PRISE EN CHARGE DES URGENCES OBSTETRICALES
Les modifications physiologiques liées à la grossesse [3-4] La grossesse s’accompagne de modifications physiologiques plus ou moins importantes, en rapport avec l’adaptation de l’organisme à l’augmentation des besoins métaboliques et la croissance utérine et fœtale.
Les modifications cardio-vasculaires et hémodynamiques
Globalement il y a une augmentation du travail cardiaque. La caractéristique essentielle de l’adaptation cardiovasculaire de la femme enceinte est l’installation d’une vasodilatation artérielle très précoce qui pourrait expliquer l’augmentation du débit cardiaque et précéderait l’activation du système rénine-angiotensinealdostérone. L’autre caractéristique est l’hypervolémie qui est l’expression de la rétention hydrosodée due aux œstrogènes et de l’augmentation de la sécrétion d’aldostérone. Il en résulte une augmentation du volume plasmatique. La volémie diminue progressivement pendant les 3 premiers jours du post-partum et le retour à la normale se fait en 4 à 6 semaines. . Les œstrogènes augmentent la fréquence et le débit cardiaque ainsi que les débits circulatoires et la contractilité du myocarde. En parallèle, la progestérone permet l’adaptation vasculaire à cette hypervolémie par un relâchement des parois veineuses et des sphincters capillaires en augmentant la capacité du lit vasculaire. Le débit cardiaque croît de 30 à 50 % environ. Il dépend de 2 facteurs : -la fréquence cardiaque qui augmente de 15 % (15 à 20 bpm à terme), -le volume d’éjection systolique qui augmente de 30 % (+ 10 à 15 ml). Il dépend de la position maternelle. Dès la 24ème SA, en décubitus dorsal, une compression de la veine cave inférieure par l’utérus gravide peut réduire le retour veineux et de ce fait, le volume d’éjection systolique entrainant une hypotension maternelle et une diminution de la perfusion utéro-placentaire. 6 Il est plus élevé en décubitus latéral gauche car la veine cave est moins compressée par l’utérus qui est en dextro-rotation. La pression artérielle est fonction du débit cardiaque et des résistances périphériques. En dépit de l’augmentation du débit cardiaque, la pression artérielle baisse d’environ 20 à 30 % de façon proportionnelle à la baisse des résistances périphériques de 7 SA jusqu’à environ 24-28 SA. Puis, le shunt artério-veineux créé par l’unité fœto-placentaire et les effets vasomoteurs des hormones entraînent une augmentation des résistances périphériques et donc une remontée de la pression artérielle qui revient en fin de grossesse à un niveau égal à celui d’avant la grossesse. La pression veineuse reste inchangée aux membres supérieurs ; par contre, elle augmente beaucoup aux membres inférieurs. Ceci est dû à la compression des gros vaisseaux et de la veine cave inférieure par l’utérus gravide, particulièrement en décubitus dorsal. Cette augmentation de pression favorise l’apparition d’œdèmes et de varices. . L’irrigation périphérique augmente essentiellement au niveau rénal, pulmonaire et cutané. Le flux sanguin utéroplacentaire est d’environ 700 ml soit 10 % du débit cardiaque, très sensible à la vasoconstriction. Tous ces phénomènes adaptatoires modifient l’examen clinique et paraclinique : -La fréquence cardiaque est augmentée de 10 à 15 bpm ; -L’auscultation cardiaque est modifiée avec une augmentation de B1, un dédoublement de B2 et l’apparition d’un B3 ; -Le changement de position du cœur entraîne une déviation gauche de l’axe QRS à l’ECG ; -A la radiographie pulmonaire la silhouette du cœur est augmentée non pas du fait d’une cardiomégalie mais du fait de l’horizontalisation du cœur due à la 7 surélévation des coupoles diaphragmatiques. Le cœur est refoulé vers le haut et il effectue une rotation en avant sur son axe transversal ; -A l’échographie cardiaque, dès 12 SA, on retrouve une hypertrophie du ventricule gauche qui peut atteindre 50 % à terme. L’hypertrophie auriculaire droite et gauche est très nette à 30 SA ; -Une insuffisance tricuspidienne et pulmonaire adaptative est retrouvée chez 94 % des femmes à terme et ainsi qu’une insuffisance mitrale dans 25 % des cas.
Modifications hématologiques
On note une augmentation du volume sanguin total de 35 à 45 % (1 à 1,5 l) et une augmentation du volume plasmatique de 50 %. On note également une augmentation du volume globulaire de 20 % responsable d’une anémie de dilution et carentielle (fer, folates) ; une hyperleucocytose physiologique à partir du 2eme trimestre avec un maximum à la 30eme SA ; une hypercoagulabilité dès le 3ème mois de grossesse et persiste 4 à 6 semaines en postpartum ; une augmentation du fibrinogène, facteurs VII, VIII, X, XII, facteur de Willebrand ; diminution de la protéine S, AT III ; hypofibrinolyse avec comme conséquence une diminution du risque hémorragique et augmentation du risque thrombotique. 1
Modifications rénales
On note une augmentation du débit de filtration rénale et une diminution de la réabsorption tubulaire entrainant l’augmentation de la créatininémie, de l’urée, et de l’uricémie, glycosurie (par abaissement du seuil rénal). On note aussi une dilatation des uretères responsable de la stase urinaire pourvoyeuse de surinfection des voies urinaires.
Les hémorragies obstétricales C’est l’une des principales causes de morbidité et de mortalité maternelles dans le monde qui cause au moins 50 % des 500 000 décès maternels estimés chaque année dans le monde. [5] Même si les thérapeutiques sont bien codifiées, la prise en charge est tributaire de la disponibilité du sang et de ses dérivés. Cependant, ces produits font souvent défaut. On distingue les saignements anté-partum et post-partum.
Hémorragies anté-partum (HAP)
Définition Tout Saignement présent dans le tractus génital, à partir de 24 semaines de grossesse et avant la naissance. Les étiologies sont dominées par trois urgences obstétricales graves : hématome rétro placentaire, le placenta preavia et la rupture utérine.
Epidémiologie
La fréquence varie des pays développés où elle avoisine 1%, dans les pays en voie de développement elle est sensiblement élevée. Au Sénégal, l’incidence est de 5% des grossesses et la mortalité maternelle est de 40%. La mortalité périnatale est très élevée et varie d’une cause à l’autre, de l’ordre de 85% pour l’HRP et rupture utérine [5]. Le retard au diagnostic et à l’évacuation constitue un facteur de mauvais pronostic. Au Sénégal, 62% des évacuations sont tardives [6].
Etiologies
Hématome rétoplacentaire (HRP)
C’est le décollement prématuré du placenta normalement inséré alors que le fœtus est encore in- utero .
Fréquence et facteurs de risque
L’HRP est un accident paroxystique des derniers mois de la grossesse, il touche 0,25 à 1%des grossesses. [8] Ainsi au Sénégal, des taux élevés ont été relevés, 6,05% retrouvé par THIAM en milieu rural [9], 2,97% dans un CHU de Dakar pour SARR [10], et 3,8% pour Dieye à Saint louis [11]. Les facteurs de risque sont : l’âge maternel supérieur à 30 ans, la grande multiparité, HTA chronique ou gravidique, les traumatismes abdominaux (syndrome du tableau de bord), les antécédents d’HRP, le tabac, la cocaïne, et les troubles de la coagulation.
Diagnostic
Le début est brutal marqué par : -Des douleurs abdominales intenses et permanentes en coup de poignard -Métrorragies noirâtres -Signes de choc : pouls accéléré, la TA peut être normale (TA « cache misère ») -Utérus douloureux et tendu de « bois » Echographie obstétricale : elle objective l’activité cardiaque fœtale et l’hématome sous forme d’image anéchogène au niveau de la plaque basale
Traitement
Il faudra appliquer la règle des six (6) heures c’est-à-dire faire en sorte que l’expulsion ait lieu dans les 6 heures qui suivent le début de l’accident. *Si le fœtus est mort : un accouchement par voie basse est préférable après rupture artificielle des membranes et perfusion prudente d’ocytociques. Mais s’il existe une hémorragie cataclysmique ou un état de choc maternel associé, une césarienne de sauvetage maternel sera pratiquée. . *Si le fœtus est vivant : une césarienne en extrême urgence est indiquée. . Dans tous les cas, la délivrance artificielle doit être faite rapidement suivie de 10 révision utérine et d’administration d’ocytociques car il existe un risque élevé d’hémorragie de la délivrance.
Placenta prævia (PP)
C’est l’insertion de placenta en partie ou en totalité sur le segment inférieur de l’utérus.
Fréquence et facteurs de risque
Le PP complique 0,3% à 2,6% des grossesses [12] Certains facteurs de risque sont décrits : la multiparité, l’âge maternel élevé, les antécédents d’avortements provoqués, la notion de cicatrices utérines, de curetage utérin et les fibromes sous-muqueux
Diagnostic positif
Saignements de sang rouge vif, sans douleur, au troisième trimestre de la grossesse ou pendant le travail. Les signes généraux varient de la simple pâleur au choc hémorragique en fonction du volume de sang perdu. Le diagnostic est le plus souvent facile si la femme est en travail. En cas de doute, l’échographie pelvienne confirme le diagnostic
Traitement
Il existe plusieurs cas de figure : *La césarienne sera indiquée devant un saignement massif et incontrôlable (sauvetage maternel), une souffrance fœtale aiguë, un placenta recouvrant; *L’accouchement par voie basse est autorisé en cas de placenta latéral ou marginal, peu hémorragique, à condition que l’accouchement soit eutocique et la poche des eaux rompue. On appliquera « loi du tout ou rien » qui consiste à rompre les membranes et à surveiller : -soit l’hémorragie persiste ou il apparaît une anomalie du travail, il faudra alors 11 faire la césarienne . -soit l’hémorragie s’estompe, le travail progresse normalement et l’accouchement se fait par voie basse. . * Le traitement médical conservateur si le fœtus est un grand prématuré et l’hémorragie peu importante (repos, fer, corticoïdes). . * Si l’enfant est mort, il faudra recourir aux manœuvres (Lacomme, Villette, Simpson ou Braxton-Hicks).
Rupture utérine
C’est une solution de continuité non chirurgicale de l’utérus survenant pendant la grossesse ou le travail. La fréquence est de 1,94% dans nos régions
Diagnostic
La douleur est paroxystique comme un coup de tonnerre dans un ciel d’orage suivie d’une sensation de chaleur qui envahit la cavité abdominale puis apparait une accalmie qui signe la rupture avec disparition des contractures utérines. On dit que la femme accouche dans son ventre. *Signes généraux : Très souvent, on a une agitation et une anxiété intense, suivies d’un état de choc hémorragique. *Signes physiques : -Au stade de pré-rupture : on observe un utérus déformé en « sablier » avec un anneau de rétraction de Bandel Frommel entre le segment inferieur et le corps utérin, une ascension progressive de l’anneau de rétraction avec surdistension du segment inférieur, une tension douloureuse des ligaments ronds, un œdème souspubien. A ce stade, la rupture est dite imminente. 12 -Au stade de la rupture : on retrouve une hémorragie vaginale de sang rouge ne pouvant pas justifier l’état de choc hémorragique. La palpation retrouve une sensation de fœtus superficiel directement palpé sous la peau avec rétraction de l’utérus au-dessus du pubis. L’auscultation retrouve une abolition des bruits du cœur fœtal. Au toucher vaginal, l’excavation pelvienne est vide de toute présentation.
Traitement
Dans tous les cas, une laparotomie en extrême urgence est indiquée et sera précédée d’une réanimation qui va permettre le rétablissement de la volémie et les prélèvements sanguins pour un bilan biologique. Le geste thérapeutique varie en fonction des dégâts anatomiques, de la parité, de l’âge, de l’état hémodynamique. Ainsi, une suture sera réalisée en cas de rupture simple et chez la paucipare mais en cas d’éclatement ou de lésions associées, l’hystérectomie sera indiquée.
Hémorragies post- partum
Physiologie de la délivrance
La délivrance ou troisième stade du travail se définie par l’expulsion hors des voies génitales du placenta et des membranes après l’expulsion du fœtus. Elle comporte trois étapes successives et intriquées, réglées par la dynamique utérine.
Phase de décollement placentaire
Le décollement est préparé par la rétraction utérine et provoqué par les contractions utérines. La rétraction utérine résulte de la diminution du volume utérin lors de l’expulsion fœtale. Elle aboutit à une augmentation de l’épaisseur des parois utérines, sauf au niveau de l’insertion placentaire qui reste mince. Il en résulte un enchatonnement physiologique du placenta. 13 Les contractions utérines s’accentuent progressivement en intensité et sont de nouveau ressenties par la patiente (sauf sous analgésie péridurale). Le placenta enchatonné physiologiquement, dont le pourtour est cerné par un anneau musculaire plus épais, subit des pressions concentriques qui favorisent son décollement et la création d’un hématome rétro-placentaire (clivage complet entre la caduque utérine et la couche profonde de la muqueuse utérine).
Phase de migration et d’expulsion du placenta
Les contractions utérines, le poids du placenta et celui de l’hématome rétroplacentaire, font migrer le placenta vers le segment inférieur qui se déplisse, refoulant le corps utérin vers le haut. Le placenta décollé traverse alors le col et le vagin pour être expulsé à la vulve.
Phase d’hémostase ou de rétraction utérine
La rétraction utérine assure mécaniquement l’hémostase de la plaie placentaire, dont les vaisseaux sont enserrés par la contraction des fibres musculaires. Le relais est pris par la thrombose physiologique (coagulation sanguine) survenant dans ces vaisseaux, facilitée par l’augmentation en fin de grossesse, des facteurs de la coagulation (fibrinogène, facteurs VIII et IX). Les conditions pour une délivrance normale sont : -une dynamique utérine correcte, -une vacuité utérine, -un placenta normalement inséré, -une hémostase et une coagulation normale.
INTRODUCTION |