Prise en charge orthophonique et vécu de la laryngectomie totale

« Le cancer, c’est déjà un traumatisme en soi » (Ataya & Trouillet, 2014).

Cancer. Un mot qui fait peur. 8,2 millions de personnes en sont mortes en 2012 . C’est actuellement l’une des causes principales de décès dans le monde. Le cancer, c’est être dans l’incertitude, ne pas savoir de quoi demain sera fait, ne pas être sûr d’en guérir un jour. Le cancer des voies aérodigestives, « carrefour stratégique entre le parler et le manger, éléments clés de la vie sociale » (Ataya & Trouillet, 2014) touche des structures anatomiques visibles, qui seront modifiées ou supprimées, engendrant ainsi des répercussions à la fois physiques, physiologiques et psychologiques. Nous avons choisi de nous intéresser au cancer du larynx et plus particulièrement à l’un de ses traitements curatifs : la laryngectomie totale. Cette chirurgie consiste en l’exérèse du larynx avec pour conséquences directes la suppression du carrefour aérodigestif et la modification des fonctions qui y sont associées : déglutition, phonation, respiration. Le retentissement sur la qualité de vie de la personne opérée est donc important ; la prise en charge médicale ne concerne pas seulement le larynx et la tumeur cancéreuse mais également les conséquences physiologiques, esthétiques, fonctionnelles et psychologiques. Le patient sort de l’hôpital avec des difficultés d’alimentation, un trou à la base du cou, un nouveau fonctionnement respiratoire, une impossibilité de parler. Sa vie est à présent différente en raison des séquelles auxquelles il doit faire face.

L’orthophoniste est l’un des acteurs privilégiés qui accompagnent le patient laryngectomisé tout au long de son parcours. Soutien et informateur en péri opératoire, il complète ensuite son rôle en tant que rééducateur de la voix et des fonctions oro-myofonctionnelles. Concernant la phonation, il s’agit moins d’une rééducation – le patient ne retrouvera jamais sa voix d’avant – que d’une réhabilitation lui permettant d’acquérir une voix de substitution fonctionnelle. Ceci étant, cette prise en charge dépasse la relation thérapeutique orthophoniste – patient. En effet, au-delà de la technique proposée par l’orthophoniste, l’enjeu principal est la reconstruction du patient et le thérapeute l’accompagne dans cette démarche. Ces femmes et ces hommes laryngectomisés « renaissent » avec l’acquisition d’une nouvelle voix (Goddet & Guillard, 2007).

Les VADS, carrefour à la fois respiratoire et alimentaire, regroupent les structures anatomiques suivantes : les fosses nasales, la cavité buccale, le pharynx, le larynx et la trachée. Elles permettent, entre autres, le passage de l’air jusqu’aux poumons (Brin-Henry, Courrier, Lederlé & al., 2011). Les deux cordes vocales étant situées dans le larynx, les VADS jouent également un rôle dans la phonation.

Ce cancer, dans 90% des cas, est un carcinome épidermoïde. Il s’agit d’une tumeur maligne cutanée (Garnier & Delamare, 2012) pouvant toucher l’oropharynx, l’hypopharynx, le larynx ou encore la cavité buccale. Les cancers des VADS constituent un problème de santé publique en France. Ils sont classés au 5ième rang des cancers les plus fréquents (16 000 nouveaux cas en 2008). 75% des nouveaux cas concernent des hommes. Ceci étant, il est intéressant de souligner que le nombre annuel de nouveaux cas chez la femme est en augmentation (+ 1,5% entre 2000 et 2005). A l’inverse, ce taux est en baisse chez l’homme (-5% entre 2000 et 2005).

La laryngectomie totale est indiquée le plus souvent en traitement chirurgical d’un cancer du larynx. Selon l’Institut National du Cancer, il y a eu en 2012, 3 322 nouveaux cas : 2 821 sur des patients hommes et 501 sur des patientes femmes, soit une prévalence de 85% d’hommes pour 15% de femmes. Là aussi, l’incidence est en baisse chez l’homme alors qu’elle est en augmentation chez la femme. L’âge moyen du diagnostic est de 65 ans chez l’homme et 64 ans chez la femme.

Le tabac et l’alcool sont les deux principaux facteurs de risque de développement d’un cancer des VADS (Brugère, 1986). Le risque d’apparition d’une tumeur est corrélé avec la dose ingérée et l’ancienneté de l’intoxication. Notons que l’absence d’intoxication alcoolique et/ou tabagique ne doit pas conduire à éliminer d’emblée un potentiel diagnostic. D’autres facteurs influent sur l’apparition d’un cancer du larynx, tels que l’exposition à des produits toxiques dans le cadre d’une activité professionnelle, le reflux gastro-œsophagien chronique, ou encore l’état de santé bucco-dentaire.

C’est souvent le médecin généraliste qui adresse le patient à un oto-rhino-laryngologiste (ORL), s’il repère une anomalie face à certains signes d’appel*. Le médecin ORL effectue tout d’abord un examen clinique par laryngoscopie indirecte (au miroir ou à l’aide d’un nasofibroscope). Cet examen lui permet de visualiser la tumeur et d’orienter fortement le diagnostic, confirmé ensuite par une biopsie. C’est ainsi qu’il pourra déterminer l’extension en surface et en profondeur de la tumeur. Un examen scannographique vient appuyer les conclusions précédentes (Ataya & Trouillet, 2014).

La tumeur est définie selon la classification TNM. Il s’agit, d’après l’Union Internationale Contre le Cancer, d’une « façon de classer les cancers selon leur extension anatomique ». Le classement dépend du volume tumoral (T), de l’atteinte ganglionnaire ou des adénopathies (N) et de l’état métastatique à distance (M). Cette classification est universelle. Une proposition de traitement sera émise, tenant compte de ces informations et de l’évolution de la tumeur.

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C’est au cours d’une Réunion de Concertation Pluridisciplinaire obligatoire que le projet thérapeutique le plus adapté est défini. Le chirurgien conseille et renseigne le patient afin qu’il fasse son choix en pleine connaissance de cause. Si le patient refuse la proposition initiale, une solution alternative est proposée.

Pour les cancers des VADS, en fonction de l’étendue et de la localisation de la tumeur, le traitement repose sur la chirurgie et/ou la chimiothérapie* et/ou la radiothérapie* (Ataya & Trouillet, 2014). La laryngectomie totale, chirurgie à laquelle nous avons décidé de nous intéresser de façon restrictive, sera abordée dans le chapitre suivant. Elle est proposée et réalisée par le chirurgien, en regard là encore du degré d’atteinte défini par la classification TNM et le pronostic évolutif.

Selon Brin, Courrier, Lederlé & al. (2011), la laryngectomie totale est une « ablation chirurgicale de l’ensemble du larynx avec son squelette* ». Pour ce faire, le chirurgien pratique une incision au niveau du cou qui va d’une oreille à l’autre. Il peut ainsi accéder au larynx et pratiquer l’exérèse. Si besoin, il réalise également un curage des ganglions situés dans le cou. En ôtant le larynx, le chirurgien supprime définitivement le carrefour aérodigestif et dévie la trachée. Celle-ci est abouchée à la base du cou de manière définitive, ménageant ainsi un orifice permanent : le trachéostome. Il est vital car c’est désormais l’unique voie de communication aérienne entre le milieu extérieur et le milieu intérieur. C’est maintenant par le trachéostome que le patient respire. En post-opératoire, durant la période de cicatrisation et parfois de façon irréversible, une canule est mise en place pour que le calibre reste constant (Le Huche & Allali, 2010). Le boîtier laryngé, qui contient les cordes vocales, disparaît. La fonction de phonation originelle n’existe plus. La suppression de cette jonction implique également une reconstruction du pharynx, laissé béant par l’ablation du larynx. Il a perdu ses insertions laryngées et le chirurgien le referme sur lui-même. Il effectue une suture pharyngée très importante, celle-ci étant garante de l’imperméabilité totale de la voie digestive. Des conséquences sur la déglutition peuvent donc apparaître. Durant les suites opératoires, le patient doit attendre la parfaite cicatrisation de cette suture (environ 10 jours) avant de se réalimenter. Dans un premier temps, il porte une sonde naso gastrique*, voire bénéficie d’une gastrostomie percutanée endoscopique* s’il a déjà des problèmes d’alimentation ou si la réalimentation risque d’être longue et progressive. Après contrôle de l’étanchéité de la suture pharyngée par un test de déglutition au bleu de méthylène, la réalimentation per os peut reprendre. Les possibilités de réalimentation sont généralement satisfaisantes (Ataya & Trouillet, 2014).

Lors de l’opération, le chirurgien peut poser, en accord avec le patient, un implant phonatoire. Il crée alors une fistule entre la trachée et l’œsophage et y insère la valve constituée d’élastomère de silicone ou de polyuréthane. Le fonctionnement de l’implant phonatoire sera détaillé dans la partie « Réhabilitation vocale ».

La trachée ayant été déviée de son tracé naturel, la physiologie de la respiration est modifiée. La personne laryngectomisée respire de manière définitive par l’orifice de trachéostomie. L’air ne passe plus par les filtres naturels qu’étaient les fosses nasales et le pharynx ; ceux-ci assuraient l’humidification et le réchauffement de l’air inhalé et constituaient un rempart contre les particules susceptibles de pénétrer les voies pulmonaires. Dorénavant, la personne laryngectomisée pallie tout cela en utilisant des aérosols, en se munissant d’un filtre artificiel ou encore d’échangeur de chaleur et d’humidité (Le Huche & Allali, 2010). Ces compensations sont indispensables pour réduire les mucosités venant des voies respiratoires et évacuées par le trachéostome, et pour éviter les infections.

Table des matières

Introduction
1. Le cancer des voies aérodigestives supérieures (VADS)
1.1. Définition du cancer
1.2. Définition des voies aérodigestives supérieures
1.3. Epidémiologie du cancer des VADS
1.4. Etiologies et facteurs de risque
1.5. Diagnostic et classification de la tumeur
1.6. Traitements
2. La laryngectomie totale
2.1. Principes de la laryngectomie totale
2.2. Les conséquences physiologiques
2.2.1. Conséquences respiratoires
2.2.2. Conséquences phonatoires
2.2.3. Conséquences sur la déglutition
2.2.4. Conséquences sur l’odorat et l’audition
2.3. Les conséquences dans la vie quotidienne
3. Une équipe interprofessionnelle* autour du laryngectomisé total
3.1. L’équipe médicale
3.1.1. Le médecin traitant
3.1.2. L’oto-rhino-laryngologiste
3.1.3. Les autres professionnels médicaux
3.2. L’équipe paramédicale
3.2.1. Le masseur-kinésithérapeute
3.2.2. L’orthophoniste
3.2.3. L’infirmier
3.2.4. Le psychologue
3.3. L’équipe associative : les Mutilés de la Voix
4. Le rôle de l’orthophoniste
4.1. Quand voir le patient pour la première fois ?
4.2. Les différentes prises en charge possibles
4.3. Un interlocuteur privilégié
4.4. La réhabilitation vocale
4.4.1. Voix laryngée VS voix sans larynx
4.4.2. La voix oro-œsophagienne
4.4.3. La voix trachéo-œsophagienne
4.4.4. Le laryngophone
Conclusion

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