fluidité, de la perméabilité et de la stabilité des membranes (exemple : tétrachlorure de carbone) Déplétion en ATP Découplage de la phosphorylation oxydative mitochondriale (exemple : acide valproïque) ou altération de l’homéostasie calcique cytoplasmique (exemple : fer) Lésions de l’ADN Lésions directes ou activation de la ADPribose polymérase, conduisant à la mort cellulaire (exemple : agents alkylants) ou à la transformation néoplasique Apoptose pro-inflammatoires (exemple : paracétamol en phase tardive) Lésion des organelles intracellulaires Réticulum endoplasmique (exemple : tétrachlorure de carbone), lysozome (exemple : amiodarone) ou mitochondrie (exemple : hydrazine) Inhibition enzymatique directe Blocage d’une enzyme (exemple : amanite phalloïde) Trouble des Voies du récepteur au TNF/Fas/caspases ou par d’autres cytokines l’excrétion biliaire Inhibition du cytosquelette, des microfilaments d’actine ou des pompes de transport (exemple : chlorpromazine) Ischémie Trouble de l’apport d’oxygène, de nutriments et/ou réduction du débit sanguin hépatique (exemple : cocaïne) 54 favorisé par une réexposition et associé à une fièvre, une éruption cutanée ou une hyperéosinophilie. Une toxicité mitochondriale (comme pour l’acide valproïque ou de fortes doses de tétracycline par voie veineuse) est à l’origine d’une acidose lactique et d’une stéatose microvésiculaire [108]. Il existe désormais, de plus en plus de travaux qui s’attachent à comprendre la vulnérabilité individuelle pour chaque toxique. La variabilité génétique explique une part importante de la susceptibilité, comme le risque accru de toxicité à l’isoniazide chez les acétyleurs lents (polymorphisme de la N-acétyl transférase 2) ou à l’irinotecan en cas de réduction des capacités de glucuro conjugaison (maladie de Gilbert) [107]. D’ailleurs, l’importance des lésions hépatiques n’est pas toujours proportionnelle à l’amplitude de l’élévation des transaminases. Les cellules hépatiques possèdent, en fait, une grande capacité de récupération et d’adaptation, avec une variabilité également fonction de chaque individu et de son terrain sous-jacent. L’hépatotoxicité devient significative lorsque la perturbation du bilan biologique hépatique s’accompagne de manifestations cliniques (asthénie, anorexie, nausée, douleur de l’hypochondre droit, urines foncées, encéphalopathie). Les meilleurs témoins de la fonction hépatique sont le taux de prothrombine (TP), l’albumine et la bilirubine totale et conjuguée.
Les différentes formes d’hépatopathies médicamenteuses
Les dommages hépatiques mènent à des syndromes aigus ou chroniques. Les atteintes aiguës peuvent s’avérer cytotoxiques (cytolytiques) et ou cholestatiques (manifestées par un arrêt du flux biliaire et une jaunisse ou ictère). Les lésions cytotoxiques se caractérisent par une nécrose, une stéatose ou une combinaison des deux. Les nécroses toxiques hépatiques sont intrinsèques, et entraînent une réaction inflammatoire qui mène normalement à une jaunisse hépatocellulaire. De plus, les cas sévères peuvent aboutir à une insuffisance hépatique aiguë. Quant aux stéatoses aiguës, elles sont microvésiculaires (formation de plusieurs petites 55 vacuoles dans le cytoplasme), et se caractérisent par un pronostic grave. Les lésions cholestatiques s’apparentent à une jaunisse obstructive extrahépatique dans leurs manifestations cliniques (ictère, prurit) et leurs paramètres biochimiques. De façon générale, avec un taux de mortalité inférieur à 1%, la cholestase est associée à un pronostic bien plus favorable que la cytolyse. Pour les atteintes hépatiques chroniques, on retrouve principalement les hépatites chroniques actives, les stéatoses, les cholestases, les fibroses, plusieurs formes de cirrhoses, et les néoplasmes (tumeurs) hépatiques. Les stéatoses chroniques sont surtout macrovésiculaires (formation de larges vacuoles cytoplasmiques) et dues à la consommation excessive d’alcool. Pour sa part, la fibrose se présente comme une prolifération excessive de la matrice extracellulaire de composition altérée en réponse à une agression chronique du foie, peu importe sa cause (ex. : alcoolisme chronique et hépatites chroniques virales C), et sa progression mène à long terme à une cirrhose. L’apparition de celle-ci peut aboutir au développement d’un carcinome hépatocellulaire . Facteurs de risque de l’hépatotoxicité médicamenteuse — Les facteurs non génétiques comprennent l’âge, le sexe, les doses journalières, les interactions médicamenteuses et les maladies sous-jacentes telles que VIH ou VHC. La consommation d’alcool n’a pas encore pu être impliquée de manière certaine comme facteur de risque dans les réactions médicamenteuses de type idiosyncrasique [116]. Pour l’âge et le sexe, il existe des susceptibilités variables aux médicaments. Par exemple, dans une étude espagnole avec la co-amoxicilline, le profil «cholestatique/mixte» apparaît plutôt chez les personnes de plus de 55 ans, tandis que le profil «hépatocellulaire» prédomine chez les plus jeunes [117]. Ce phénomène reste encore incompris. Les femmes seraient quant à elles plus susceptibles de souffrir de lésions de type hépatocellulaire [7]. 56 Pour ce qui est des surdoses médicamenteuses, bien qu’une réaction idiosyncrasique soit par définition indépendante de la dose administrée, il semblerait quand même que des doses élevées augmenteraient le risque d’atteinte hépatique. Deux études, américaine et espagnole, sont arrivées à cette conclusion, particulièrement lorsque le dosage d’une substance dépasse 50 mg par jour [118]. La voie de métabolisation des médicaments est également incriminée : une substance métabolisée à plus de 50% par le foie risque plus d’être hépatotoxique et les substances à excrétion biliaire prédominante provoquent plus facilement un ictère. Quant aux interactions médicamenteuses elles sont dues principalement à un phénomène connu sous le nom d’ «interactions médicamenteuses pharmacocinétiques», qui se définit comme l’altération de la clairance métabolique d’un médicament par un médicament co-administré. Elles ont surtout lieu pendant la phase de métabolisme faisant suite à l’administration du médicament, et se rapportent particulièrement à la capacité de celui-ci à modifier le métabolisme d’un autre médicament. Ceci peut être dû à l’induction ou à l’inhibition des enzymes du métabolisme des médicaments, en particulier les isoenzymes du CYP450, et peut conduire à de graves conséquences cliniques allant parfois jusqu’à la mort [17]. — Facteurs génétiques : Dans le groupe des facteurs de risque dus à une susceptibilité génétique, plusieurs mécanismes sont identifiés. En effet, le métabolisme hépatique des médicaments comporte trois phases connues pour une grande variabilité interindividuelle suivant le polymorphisme enzymatique de chacun : – phase I : formation de métabolites toxiques réactifs via les enzymes des cytochromes P450 ; – phase II : conjugaison des métabolites qui sont rendus hydrosolubles pour être excrétés avec la bile (122) ; 57 – phase III : transport des métabolites hors de l’hépatocyte dans les canalicules biliaires [119]. Le rôle du système immunitaire inné et acquis dans la toxicité médicamenteuse reste encore à éclaircir. Il existerait une relation entre certains haplotypes HLA spécifiques et l’apparition d’une hépatite médicamenteuse idiosyncrasique (HMI). L’équipe de Chalasani et coll. a mis en évidence la relation avec un haplotype HLA de la classe II (HLAB1 1501-DRB5 0101-DQB10602) présent chez 57% des patients souffrant d’une HMI suite à une administration de coamoxicilline (association Acide Clavulanique Amoxicilline) [120].
INTRODUCTION |