Prise en charge des atrésies des voies biliaires

L’atrésie des voies biliaires (AVB) est une maladie congénitale rare, de cause inconnue, caractérisée par une obstruction fibreuse plus ou moins étendue des voies biliaires intra et extra hépatiques survenant en période périnatal [1]. Avec une incidence dans le monde variant de 5 à 32 cas pour 100000 naissances vivantes [1, 2], l’AVB constitue la principale étiologie des cholestases néonatales [3]. Le processus histo-pathologique habituel est une inflammation avec sclérose des canaux biliaires intra et extra-hépatiques, conduisant à leur rétrécissement ou à leur oblitération. Non traitée, elle conduit à la cirrhose biliaire irréversible puis au décès de l’enfant dans les premières années de vie [4]. Environs 10% des AVB s’accompagnent d’autres malformations congénitales, notamment une polysplénie ou un situs inversus, définissant le type syndromique de l’affection [5]. Le diagnostic doit être rapidement évoqué devant toute cholestase néonatale et un traitement chirurgical doit être instauré le plus tôt possible. Celui ci, communément appelé «intervention de Kasai », consiste en une dérivation bilio-digestive entre le hile hépatique et le jéjunum qui vise à rétablir un flux biliaire et à ralentir voire stopper l’évolution cirrhogène de la maladie [6]. Ses chances de succès sont d’autant plus importantes qu’elle est réalisée précocement. Ultérieurement, la transplantation hépatique peut être nécessaire en cas d’échec de l’intervention de Kasai et/ou de complications liées à la cirrhose [7]. L’AVB constitue actuellement la première indication de transplantation hépatique chez l’enfant [1, 4]. Notre travail est une revue de 27 cas d’AVB colligés au service de chirurgie pédiatrique générale de l’hôpital Mère-enfant du CHU Mohammed VI de Marrakech entre 2008 et 2014. Il a pour objectif d’évaluer la prise en charge des AVB depuis le diagnostic jusqu’au suivi postopératoire et de proposer des recommandations dans le but d’améliorer le pronostic de cette pathologie qui reste sombre dans notre pays.

La première référence claire à ce qui semble être un cas d’atrésie des voies biliaires remonte au début du XIXème siècle. Le professeur John Burn en a fait la description en 1817 à l’université de Glasgow, suivie par le pédiatre Charles West en 1855 [8]. Thomson en 1892, après avoir étudié une série de 50 cas, est surpris par la diversité des lésions. Il conclut à une malformation congénitale dans la plupart des cas. Il pense que l’atteinte est progressive, débutant durant la vie intra-utérine et se poursuivant après la naissance pour conduire à une oblitération complète, suivie de la mort par altération des fonctions hépatiques [8].

Cette série sera suivie de celle de Benecke en 1907, étendant la revue à 74 cas. Ce dernier pense que le processus débute à la papille de Vater pour remonter en intra-hépatique. Selon lui, tout enfant de plus de 2 semaines de vie, présentant un ictère en l’absence de sepsis ou de syphilis, devrait bénéficier d’une laparotomie, afin d’explorer les voies biliaires. Il reste ainsi le premier à avoir décrit la possibilité d’une cure chirurgicale, possible dans 16 % des cas, en anastomosant les voies biliaires perméables restantes au duodénum. Si cette opération ne peut se faire dans le même temps opératoire (mauvais état général, nutritionnel, etc.), il propose d’abord une dérivation externe, puis une anastomose dans un deuxième temps, malgré les complications infectieuses que cela comporte. En 1914, Holmes analysa 120 cas, mettant en évidence la fréquence de cette maladie, que l’on supposait jusqu’alors extrêmement rare et fût le premier à donner une classification permettent de distinguer 2 groupes : un comportant les types d’atrésie corrigibles et l’autre les non corrigibles, la différence étant établie sur l’absence ou la présence d’un reliquat biliaire perméable [8]. Ce reliquat drainant la bile, peut alors être anastomosé au grêle. Dans 16 % des cas, les canaux cystique et hépatique sont normaux et communiquent, permettant le rétablissement d’un flux biliaire par une anastomose avec le système digestif. Plusieurs étiologies sont à cette époque évoquées:

• la syphilis congénitale,
• une malformation congénitale,
• la conséquence d’une péritonite fœtale,
• un processus catarrhal des canaux biliaires seuls.

Ce n’est que 15 ans plus tard, en 1928, que Ladd décrit les 8 premières anastomoses bilio-entériques (cholécysto-duodénostomie et cholécysto gastrostomie), dont 6 seront réussies sur un total de 11 cas d’atrésie des voies biliaires de type corrigible. Il recommandera ensuite de procéder à l’exploration chirurgicale avant le 4ème mois de vie afin d’éviter les complications fatales liées à la cirrhose hépatique [9]. La technique opératoire sera redéfinie en détail en 1940 par Ladd et Gross [10], recommandant une anastomose muco-muqueuse, sans sténose, estimant inutile de confectionner une valve. Leur taux de réussite est de 60% à 19 ans, avec cependant plusieurs épisodes de cholangites chez un patient traité par cholécysto-duodénostomie par interposition d’un bouton de Murphy. Cette intervention ne peut être réalisée que si la vésicule reçoit la bile d’un canal hépatique perméable (atrésie distale). Gross décrira par la suite une série de 146 cas, dont 27 corrigibles où seuls 12 survécurent. Sur les 119 cas non opérables, tous mourront dans un tableau d’insuffisance hépatique terminale. Cette série d’échecs mènera les chirurgiens de l’époque à tenter diverses opérations : Longmire en 1948, réséqua le lobe hépatique gauche et anastomosa un canal biliaire intra hépatique au jéjunum  , Sterling en 1963 [12] tenta de rétablir le flux biliaire à l’aide de tubes externes et Fonkalsrud [13] anastomosa les canaux lymphatiques au grêle par une hépatico-lympho-jéjunostomie . Tous ces essais ont échoué .

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Parallèlement, au Japon, puis aux Etats-Unis, Kasai (figure 3) étudia la pathologie de l’atrésie des voies biliaires. Il conclut que le processus inflammatoire et destructeur touchant les voies biliaires extra-hépatiques remontait vers le hile hépatique, induisant parallèlement une diminution de la prolifération ductulaire au hile. De-là, il conclut qu’une anastomose rapide entre une structure digestive et la plaque hilaire, contenant des canaux biliaires intra-hépatiques encore perméables, permettrait de rétablir le flux. Cette opération, communément appelée l’opération de Kasai est une porto-entéro-anastomose (porto pour plaque hépatique ou porta hepatis).

Cette technique fût décrite au Japon en 1959 , mais n’atteindra l’Europe que 4 ans plus tard, en 1963 en Allemagne, puis en 1968 aux Etats-Unis [6]. Kasaï y apporta en 1963 une modification en avançant la dissection du hile hépatique jusqu’à la bifurcation porte. Cette opération permettait de rétablir un flux biliaire dans 45 à 80 % des cas selon les séries .

Depuis 1963, une autre voie thérapeutique s’est peu à peu développée grâce à Starzl [16] : la transplantation hépatique orthotopique, reconnue actuellement comme étant la thérapeutique de choix après échec d’une porto-entéro-anastomose [7]. Dès 1980 la transplantation a vu un essor extraordinaire, grâce à la découverte de la Ciclosporine [17]. Actuellement, la survie des enfants à 10 ans après transplantation hépatique dépasse 90% dans plusieurs centres .

Table des matières

INTRODUCTION
HISTORIQUE
RAPPELS
I. EMBRYOLOGIE
1. Embryogenèse des voies biliaires intra-hépatiques
2. Embryogenèse des voies biliaires extra-hépatiques
II. ANATOMIE
1. Segmentation du foie
2. Voies biliaires intra-hépatiques
3. Voies biliaires extra-hépatiques
III. PHYSIOLOGIE BILIAIRE
1. Formation de la bile
2. Composition de la bile
3. Rôles de la bile
IV. PHYSIOPATHOLOGIE DE LA CHOLESTASE
1. Mécanisme de la cholestase
2. Conséquences de la cholestase
PATIENTS ET MÉTHODE
I. Patients de l’étude
1. Critères d’inclusion
2. Critères d’exclusion
II. Méthode
1. Collecte des données
2. Analyse statistique
RÉSULTATS
I. Épidémiologie
1. Age
2. Sexe
II. Données cliniques
1. Antécédents
2. Signes fonctionnels
3. Examen clinique
III. Données paracliniques
1. Examens biologiques
2. Échographie abdominale
3. Biopsie hépatique
4. Autres bilans
IV. Prise en charge thérapeutique
1. Traitement médical
2. Traitement chirurgical
V. Évolution
1. Suites postopératoires
2. Évolution globale chez tous les patients de notre série
DISCUSSION
I. Épidémiologie
1. Incidence
2. Age des patients
3. Sexe
II. ETIOPATHOGÉNIE
1. Facteurs de risques
2. Étiologies
III. ANATOMOPATHOLOGIE
1. Aspect macroscopique
2. Aspect microscopique
IV. DIAGNOSTIC POSITIF
1. Diagnostic anténatal
2. Diagnostic clinique
3. Diagnostic paraclinique
4. Diagnostics différentiels
V. Prise en charge thérapeutique
1. Traitement médical
2. Traitement chirurgical
VI. ÉVOLUTION
1. Résultats
2. Complications
VII. PRONOSTIC
1. La survie
2. Les facteurs pronostics
CONCLUSION

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