Prise en charge des malaises du nourrisson aux urgences pédiatriques

Introduction

Le malaise du nourrisson est un symptôme qui constitue l’une des urgences pédiatriques type et génère une grande anxiété familiale. Le terme ALTE (Apparent Life Threatening Event) introduit il y a 30 ans, est défini comme un accident inopiné et brutal, pouvant associer des troubles du tonus, de la conscience et de la coloration (2). Depuis 2016, une nouvelle définition a été introduite par l’American Academy of Pediatrics avec le terme BRUE (Brief Resolved Unexplained Event) (1,3,4).
A ce jour, il n’existe pas de recommandation nationale concernant la prise en charge de cesmalaises. Les objectifs de l’étude sont l’évaluation de la connaissance du protocole disponible dans notre CHU par les médecins prenant des gardes aux urgences pédiatriques, l’évaluation deleur adhésion au protocole et l’évaluation de l’impact du protocole dans les pratiques cliniques.
Ce premier travail nous a paru intéressant afin de vérifier la bonne diffusion du protocole auprès des praticiens, afin d’étudier son application en pratique clinique dans un second temps. Notrehypothèse était qu’il existait une grande hétérogénéité des pratiques justifiant une réflexion sur leur harmonisation.

Matériel et méthode

Type d’étude

Il s’agit d’une étude de pratiques, observationnelle, réalisée sur 3 semaines (du 27 juin au 18 juillet 2016) auprès des deux sites du CHU de Marseille (AP-HM) accueillant des urgences pédiatriques.

Critères de sélection

Tous les médecins susceptibles de travailler aux urgences pendant la période de l’étude ont été contactés : médecins titulaires des urgences pédiatriques, médecins (juniors et seniors)susceptibles de prendre des gardes aux urgences pédiatriques sur la base du tableau en vigueur pour le semestre étudié. L’enquête a donc ciblé 99 médecins sur les 2 sites : 24 médecins sur le site de l’Hôpital Nord, 75 sur le site de Timone Enfants.

Recueil des données

Un auto-questionnaire standardisé (Annexe 1), informatisé (Google form), et anonyme a été élaboré puis envoyé par voie informatique à chaque médecin précédemment sélectionné sur son adresse professionnelle. L’auto-questionnaire a fait l’objet d’un pré test auprès de 5 médecins urgentistes afin d’obtenir un questionnaire compréhensible et réalisable, pour éviter un taux de non-réponse trop important ou des réponses incohérentes. Ce questionnaire pouvait être rempli très rapidement (environs 5-10 minutes) et était structuré en 3 parties. Il a été envoyé à trois reprises. Un premier envoi a été effectué le 27 juin 2016 puis trois relances ont été réalisées par mail jusqu’au 18 juillet 2016 par l’auteur.
La première partie du questionnaire regroupait des items décrivant la population : établissement d’exercice, sexe, âge (moins de 30ans, entre 30 et 50ans, plus de 50 ans), spécialité (urgentiste, pédiatre, médecin généraliste), statut (séniors prenant des gardes, urgentistes, assistant ou chef de clinique et interne).
La deuxième partie était en lien avec la connaissance et le comportement vis-à-vis du protocole : connaissance de son existence, lecture de celui-ci, application pratique et éventuelles raisons justifiant de ne pas l’appliquer (protocole peu clair, insuffisant, non adapté à la pratique, préfère se fier à son expérience personnelle, autre) et sentiment d’une amélioration de prise en charge médicale liée à l’utilisation de celui-ci.
La troisième partie se composait de trois cas cliniques courts permettant une mise en situation et une validation théorique des connaissances déclarées. Le premier cas (Annexe 2) correspondait à un nourrisson de 4 mois présentant un cas simple de malaise rouge sur spasme du sanglot. Le deuxième cas (Annexe 3) correspondait à un nourrisson de 6 mois présentant un malaise de couleur indéterminée avec hypotonie et perte de connaissance. Le troisième cas (Annexe 4) correspondait à un nourrisson de 14 mois présentant un malaise blanc aux circonstances non précisées. Pour chaque cas il était demandé au praticien ses pratiques d’interrogatoire avec des réponses à choisir dans un panel, la qualification du malaise (malaise rouge, bleu, blanc ou non précisé), la nécessité ou non de pratiquer des explorations complémentaires avec un panel d’examens proposés et le mode de prise en charge à l’issue du diagnostic (ambulatoire, unité de courte durée d’hospitalisation, hospitalisation en service conventionnel).
Pour chaque cas clinique, nous avons étudié les réponses obtenues au regard des recommandations du protocole validé et ainsi défini les groupes suivants :
– Concernant l’interrogatoire, la pratique était définie comme « bonne » si tous les itemsdu questionnaire étaient renseignés, et « incomplète » s’il en manquait au moins un. Lesmédecins ayant un interrogatoire plus complet étaient comptabilisés dans la catégorie « bonne pratique d’interrogatoire ». Nous n’avons pas évalué la recherche des critères d’infection materno-fœtale (IMF) pour les cas 2 et 3 compte tenu de l’âge des patients.
– Concernant la caractérisation du malaise, une « bonne pratique » était définie par une caractérisation correcte du malaise en termes de couleur.
– Concernant la prescription d’examens complémentaires : une « bonne pratique » était définie par la prescription de tous les examens recommandés et uniquement ceux recommandés ; une « pratique incomplète » par des examens recommandés non prescrits et une « pratique non conforme » par des examens non recommandés mais prescrits.
– Concernant le suivi de prise en charge, une « bonne pratique » était définie par un choix d’hospitalisation ou de suite ambulatoire conforme au protocole.

Analyse statistique

L’analyse a consisté en une analyse descriptive du profil des répondants, des pratiques vis à vis du protocole et des résultats obtenus pour chaque question des cas cliniques. L’analyse statistique a été conduite sur SPSS (version 20). Les fréquences en nombre et en pourcentage ont été déterminées pour l’ensemble des critères évalués. Le résultat présenté correspond à la fréquence des réponses pour lesquelles le critère était renseigné et applicable. Les tests du Chi² ont été utilisés lors des croisements des différentes variables entre elles. Les résultats ont été comparés selon le statut des praticiens, leur spécialité et leur connaissance du protocole (lecture et application). Le seuil de signification pour tous les tests a été fixé à 0.05. Seules les différences significatives ont été rapportées.

Résultats

Données relatives à la population étudiée

Sur les 99 médecins ciblés, 59% ont répondu au questionnaire (n=58/99). Les répondants étaient majoritairement des femmes (78%), entre 30 et 50 ans (53%), pédiatres (90%) exerçant à la Timone Enfant (55%). La population des répondants était représentative.

Réponses au cas clinique n°1 (n=58) : nourrisson de 4 mois présentant un malaise rouge

Seulement 7% des médecins respectaient parfaitement l’interrogatoire du protocole (n=4/58), 22% avaient un interrogatoire plus complet que le protocole (n=13/58). Au total, 29% des médecins avaient une bonne pratique d’interrogatoire (n=17/58). 71% étaient dans une pratiqueincomplète d’interrogatoire (n=41/58). Les quatre médecins ayant une bonne pratique étaient deux internes et deux assistants/chef de clinique qui avaient lu et appliqué le protocole. L’item du protocole le plus fréquemment oublié lors de l’interrogatoire était la recherche de consanguinité (52%).
La caractérisation du malaise était majoritairement correcte : 54 médecins (93%) le classaient dans les malaises de couleur rouge, 1 dans les malaises bleus, 1 dans les malaises blancs et 2 dans les malaises de couleur indéterminée.
Les femmes, les internes et les professionnels qui ont lu/appliquent le protocole caractérisaientmieux le malaise (p< 0,05).
Dans notre protocole, un malaise rouge ne nécessite aucun examen complémentaire. 45% des médecins avaient une bonne pratique en s’abstenant de tout examen (n=26/58), 55% une pratique non conforme par sur-prescription (n=32/58). Les trois examens les plus fréquemment prescrits étaient : une glycémie capillaire, une gazométrie et un électrocardiogramme.
Réponses au cas n°2 (n= 58) : nourrisson de 6 mois présentant un malaise de couleur indéterminée 5% des médecins respectaient parfaitement l’interrogatoire du protocole (n=3/58), 40% avec un interrogatoire plus que complet (n=23/58). Au total, 45% avaient une bonne pratique d’interrogatoire (n=26/58). 55% étaient dans une pratique incomplète avec un interrogatoire incomplet (n=32/58).
L’item du protocole le plus fréquemment oublié était la consanguinité (58%).
5% des médecins avaient une bonne pratique concernant les examens complémentaires (n=3/58), 7% une pratique incomplète (n=4/58) et 88% une pratique non conforme par une surprescription (n=51/58).
Les 3 examens non conformes au protocole les plus fréquemment prescrits étaient un fond d’œil, une échographie abdominale et un scanner cérébral. L’examen conforme au protocole le plus souvent oublié était la radiographie thoracique. 74% avaient une bonne pratique concernant le suivi de la prise en charge en proposant une hospitalisation en pédiatrie (n=43/58). Les hommes, les internes, ceux qui ont lu/appliquent le protocole prenaient majoritairement mieux en charge la suite (p<0,05).
Au total, pour ce cas clinique de malaise de couleur indéterminée, 45% des médecins avaient une bonne pratique d’interrogatoire, 62% caractérisaient correctement le malaise, 5% avaient une bonne pratique concernant les examens complémentaires et 74% concernant la suite de la prise en charge. Seuls 3% des médecins étaient conformes au protocole concernant à la fois l’interrogatoire, la qualification du malaise, la prescription d’examens complémentaires et la suite de la prise en charge (n=2/58).
Les médecins qui ont lu le protocole ne caractérisaient pas mieux le malaise (69% vs 100% p<0,05), mais orientaient majoritairement mieux pour la suite de la prise en charge (77% vs 0%, p<0,05).

Réponses au cas n°3 (n=58) : nourrisson de 14 mois présentant un malaise blanc

1 médecin sur 58 (2%) respectait parfaitement l’interrogatoire du protocole, 34% avaient un interrogatoire plus complet que le protocole (n=20/58). Au total, 36% des médecins avaient une bonne pratique d’interrogatoire (n=21/58).
L’item du protocole le plus fréquemment oublié était les circonstances de l’accouchement (50%).
Pour ce cas clinique de malaise blanc : 3% des médecins avaient une bonne pratique concernant les examens complémentaires (n=2/58), 31% une pratique incomplète (n=18/58) et 69% une pratique non conforme par sur-prescription (n=38/58). Les 3 examens non conformes au protocole les plus fréquemment prescrits étaient une échographie cardiaque, un scanner cérébral et une échographie abdominale. L’examen conforme au protocole le plus souvent oublié était la radiographie thoracique. 78% avaient une bonne pratique concernant le suivi de la prise en charge en proposant une hospitalisation en pédiatrie (n=45/58).
Au total pour ce cas clinique de malaise blanc, 36% des médecins avaient une bonne pratique d’interrogatoire, 84% caractérisaient correctement le malaise, 3% avaient une bonne pratique concernant les examens complémentaires et 78% une bonne pratique concernant la suite de la prise en charge. Un seul médecin était conforme au protocole concernant à la fois l’interrogatoire, la qualification du malaise, la prescription d’examens complémentaires et le suivi de la prise en charge. Les médecins qui ont lu le protocole caractérisaient majoritairement mieux le malaise(87% vs 75% p<0,05), et orientaient majoritairement mieux pour la suite de la prise en charge (77% vs 75%, p<0,05).

Discussion

Cette première étude nous a permis d’évaluer la connaissance et l’impact théorique du protocole des malaises du nourrisson sur la pratique aux urgences pédiatriques du CHU marseillais. La population ayant répondu à l’enquête est représentative de la population cible. Le protocole était connu et appliqué par la majorité des médecins interrogés, ce qui a prouvé sa bonne diffusion et mise à disposition dans les services d’accueil des urgences pédiatriques, depuis sa validation en juin 2015. Cependant, moins de la moitié des praticiens considéraient qu’il avait amélioré la prise en charge, révélant probablement leurs doutes sur sa pertinence clinique.
Nous avons mis en évidence qu’il existe une très grande hétérogénéité déclarative dans la prise en charge de ces malaises, que ce soit en termes d’interrogatoire, de prescription d’examens complémentaires ou concernant le suivi du patient. On retrouve d’ailleurs cette hétérogénéité des pratiques sur le plan national et international, ce qui est en partie expliqué par la grande variabilité des protocoles de prise en charge (1,5-6). On peut dire que dans cette étude déclarative, si les médecins déclarent connaitre le protocole, peu d’entre eux l’appliquent de façon satisfaisante (14% de bonnes pratiques globales pour le malaise rouge, 3% pour celui ayant une couleur indéterminée et une seule dans le malaise blanc).
La partie interrogatoire des questionnaires était majoritairement incomplète. Si les questions sur les circonstances du malaise, la couleur et le facteur déclenchant sont globalement posés par tous les médecins, les items concernant les circonstances de l’accouchement, les facteurs de risque d’IMF et le tabagisme environnemental sont les plus fréquemment oubliés et ce d’autant plus que le patient est plus âgé. Face à des parents stressés de l’évènement tout juste passé, enclins à relater les circonstances précises du malaise, il nous semble important de ne pas omettre à l’interrogatoire les antécédents néonataux ainsi que les facteurs de risque environnementaux, puisque ces items peuvent orienter sur les étiologies et pronostics des malaises (4-6). Ils font d’ailleurs partie des antécédents du patient à préciser selon les dernières recommandations de l’AAP (4). Cependant, ces oublis fréquents nous interrogent également sur leur pertinence dans le protocole où ils ne sont pas adaptés à l’âge du patient. Globalement, les examens complémentaires recommandés dans le protocole étaient bienprescrits mais nous avons remarqué une nette tendance à la sur-prescription dans tous les types de malaise. Ainsi dans le cas du malaise rouge pour lequel le protocole ne recommande aucune exploration paraclinique, plus de la moitié des praticiens interrogés en prescrit au moins une.
Pour les deux autres cas, des examens non indiqués en première intention sont réalisés (scannercérébral, échographie abdominale). Or, ces examens ont un impact non négligeable sur la durée de passage aux urgences, ne sont pas dénués de iatrogénicité et ont un certain coût financier (6).
De plus ils participent à l’anxiété des parents et de l’enfant, et peuvent à tort conforter les parents dans l’idée qu’il s’agissait d’un malaise sévère.
Enfin, l’orientation des patients était majoritairement correcte mais on note toutefois des hospitalisations trop nombreuses des patients ayant eu un malaise rouge. Sachant que les malaises du nourrisson ont une recrudescence automno-hivernale (7), concomitante aux périodes épidémiques virales pendant lesquelles les services de pédiatrie sont surchargés et les hôpitaux dits « en tension » par manque de capacité, il nous paraît légitime de rappeler la non nécessité d’hospitaliser ces patients. La couleur du malaise ne semble pas influencer le praticien sur sa décision de prise en charge, que ce soit en termes de prescription d’examens complémentaires ou hospitalisation du patient. On peut se demander si cela est dû à la subjectivité des cas cliniques proposés ou si cette caractérisation par couleur est trop imprécise pour appréhender la sévérité et le diagnostic étiologique du malaise.

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