Prise en charge accélérée des hydrops cornéens aigus

Rappel anatomique de la cornée

La cornée est une structure transparente, avasculaire, formant la partie antérieure du globe oculaire. Elle est responsable des deux tiers du pouvoir réfractif de l’œil, le tiers restant étant assuré par le cristallin. Ses propriétés optiques dépendent de sa forme, de sa courbure, de sa transparence et de sa régularité.
Elle est constituée de 6 parties, de la surface cornéenne à la couche la plus profonde : l’épithélium, la couche de Bowman, le stroma, la membrane de Dua, la membrane de Descemet, l’endothélium. L’épithélium cornéen est de type stratifié non kératinisé, composé de différentes couches cellulaires superficielle, intermédiaire et basale reposant sur une membrane basale. Son épaisseur est de 30 à 50 µm, soit 10% de l’épaisseur cornéenne totale. L’épithélium a un rôle de barrière. Le renouvellement cellulaire épithélial se fait par le biais des cellules souches de l’épithélium, situées au niveau du limbe en périphérie de la cornée. Un second mécanisme de renouvellement prend le relais, de la base de l’épithélium vers le haut : la couche de cellules basales produit des cellules intermédiaires pavimenteuses, puis des cellules plates superficielles qui desquament dans le film lacrymal.
La couche de Bowman sépare l’épithélium du stroma cornéen. Elle mesure 8 à 12 µm d’épaisseur. Elle est synthétisée au cours de la vie embryonnaire, probablement par les cellules basales épithéliales et n’est plus renouvelée par la suite. Une altération de celle-ci pourra induire une cicatrice. Elle est acellulaire et constituée de fibres de collagène réparties dans la substance fondamentale.
Le stroma mesure 500 μm d’épaisseur et constitue environ 90 % de l’épaisseur cornéenne totale.Il s’agit d’une structure avasculaire. Il est composé de lamelles de collagène entre lesquelles s’insèrent des kératocytes et de la substance fondamentale. Ces lamelles sont orientées parallèlement à la surface cornéenne et s’organisent à 90° les unes des autres permettant la transparence cornéenne. On retrouve également des cellules de Schwann, des lymphocytes B et T, des cellules mononuclées et des cellules de Langerhans.
La couche de Dua est une couche pré-descemetique découverte récemment grâce à la technique de clivage cornéen (« big bubble ») utilisée dans les kératoplasties lamellaires profondes.9 Il s’agit d’une couche acellulaire, résistante, imperméable de 10 μm, composée de 5 à 8 lamelles de collagène de type 1.
La membrane de Descemet correspond à la lame basale de l’endothélium. Elle mesure 10 à 12 μm d’épaisseur. Elle est formée de deux feuillets : un feuillet antérieur au contact du stroma (constitué de collagène VIII) et un feuillet postérieur au contact de l’endothélium (constitué de collagène IV). Elle est synthétisée par les cellules endothéliales et s’épaissit avec l’âge.
L’endothélium cornéen est la couche la plus profonde de la cornée. Il s’agit d’une mono-couche cellulaire de 5-6 µm de hauteur, constituée de cellules hexagonales organisées en «nid d’abeille». Ces cellules ne se régénèrent pas. La densité cellulaire est d’environ 3000 cellules/mm2. Le rôle principal des cellules endothéliales cornéennes est de garder la transparence cornéenne en pompant par transport actif l’eau en excès du stroma vers l’humeur aqueuse, afin de maintenir une hydratation constante du stroma. L’œdème stromal apparaît en dessous d’une certaine densité endothéliale (entre 600 et 800 cellules/mm²), leur nombre est insuffisant pour maintenir le transfert d’eau en dehors du stroma.

Le Kératocône

Rappel historique du Kératocône : Kératocône provient du grec Kerato = cornée et Konos = cône. AU XVIIIe siècle, François-Pourfour du Petit rapporte ses premières mesures sur le dioptre cornéen et sa courbure. En 1748, l’ophtalmologiste allemand Burchard David Mauchard donne la première description du kératocône. Il faudra attendre 1854 pour en avoir les premières analyses grâce au britannique Nottingham dans son traité « conical cornea ». C’est le chirurgien William Bowman qui utilise pour la première fois un ophtalmoscope pour diagnostiquer le kératocône en inclinant le miroir de l’instrument pour mieux distinguer la forme conique de la cornée. La dénomination Kératocône était déjà bien ancrée en 1860 en partie grâce à la thèse de Horner sur le traitement du Kératocône (technique de compression). En 1888, le traitement du kératocône devient l’une des premières applications pratiques des verres de contact cornéo-scléraux mis au point par Kalt. Le disque de Placido (1880) a aussi permis d’améliorer les connaissances et la prise en charge du Kératocône par le développement des topographes dès les années 1960. Histologie et physiopathologie : Dans le kératocône, toutes les couches de la cornée peuvent être atteintes selon l’avancement de la pathologie aboutissant à un amincissement cornéen et à un bombement. La triade histologique classique repose sur l’amincissement du stroma, des ruptures de la membrane de Bowman et des dépôts de ferritine épithéliaux. L’épithélium cornéen est le premier élément modifié. On observe un amincissement en regard de l’apex du cône ainsi qu’une diminution du nombre d’assises cellulaires. Une dégénérescence précoce des cellules basales peut aboutir à des zones de rupture de la membrane épithéliale. Ces zones de rupture ainsi que les interruptions de la membrane de Bowman sont alors comblées par des cellules épithéliales ou du tissu conjonctival fibreux cicatriciel. Des dépôts de ferritine en provenance des larmes se forment dans et entre les cellules basales épithéliales à la base du cône ; c’est l’anneau de Fleischer.

Diagnostic clinique

Circonstances de découverte : Il s’agit souvent de signes peu spécifiques qui amène le patient à consulter. On retrouve le plus souvent une baisse d’acuité visuelle progressive prédominant de loin, une sensation de brouillard, une photophobie ou une diplopie monoculaire. Il peut aussi être découvert de façon fortuite lors d’une consultation systématique pour prescription de lunettes ou lentilles, ou spécialisée lors d’un bilan pré-opératoire de chirurgie réfractive par vidéotopographie à la recherche de contre-indication opératoire comme le Kératocône frustre ou débutant.
Examen clinique : Lorsque le diagnostic de kératocône est suspecté, l’interrogatoire doit rechercher des facteurs favorisants du kératocône comme énumérés précédemment (atopie et frottements oculaires). Les signes cliniques dépendent du stade du kératocône. Trois signes très caractéristiques sont présents à des degrés variables de la maladie et sont à rechercher : un astigmatisme myopique irrégulier, un amincissement cornéen et des opacités cornéennes.

L’hydrops

L’hydrops cornéen ou kératocône aigu est une complication rare du kératocône. Sa première description date de 1906 par Terrien. Il s’agit d’une rupture de la face postérieure de la cornée responsable d’un œdème cornéen majeur avec baisse brutale de l’acuité visuelle.
Epidémiologie : L’hydrops est rapporté chez 2,8 à 3,1% des porteurs de kératocône en fonction des études. Cependant, l’âge moyen de survenue des kératocônes aigus est généralement aux alentours de 25 ans avec une prédominance masculine. Bien qu’il existe des variations de prévalence en fonction des ethnies, peu d’études ont identifié une association ethnique avec la survenue d’un hydrops cornéen. Une étude néo-zélandaise a montré que l’appartenance aux ethnies du Pacifique était fortement associée au développement d’un kératocône aigu comparé aux néo-zélandais d’origine européenne.
Concernant d’autres facteurs favorisants dans la survenue d’un hydrops cornéen, Tuft et al ont réussi à isoler un âge précoce de diagnostic, une kératométrie très élevée, un terrain atopique et le frottement oculaire.
Evolution clinique : Lors de la rupture du mur postérieur cornéen, l’irruption d’humeur aqueuse au niveau du stroma est responsable d’une baisse d’acuité visuelle brutale, d’un larmoiement, d’une photophobie et de douleurs. La membrane de Descemet se trouve détachée du stroma et a tendance à se rétracter et se courber. Pour la résolution de l’hydrops, il est nécessaire que cette brèche postérieure se referme ; premièrement la membrane de Descemet décollée doit se réappliquer au stroma et deuxièmement les cellules endothéliales doivent s’agrandir et migrer dans la zone séparant les 2 bords de la déchirure descemétique. Cependant, la déchirure de la membrane de Descemet ne parait pas suffisante pour expliquer toute la physiopathologie. En effet, Dua et al ont décrit une nouvelle couche cornéenne imperméable séparant le stroma postérieur de la membrane de Descemet. Il paraît donc nécessaire qu’elle soit elle aussi ouverte pour expliquer l’œdème stromal.

Traitement de l’hydrops

Historiquement, de nombreuses méthodes ont été utilisées pour traiter l’hydrops cornéen, y compris la compression du globe , l’excision d’un lambeau cornéen, le recouvrement conjonctival, la tarsorraphie, la cautérisation chimique ou thermique de la cornée. Cependant, ces traitements reposaient sur l’incompréhension de la physiopathologie de l’hydrops cornéen aigu.
L’hydrops cornéen aigu est une pathologie qui disparaît sans intervention en 2 à 4 mois, cependant l’acuité visuelle est très limitée pendant cette période. De plus, plus le temps de cicatrisation est long, plus le risque de néovascularisation est important par persistance de l’inflammation. Par conséquence, la prise en charge de l’hydrops doit essayer de réduire la durée de l’œdème cornéen afin d’améliorer l’acuité visuelle et de minimiser le risque de néovascularisation.
Les schémas thérapeutiques peuvent être divisés en traitement conservateur, médical et chirurgical. Le traitement conservateur vise à la lubrification topique pour améliorer le confort du patient. Le traitement médical repose sur l’application d’une solution saline hypertonique pour réduire l’œdème cornéen intrastromal, des corticostéroides topiques pour diminuer l’inflammation et prévenir la néovascularisation et des agents cycloplégiques en cas de douleur. Cependant, il existe peu de preuves dans la littérature pour soutenir cette prise en charge thérapeutique et certaines études ont montré que les corticostéroides étaient inefficaces pour empêcher la progression d’une néovascularisation.
Au cours des 20 dernières années, l’injection intracamérulaire d’air ou de mélange de air/gaz (l’hexachlorure de soufre : SF6 ou le perfluoropropane : C3F8) expansif a montré de bons résultats. La présence du mélange air/gaz dans la chambre antérieure permet la ré application de l’endothélium cornéen, accélérant la récupération de l’œdème cornéen par réactivation de la pompe endothéliale. Le mélange air/gaz agit aussi comme une barrière mécanique empêchant l’humeur aqueuse de pénétrer dans le stroma. Cette technique nécessite une paracenthèse pour injecter le mélange air/gaz, associé ou non à une iridectomie.

Table des matières

I. Introduction
II. Rappel anatomique de la cornée
III. Le Kératocône
A. Rappel historique du Kératocône
B. Histologie et physiopathologie
C. Epidémiologie
1. Incidence et prévalence
2. Hérédité
3. Sexe
4. Facteurs environnementaux
5. Maladies associées
D. Diagnostic clinique
1. Circonstances de découverte
2. Examen clinique
E. Examen paraclinique
F. Prise en charge
IV. L’hydrops
A. Epidémiologie
B. Evolution clinique
C. Diagnostic paraclinique
D. Traitement de l’hydrops
V. Les lentilles sclérales
A. Caractéristique de la lentille
1. La flèche
2. RT et RB ?
3. Les matériaux
B. Rôle réfractif de la lentille sclérale
C. Rôle thérapeutique
D. Règles d’adaptation
1. Première adaptation
2. Deuxième consultation
3. Troisième consultation
VI. Objectif de l’étude 
VIII. Matériels et méthodes
A. Technique chirurgicale
B. Adaptation en lentille de contact
C. Analyse statistique
IX. Résultats
A. Efficacité du traitement
B. Acuité visuelle
C. Suivi
X. Discussion
XI. Conclusion
XII. Bibliographie

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *