PRISE EN CHARGE DES RÉSORPTIONS RADICULAIRES EXTERNES D’ORIGINE ORTHODONTIQUE
Effets biologiques immédiats
Deux théories principales expliquent l’initiation du mouvement dentaire et décrivent la conversion d’un stress mécanique en réponse cellulaire : • La théorie piézoélectrique • La théorie par réaction inflammatoire
Théorie piézoélectrique par courbure de l’os alvéolaire
La force appliquée courbe l’os, les structures solides du ligament alvéolodentaire et la dent [32]. L’os, étant plus élastique que les structures précitées, va se courber plus vite, créant un flux électrique où les électrons sont déplacés d’une maille cristalline à l’autre : c’est le phénomène de piézoélectricité. Selon Baumrind [36], la flexion de l’os alvéolaire différencie deux faces : – l’une concave, électronégative, qui stimule l’activité ostéoblastique ; – l’autre convexe, électropositive, qui favorise l’activité ostéoclastique. Ces courants électriques pourraient polariser les molécules qui interagiraient avec certains sites membranaires spécifiques ou mobiliseraient des ions au travers des membranes cellulaires. Le processus bioactif qui se produit par la suite implique le turn-over et le renouvellement des cellules et des fractions inorganiques de l’os selon Baumrind [36]. Ce phénomène est d’autant plus important que l’os est maintenu dans une position courbe. Les réponses bioélectriques propagées lors de la courbure de l’os peuvent jouer un rôle central en tant que premier messager cellulaire.
Théorie de la pression/tension
L’application d’une force différencie deux cotés au niveau parodontal [253]: – le côté pression, opposé à l’application de la force, se caractérise par une désorganisation du ligament alvéolodentaire avec une diminution de la production de fibres et de la réplication cellulaire due à la constriction vasculaire et une fuite de la substance fondamentale du côté pression ; – le côté tension où le ligament s’élargit, mettant en tension les fibres desmodontales. Il se produit une stimulation de la réplication cellulaire, une augmentation de l’activité proliférative [220] avec augmentation éventuelle de la production de fibres et dépôt de cristaux d’hydroxyapatite. Il apparait également des zones d’ostéoclasie dans les espaces médullaires visant à maintenir constante l’épaisseur du ligament [31]. La force appliquée ne doit pas dépasser la pression du lit vasculaire (20 à 25 g/cm2) [298] sous peine de provoquer un étranglement et une suffocation parodontale à l’origine d’une nécrose. Si la force appliquée est trop importante, la dent entre en contact avec l’os, créant des zones de pression très intenses et l’apparition de zones hyalines qui seront par la suite résorbées de façon indirecte à partir des espaces médullaires adjacents. 14 Selon ce concept, la variation de largeur du desmodonte change la population cellulaire et augmente son activité. I.3.2.3. Transformation de la force orthodontique en réponse cellulaire L’activation d’un vecteur force sur la dent se traduit, d’un point de vue osseux, par un remodelage qui évolue selon un cycle « ARIF » [31] (fig. 6) : • La phase d’activation(A), qui correspond à la libération de collagénases par les fibroblastes et au déplacement des ostéoblastes pour leur permettre l’accès à la surface osseuse ; • La phase de résorption (R), qui se caractérise par la présence d’ostéoclastes fonctionnels qui se fixent sur la matrice osseuse à résorber en créant un compartiment acide étanche ; • La phase d’inversion (I) où les ostéoclastes quittent la lacune de résorption pour laisser place aux ostéoblastes ; • La phase de formation (F), qui correspond au comblement de la lacune par du tissu ostéoïde synthétisé par des ostéoblastes qui deviennent par la suite des ostéocytes minéralisant ce tissu néoformé. Lorsque l’équilibre tissulaire est retrouvé, les réactions s’arrêtent. L’état de repos s’installe. Ce cycle est présent et se reproduit à l’identique de façon physiologique chez tous les individus, à chaque activation ou réactivation. La balance entre formation et résorption s’équilibre le plus souvent et, le matériel dentaire résorbé au cours des premières phases est intégralement remplacé. Cependant, ce cycle peut subir des modifications [188] : – la phase d’inversion peut ne pas se produire, induisant une perte osseuse et une maladie parodontale et/ou un vieillissement ; 15 – et, dans de rares cas, le déséquilibre peut être positif, correspondant à un phénomène de croissance. La conversion d’un stress mécanique en réponse cellulaire va se faire : – soit par mécanotransduction ; – soit par réaction inflammatoire. Bien que décalés dans le temps, ces deux phénomènes apparaissent à chaque fois et à chaque activation. Figure 6: Cycle ARIF selon Baron [31] Mécanotransduction Elle représente la réponse la plus physiologique pouvant survenir avec une croissance et un remodelage normal de l’os. 16 L’application d’une contrainte est responsable de variations structurelles et fonctionnelles des protéines de la matrice extracellulaire, du cytosquelette et des membranes cellulaires modifiant leur perméabilité à certains ions. Ces modifications exposent des sites de fixation focale où se lient les intégrines α3β5, protéines cellulaires transmembranaires. Ces molécules assurent la liaison entre la matrice extracellulaire déformée et les protéines du cytosquelette. Cette fixation permet la déformation mécanique des cellules assurée par : – le cytosquelette et les voies de signalement intracellulaires ; – les canaux ioniques mécanosensibles ou chémosensibles [191], les phospholipides et les récepteurs couplés à la protéine G activant l’adénylate cyclase qui stimule à son tour des protéines kinases et participent, au niveau nucléaire, à la réponse cellulaire. Les cellules qui remplissent cette fonction sont différentes selon la structure considérée. Ainsi, pour le ligament alvéolodentaire, cette fonction est dévolue aux fibroblastes. Pour l’os alvéolaire, les ostéocytes sont les cellules mécanosensibles. Réaction inflammatoire Elle constitue la voie de signalisation la plus fréquente résultant de l’altération des tissus par l’application de la force orthodontique et mettant en jeu de nombreuses molécules de signalisation. Le recrutement des ostéoblastes, des progéniteurs des ostéoclastes et les phénomènes d’extravasation et de chimiotactisme débutent dans les zones de tension et de pression du desmodonte, à la suite de la compression et de l’étirement, dans ces zones, des fibres et des cellules. La phase précoce du déplacement est une réaction inflammatoire aigue au cours de laquelle apparaissent une gêne fonctionnelle et une sensation douloureuse. L’écrasement des fibres nerveuses entraine une augmentation de la sécrétion de neuropeptides 17 calcitonin gene-related protein (CGRP) et de substance P [79, 211]. Par la suite, il se produit une vasodilatation des capillaires, une augmentation du flux sanguin, une extravasation de plasma, une migration de leucocytes et la production de nombreuses cytokines (Il1, TNFα, TNFβ, INFγ, PDGF). Ces substances ou premiers messagers interagissent, directement ou indirectement, avec toutes les populations cellulaires paradentaires. Elles agissent selon un mode autocrine ou paracrine, en synergie avec de nombreuses substances produites par les cellules cibles (prostaglandines, facteurs de croissance, cytokines). D’autres premiers messagers apparaissent sous l’effet des cytokines (substance P, Il1), de la contrainte ou de facteurs hormonaux (parathormone). L’acide arachidonique, qui constitue la membrane cellulaire, est métabolisé soit par la cyclo-oxygénase, soit par la lipo-oxygénase. Lors du déplacement dentaire, la contrainte appliquée induit la stimulation de protéines kinases stimulées par les signaux extracellulaires (ERK1/2), responsables de l’activation de la cyclo-oxygénase [163]. L’acide arachidonique est alors transformé en thromboxanes A2 et en prostaglandines E1, I2, E2, activateurs la résorption osseuse et qui jouent un rôle clé dans le déplacement dentaire. L’ensemble de ces premiers messagers issus des cellules immunitaires et nerveuses va par la suite se lier aux récepteurs membranaires. Les informations sont alors converties en seconds messagers au sein du cytoplasme cellulaire. Ces molécules interagissent alors avec des enzymes cellulaires (protéines kinases) permettant ainsi l’expression de la réponse cellulaire (mobilité, différenciation, prolifération, synthèse, sécrétion) (fig. 7).
INTRODUCTION |