Nanoparticules multimodales à base de lanthanides pour l’imagerie biomédicale et le suivi de cellules mésenchymateuses
Principes et applications des méthodes d’imagerie biomédicale
Les travaux effectués au cours de cette thèse étant axés sur l’imagerie biologique, nous développerons plus en détails ci-après les différentes méthodes d’imagerie biomédicale et les principaux nanomatériaux couramment utilisés. Chacune des méthodes présente des avantages et des inconvénients reposant principalement sur une différence entre sensibilité et résolution . En imagerie, la sensibilité se réfère à la plus faible variation de signal détectable. Ainsi, plus une technique est sensible, plus il sera possible de détecter et de quantifier précisément un signal émis. La résolution quant à elle se réfère avant tout à la capacité à localiser spatialement le signal émis.
La fluorescence
La fluorescence est la méthode la plus couramment utilisée en recherche biomédicale car elle permet de détecter, avec une grande sensibilité, des cibles réduites (en faibles quantités) au sein d’échantillons biologiques, que ce soit en microscopie ou en cytométrie de flux. Un matériau est dit fluorescent lorsqu’il est capable d’émettre un rayonnement lumineux après excitation par un (ou plusieurs) photon(s). Aujourd’hui, la grande majorité des matériaux fluorescents utilisés en recherche sont des fluorochromes organiques comme le DAPI ou la GFP (green fluorescent protein). Ceux-ci présentent un mécanisme de fluorescence dit conventionnel, l’émission ayant lieu à une longueur d’onde plus élevée que l’excitation accompagnée d’une perte d’énergie donnant lieu à un déplacement de Stokes (Figure II.2).
Etat de l’art
Ce type de produits a permis la caractérisation de nombreux mécanismes biologiques mais reste cependant limité dans ses performances. En effet, ceux-ci sont sensibles à la dégradation, soit par photoblanchiment consécutif à une exposition prolongée à une source lumineuse, soit par oxydation cellulaire . Afin de pallier ces déficiences, différentes stratégies ont été développées. Afin de contourner le problème d’oxydation des fluorophores organiques et de concentrer la source de fluorescence, il est possible d’incorporer ces derniers à l’intérieur de particules à base de silice ou de polymère35 . Un autre facteur de limitation à l’utilisation des fluorochromes classiques, notamment pour le suivi de mécanismes in vivo, est la faible pénétration de la lumière visible dans les tissus biologiques. L’amélioration des technologies de microscopie intravitale (incluant la microscopie à champ large, confocale ou multiphotonique) permet, d’outrepasser en partie les limitations de profondeur notamment via l’utilisation d’excitation multiphotonique.
En outre, l’utilisation de nanomatériaux inorganiques permet de s’affranchir des problèmes d’instabilité lumineuse ou de dégradation. Les premiers représentants à avoir été employés sont les Quantum Dots (QDs). Il s’agit de nanocristaux semi-conducteurs de quelques nanomètres de diamètre et dont la taille impacte directement la longueur d’onde d’émission. Leurs propriétés optiques remarquables ont été à l’origine d’un fort engouement à leur égard. En effet, ils présentent une photostabilité et une brillance exceptionnelle permettant le suivi à long terme et la détection de cibles peu abondantes38,39. De plus, ils sont facilement utilisables pour des études de multiplexage (mesure simultanée de plusieurs informations) car ils sont excitables à partir d’une seule longueur d’onde et ont des spectres d’émission très fin ce qui évite le chevauchement spectra. Cependant, leur utilisation dans les laboratoires de recherche est Dissipation d’énergie hν1 hν2 E0 E1 E2 Déplacement de Stokes Longueur d’onde Excitation Emission Etat de l’art 9 limitée, notamment à cause de leur toxicité due à leur composition (Cadmium, Soufre, Zinc…).
D’autre part, les avancées récentes ont mis en évidence l’intérêt indéniable des sondes fluorescentes excitables dans le proche infrarouge (700-2500 nm) permettant l’imagerie non invasive sur animaux vivants. En effet, la pénétration des photons dans les tissus y est plus importante, la diffusion de la lumière est réduite et l’autofluorescence des tissus y est minimale42 . En pratique, il existe une première fenêtre optique entre 650 et 950 nm où les composants les plus « opaques » des tissus biologiques (sang, lipides et mélanine) absorbent moins que dans le domaine visible (Figure II.3). Cependant, l’autofluorescence des tissus y est toujours importante, ce qui conduit à la génération de bruit de fond et la pénétration y est limitée à 1-2 cm. Des études plus récentes ont montré l’existence d’une seconde fenêtre entre 1000 et 1350 nm où le ratio signal/bruit serait grandement amélioré. Cependant, le manque de sondes fluorescentes biocompatibles utilisables dans cette fenêtre limite son exploitation36,42 . Figure
Coefficients d’absorption optique des composants des tissus biologique
Les nanoparticules à base de lanthanides semblent être de parfait candidats ici car ils combinent la stabilité physicochimique des nanomatériaux inorganiques à la possibilité d’excitation dans le proche infrarouge en fonction de la composition choisie (voir II.C). Le mécanisme de fluorescence peut cependant différer du mécanisme classique : on parle de conversion ascendante de photon ou « up-conversion » (UC). L’absorption de deux photons (ou plus) de faible énergie par le matériau conduit à l’émission d’un photon de plus haute énergie33 donnant un lieu à une fluorescence anti-Stokes (Figure II.4a).
Plusieurs mécanismes sont regroupés sous le terme d’up-conversion, le plus courant étant le transfert d’énergie. Celui-ci nécessite la présence au sein des nanoparticules d’un couple sensibilisateur/émetteur où le premier (l’ytterbium par exemple) reçoit l’énergie des photons proches infrarouge et la transfère au second (l’erbium ou le thulium) qui émettra un photon de plus faible longueur d’onde44 (Figure II.4b). Figure II.4. Fluorescence par conversion ascendante de photons a) Explication du mécanisme simplifié de transfert d’énergie(adapté de Dong et al.44). b) Exemple de transfert énergétique au sein d’une nanoparticule à base de lanthanides (adapté de Gargas et al.45).
L’imagerie par résonance magnétique
L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) est très utilisée en médecine moderne car elle permet de réaliser des diagnostics précis et du monitoring thérapeutique avec une bonne résolution sans risques lésionnels car elle utilise des ondes non ionisantes. En recherche biomédicale, elle est également utilisée pour des études de pharmacocinétique, de libération de molécules actives ou encore de suivi cellulaire46 . La génération d’un signal IRM est basée sur les propriétés de résonnance et de relaxation des noyaux d’atomes lorsqu’ils sont soumis à un champ magnétique44 . Dans un échantillon biologique, le noyau d’hydrogène est le principal responsable de ce signal car il en est le plus abondant (le corps humain étant composé à 65% d’eau). (Figure II.5). Déplacement anti-Stokes Accumulation d’énergie Longueur d’onde Emission Excitation a) b) hν2 E2 hν1 E0 E1 Sensibilisateur Emetteur Etat de l’art 11 Figure II.5.
Principe de l’imagerie par résonnance magnétique. a) Etapes de génération du signal. i) Magnétisation par à un champ magnétique constant : alignement des spins sur l’axe longitudinal (z). ii) Excitation par onde radiofréquence : disparition de la composante longitudinale (z) de l’aimantation au profit d’une composante transversale (xy). iii) Relaxation après arrêt de l’impulsion de radiofréquence : le moment magnétique revient progressivement à son état d’équilibre sous l’influence du seul champ restant. La magnétisation longitudinale (T1) augmente progressivement alors que la magnétisation transverse diminue (T2). b) Quantification du signal. iv) T1 correspond au temps nécessaire pour que la magnétisation longitudinale retrouve 63% de son équilibre. v) T2 correspond au temps nécessaire pour que la magnétisation transverse perde 37% de son intensité maximale. (Adapté de Dong et al.44). Les valeurs T1 et T2 permettent alors de rendre compte de l’état de magnétisation d’un tissu ou d’une zone de tissu.
Il est souvent nécessaire d’utiliser des agents de contraste (ACs) (environ 30 millions d’examens avec AC par an dans le monde47) pour mieux localiser des zones tumorales ou des lésions ou bien suivre l’évolution d’un mécanisme (comme la migration cellulaire par exemple48–50) car la sensibilité de l’IRM est relativement basse. Ces agents diminueront le temps de relaxation des protons de l’eau se trouvant à proximité directe et par conséquent permettront d’augmenter le contraste comparativement à des zones ou l’agent de contraste n’est pas présent. On peut donc distinguer deux classes d’ACs en fonction de leur effet. Les agents dits positifs ont majoritairement un effet T1 (diminution de la relaxation longitudinale) et induisent un a) i) Magnétisation ii) Excitation iii) Relaxation b) iv) Récupération de la magnétisation longitudinale v) Disparition de la magnétisation transverse Etat de l’art 12 éclaircissement de l’image. La vaste majorité d’entre eux sont des agents paramagnétiques à base de gadolinium ionique (Gd3+) chélaté.
En effet, ce lanthanide possède le plus grand nombre d’électrons non appariés de tous les éléments chimiques (sept), ce qui lui confère des propriétés paramagnétiques significatives. Cependant, le gadolinium ionique libre, comme beaucoup d’autres métaux, est reconnu comme toxique52,53 notamment du fait de son rayon ionique similaire au calcium54. Les agents commerciaux sur le marché sont donc tous des chélates de gadolinium qui stabilisent l’ion Gd3+ et le rendent indisponible pour des réactions métaboliques indésirables. Le premier d’entre eux introduit sur le marché fut le gadopentate dimeglumine (Magnevist®) en 1988. Très rapidement, d’autres agents ont vu le jour comme le gadoterate meglumine (Dotarem ®) (Tableau II.1). Tableau II.1 Agents de contraste à base de Gadolinium (adapté de Hermann et al51). Ces ACs de faible poids moléculaire sont majoritairement non-spécifiques et restent extracellulaire. Après injection intraveineuse, ceux-ci s’échappent rapidement du compartiment sanguin vers l’interstitium (espace extracellulaire)55. Ils ont une demi-vie plasmatique de l’ordre de 90 minutes, et sont excrétés par filtration rénale dans les 24 heures après administration..
Jusqu’à très récemment, une dizaine de ces agents étaient validés par l’Agence Européenne des Médicaments56, mais un décret de juillet 2017 suspends l’utilisation de la majorité des ACs linéaires57. En effet, ceux-ci sont considérés comme trop dangereux à cause du risque de relargage de Gd ionique hors de l’agent chélatant58 . Nom générique gadopentetate dimeglumine gadoterate meglumine Nom commercial Magnevist® (Shering) Dotarem® (Guerbet) Agent chélatant Gd-DTPA Gd-DOTA Structure linéaire macrocyclique Date de mise sur le marché 1988 1989 Magnevist® Dotarem® Etat de l’art 13 Le gadolinium libre se fixe alors dans les os, le foie, les poumons et surtout le rein. A terme, cela peut induire de nombreuses complications, notamment chez les patients atteints d’insuffisance rénale qui risquent de déclarer une fibrose néphrogénique systémique induisant une fibrose cutanée pouvant s’étendre aux muscles, poumons, foie et cœur53 . Des données récentes mettent également en avant une accumulation de gadolinium notamment dans le cerveau chez des patients non atteints de pathologie rénale suite à des examens IRM avec agent de contraste..
Ceci met en avant la possibilité de franchissement de la barrière hémato-encéphalique, bien plus imperméable que les capillaires présentant un épithélium fenêtré au niveau des os et autres tissus. Les agents macrocycliques quant à eux sont considérés comme suffisamment sûrs. Une stratégie en développement consiste à confiner le gadolinium de façon plus importante au sein de nanoparticules afin d’éviter le relargage de Gd et les risques de complication44,61 (voir II.F.2). Les ACs négatifs ont majoritairement un effet T2 (diminution de la relaxation transverse) et induisent un obscurcissement de l’image. Développés plus tardivement que les agents positifs, les ACs T2 validés pour une utilisation chez l’Homme sont constitués de nanoparticules d’oxydes de fer superparamagnétiques (SPIO)51 . Ces nanoparticules sont utilisées principalement pour l’imagerie du foie, de la rate et du tube digestif, ont un diamètre compris entre 20 et 300 nm et présentent un revêtement de surface à base de dextran, de carboxydextran ou de siloxane . Cependant, leur efficacité est limitée par la saturation de leur magnétisation à forts champs magnétiques
La tomodensitométrie
La radiographie (découverte en 1895) est la plus ancienne méthode d’imagerie utilisée dans le milieu médical65 . Cela consiste à faire traverser un faisceau de rayons X au travers d’un échantillon ou d’un patient pour obtenir un cliché plan des tissus biologiques en fonction de leur densité et de leur coefficient d’absorption des rayons. Plus un tissus est dense électroniquement parlant, plus il sera identifiable clairement sur le cliché. Dans les années 1970, les évolutions technologiques ont permis d’apporter des améliorations à cette technique pour créer la tomodensitométrie. Ainsi, la source de rayons X devient mobile pour réaliser des clichés successifs en rotation autour du patient. Un traitement informatique Etat de l’art 14 permet ensuite d’effectuer des reconstructions 3D et d’obtenir une très bonne résolution spatiale (Figure II.6). Figure II.6. Fonctionnement de la tomodensitométrie.
En fonction de leur densité, les tissus absorbent et atténuent plus ou moins les rayons X ce qui permet de les visualiser, cette capacité d’atténuation étant mesurée en unités Hounsfield (HU). L’air présente une valeur de -1000 HU car il n’atténue pas les rayons alors que l’os qui les atténue le plus au sein d’un organisme, présente une valeur de +1000 HU66 . En l’absence d’AC, cette technique est principalement utilisée pour le diagnostic des tissus denses aux électrons comme les os46 (Figure II.7). Figure II.7. Capacité d’atténuation des rayons X des tissus biologique. La différence de contraste (ici en niveau de gris) est proportionnelle à l’atténuation. Cependant, la différence d’atténuation entre les différents tissus mous reste subtile et la sensibilité de la méthode est très faible. Ainsi, il est souvent nécessaire d’utiliser des éléments extérieurs afin d’améliorer le contraste.
En 2010, 55% des examens étaient réalisés Patient Portique Source de rayons X rotative Faisceau de rayons X Détecteurs hors du faisceau Détecteurs dans le faisceau | -1000 Atténuation des rayons X (Hounsfield Units) Air | Eau | | 0 Poumons | | -600 Os | | 1000 Tissus mous | | 30-100 Eléments lourds (agents de contraste) / \ Etat de l’art 15 avec des ACs67. A l’heure actuelle, seuls le baryum (pour le tractus digestif) et l’iode sont utilisés chez l’Homme66 . Cependant, la faible sensibilité de contraste (dû à leur relativement faible numéro atomique), impose l’utilisation de fortes doses de ces agents de contraste et la potentielle toxicité (rénale68) associée soulèvent de nombreuses inquiétudes46 . De plus, ces agents sont rapidement excrétés, ce qui ne permet pas d’étude à long terme et leur distribution n’est pas spécifique, empêchant une étude précise. Tout ceci conduit les recherches à s’orienter vers des éléments plus lourds tels que l’or69,70 , le platine71 ou les lanthanides72,73 qui permettent une meilleure atténuation des rayons X (voir Figure II.8) et présentent des propriétés très intéressantes notamment de ciblage. Figure II.8. Coefficients d’atténuation des rayons X des différents éléments utilisés en clinque ou en développement préclinique. 4. Imagerie nucléaire (Tomographie par émission de positons et tomographie par émission monophotonique) La tomographie par émission de positons (PET) et la tomographie par émission monophotonique (SPECT) sont des méthodes tomographiques où l’image est construite à partir de l’acquisition de rayons γ produits par des radionucléides.
Famille des lanthanides Utilisation clinique En cours de développement Etat de l’art 16 La génération de signal en PET est due à l’interaction des positons émis par un radionucléide ( 18F, 11C, 15O, 13N, 124I et 68Ga) avec un électron. L’annihilation consécutive produit alors deux rayons γ. En SPECT, ce sont les radionucléides (99mTc, 131I, 123I et 111In) qui émettent directement des rayons γ. Ces méthodes utilisent donc classiquement des traceurs incorporant des radionucléides (radiotraceurs). L’une des sondes les plus utilisées est le 18FDG (fluoro-désoxy-glucose marqué au radioisotope 18 du fluor). Elles sont notamment utilisées en clinique pour le diagnostic, l’étude de processus physiopathologiques et le monitoring thérapeutique grâce à leur très grande sensibilité (de l’ordre du picomolaire de radiotraceur) et leur excellente pénétration tissulaire . Cependant, au même titre que la fluorescence, ces méthodes ne permettent pas à elles seules une localisation anatomique à cause de leur mauvaise résolution, c’est pourquoi elles sont souvent couplées à l’IRM ou la TDM75,30 . Ces méthodes sont également très utilisées pour les études de pharmacocinétique en nanomédecine.
En effet, les sondes radioactives classiques peuvent être co-encapsulées à l’intérieur de vecteurs nanométriques contenant soit d’autres agents d’imagerie pour une utilisation multimodale, soit un médicament pour la mesure de son efficacité de ciblage et d’action46 . 5. L’échographie L’échographie est la méthode de choix pour l’exploration fonctionnelle dans un cadre clinique car elle est peu couteuse, facile à mettre en place et à transporter, n’utilise pas de radiations ionisantes et ne nécessite pas de traitement informatique de l’image après acquisition. Lors de l’examen, la sonde émet des ultrasons qui seront transmis différemment selon les organes et les structures rencontrées puis réfléchis et captés sous forme d’échos (Figure II.9). Etat de l’art 17 Figure II.9. Principe de l’échographie.
Cette technique est limitée en terme de pénétration dans les tissus mais reste largement utilisée car elle présente une excellente résolution spatiale et temporelle. L’intensité du signal peut être améliorée par l’injection intravasculaire d’ACs composés de microbulles remplies de gaz ou d’air76 . Ces dernières années, les études précliniques s’intéressent à l’utilisation de cette méthode d’imagerie pour la délivrance de médicaments et/ou de gènes par combinaisons des agents de contraste sous forme de microbulles avec des molécules encapsulés. Les ultrasons permettent alors la perméabilisation membranaire par sonoporation et/ou l’extravasation (passage du compartiment sanguin vers les tissus) ce qui favorise l’internalisation cellulaire.
I. Introduction générale |