Prise en charge des traumatisés graves à la phase pré hospitalière
Epidémiologie
La traumatologie grave pose un problème de santé publique. Le taux de mortalité est élevé et représente 6,9 % des 37.415 décès en France en 2009 [2]. Il s’agit de la première cause de décès chez les jeunes (entre 15 et 35 ans). La mortalité est précoce: la moitié des décès surviennent dans l’heure suivant le traumatisme et 80 % surviennent dans les premières 24 heures [2]. Les causes précoces de décès dans les 48 premières heures sont les lésions du système nerveux central (jusqu’à 71,5 %) puis l’hémorragie (12,5 à 26,6 %), le sepsis (3,1–17 %) puis les défaillances multiviscérales (1,6 à 9 %) . Dans le rapport de l’OMS les traumatismes d’origine accidentelle (accidents de la circulation, noyades, chutes ou brûlures) et ceux entraînés par des actes de violence (agressions, violence auto-infligée ou actes de guerre) entraînent chaque année dans le monde plus de cinq millions de décès. Des millions de personnes survivent à ces traumatismes en gardant des séquelles. Les traumatismes, qui représentent 9 % de la mortalité à l’échelle mondiale, sont une menace pour la santé publique dans tous les pays. Selon les estimations, les traumatismes entraînent, outre les décès, des dizaines d’hospitalisations, des centaines d’admissions aux urgences et des milliers de rendez-vous chez le médecin. Une grande partie des personnes qui survivent à un traumatisme souffrent d’une incapacité temporaire ou permanente. [2] Au Sénégal, en 2017, dans l’échelle des drames, 207 accidents ont été enregistrés par la BNSP dont 635 cas de décès, pour 26.031 blessés et 16.156 interventions. [5] Une étude rétrospective de 2003 à 2012 portant sur les cas de décès dans la population générale de Dakar, ayant bénéficié d’une autopsie trouvait 985 décès parmi lesquels, 693 morts violentes (70,3%), avec une prédominance des accidents de la circulation au nombre de 394 (40%).
Evaluation initiale
Regulation médicale
La régulation médicale est le premier maillon de la filière de soins. Le médecin régulateur essaie de mettre en évidence dès l’appel non seulement les éléments de gravité de l’accident mais aussi les signes cliniques de gravité pour la ou les victimes. Le permanencier aide à la régulation médicale en identifiant l’appelant, le lieu d’intervention et le patient. Il insiste pour connaître la localisation précise de l’accident, évalue d’emblée le niveau de priorité de l’appel initial. Parmi les priorités élevées on peut citer : un arrêt circulatoire, un patient dans le coma, un accident à cinétique élevée, un enfant renversé, un adulte renversé inerte. Il cherche par ailleurs à connaître le nombre de victimes, la compétence des témoins (pour d’éventuels conseils en attendant la régulation médicale). En cas de niveau de priorité élevé (situation précédemment décrite), il déclenche le SMUR selon une procédure locale réflexe puis demande une régulation prioritaire de cet appel. La régulation médicale s’attache à envoyer sur les lieux, les moyens de secours les plus adaptés en termes de nombre et de compétence. Elle donne par ailleurs des conseils aux témoins en particulier pour éviter le sur-accident et guider la prise en charge initiale (manœuvres de réanimation cardio-pulmonaire, mise en position latérale de sécurité d’un patient). Dans tous les cas, le médecin régulateur incite les témoins à couvrir les blessés afin de limiter la déperdition thermique. Ces conseils permettent d’attendre l’arrivée des premiers secouristes professionnels puis de l’équipe SMUR.
Objectifs du triage en pré-hospitalier
L’objectif du triage pré-hospitalier de ces patients est d’améliorer leur survie en orientant le patient vers une structure hospitalière adaptée, disposant d’un plateau technique approprié. Il peut s’agir d’une salle d’accueil des urgences vitales avec une équipe spécialisée multidisciplinaire, d’une structure avec des plateaux techniques spécifiques (bloc, radiologie interventionnelle) ou bien du service des urgences. La décision du médecin urgentiste est cruciale. Elle repose sur l’évaluation de la gravité du patient et sur la nécessité de recourir à des mesures diagnostiques ou thérapeutiques d’urgence. Des scores ou indices de triage ont été créés afin d’aider le clinicien dans sa décision.
Evaluation de la gravité
Afin d’orienter le patient au bon endroit le médecin urgentiste décidera en fonction de l’évaluation de la gravité du patient. Quatre éléments peuvent être distingués dans cette évaluation du traumatisé: le terrain du patient, le mécanisme lésionnel, les lésions anatomiques, les variables physiologiques.
Terrain du patient
L’âge avancé est un facteur de risque élevé de mortalité. Il est intégré dans certains scores de triage comme le Trauma Related Injury Severity Score (TRISS) ou le MGAP [9, 10]. Notons que les pathologies préexistantes n’ont jamais été intégrées dans les scores. Elles sont pourtant source de morbi-mortalité et peuvent facilement compliquer la prise en charge: maladie onco-hématologique, troubles de l’hémostase, insuffisance rénale avec dialyse, insuffisance cardiaque chronique, insuffisance respiratoire chronique…
Mécanisme lésionnel
La gravité d’un traumatisme dépend évidemment du mécanisme lésionnel, plus précisément sur deux points essentiels : le caractère pénétrant du traumatisme et la notion de cinétique élevée. Un traumatisme pénétrant est considéré plus grave qu’un traumatisme fermé. Ce point est intégré par exemple dans le calcul du score de référence, le TRISS . La notion de cinétique élevée du traumatisme suggère un traumatisme violent plus susceptible d’engendrer des lésions graves. Des éléments caractéristiques intégrés dans les algorithmes de triage, sont recherchés par l’équipe pré-hospitalière à l’arrivée sur les lieux de l’accident: vitesse élevée à l’impact (> 60 km.h-1), déformation de l’habitacle, absence de ceinture de sécurité, éjection du véhicule, hauteur de chute de plus de 6 mètres, ou présence d’autres victimes décédées.
Bilan lésionnel
Le nombre de lésions est un signe de gravité du traumatisé. Cependant, cet élément n’est pas le plus adapté en pré-hospitalier : toutes les lésions anatomiques ne peuvent être évaluées par manque de moyens diagnostiques. De plus, la clinique est souvent trompeuse. Pour exemple, à la palpation abdominale: une douleur abdominale peut être indemne de lésions tandis que de véritables lésions viscérales graves seront asymptomatiques. Cependant une évaluation grossière de ces lésions peut être intégré dans un score de triage. Le Trauma Triage Rule comporte par exemple la notion de traumatisme pénétrant de la tête, du cou ou du tronc [10]. D’autres lésions aisément reconnaissables pourraient être intégrées comme l’amputation de membre, l’abolition des pouls distaux ou les traumatismes du bassin.
Variables cliniques
Les variables physiologiques ont été particulièrement utilisées dans l’évaluation de la sévérité du traumatisé. L’objectif est d’identifier à travers certaines variables les conséquences des lésions traumatiques sur l’organisme. Trois défaillances principales sont recherchées: la défaillance hémodynamique (pression artérielle et fréquence cardiaque), neurologique (score de Glasgow) et respiratoire (saturation en oxygène et fréquence respiratoire). Les liens entre la mortalité et la pression artérielle systolique (PAS), la saturation en oxygène (SpO2) ou le Score de Glasgow ont été déjà clairement montrés [9]. Par exemple, la probabilité de survie des patients traumatisés diminue à mesure que diminue la PAS. A 9 % si la PAS est supérieure à 90 mm Hg, la mortalité passe à 74 % si la PAS est inférieure à 65 mm Hg. De même, si la SpO2 est inférieure à 80 %, la mortalité est de 76 %, alors qu’elle est de 27 % si la SpO2 est entre 80 et 90 %, et elle est inférieure à 5 % si la SpO2 est supérieure à 90 %. Cependant, la SpO2 est en réalité moins importante que les variables hémodynamiques ou le score de Glasgow pour évaluer la sévérité d’un traumatisé
Scores d’évaluation
Le but des scores est d’évaluer la gravité rapidement afin d’évaluer le pronostic du patient. Ils fournissent une aide au clinicien dans la décision d’orientation vers un centre spécialisé. On distingue plusieurs types de scores: les scores lésionnels, les scores cliniques, et les scores composites ou mixtes.
Scores lésionnels
Ces scores évaluent le pronostic d’un groupe de patients en fonction des lésions anatomiques présentées. Ils nécessitent un bilan lésionnel complet et précis et ne sont donc pas de véritables outils de triage pré-hospitalier.
Scores cliniques
Echelle de Glasgow Ce score est universel, simple à utiliser, reproductible. Il est assez bien corrélé au pronostic des traumatisés crâniens [12]. Un score inférieur à 8 définit un traumatisme crânien grave. Il présente cependant plusieurs limites. L’échelle de Glasgow est calculée en additionnant les valeurs de trois composantes: motrice, verbale et oculaire. Des combinaisons différentes avec des valeurs identiques, peuvent donner des profils avec des pronostics différents [13]. Pendant longtemps, la composante motrice du score semblait suffisante pour établir le pronostic d’un patient. Des données françaises ont permis de montrer que le score de Glasgow ne pouvait se résumer à sa valeur motrice [13]. L’évaluation de la composante verbale de l’échelle est impossible chez les patients intubés, sédatés ou ivres. Elle a cependant été adaptée pour les patients intubés. Revised Trauma Score (RTS) et le RTS de triage (T-RTS) Ces scores ont spécialement été créés et testés pour le triage pré-hospitalier des patients traumatisés [14]. Le T-RTS est plus simple et utilise 3 composantes: le score de Glasgow, la pression artérielle systolique, la fréquence respiratoire (Tableau I). Un T-RTS ≤ 11 permettrait un sous-triage< 5 %, mais ce seuil n’est pas validé. Le mécanisme lésionnel n’est enfin pas pris en compte dans ces scores.
INTRODUCTION |