Principes du traitement antirétroviral

Principes du traitement antirétroviral

A titre individuel, l’objectif principal du traitement antirétroviral est d’empêcher la progression vers le stade SIDA et le décès en maintenant ou en restaurant un nombre de lymphocytes CD4 supérieur à 500/mm3.
Pour atteindre ce but et diminuer les effets pathogènes du VIH, le traitement ARV doit rendre la charge virale plasmatique (CV) indétectable, c’est-à-dire qu’il doit rendre l’ARN VIH plasmatique inférieur à 50 copies/mL. Ceci maximalise la restauration immunitaire, minimalise le risque de sélection de virus résistants et réduit la morbidité associée au VIH.
Si l’efficacité immuno-virologique est l’objectif principal du traitement ARV, d’autres objectifs doivent être recherchés simultanément :
• la meilleure tolérance possible, clinique et biologique, à court, moyen et long termes ;
• l’amélioration ou la préservation de la qualité de vie ;
• la réduction du risque de transmission du VIH 13.

Initiation d’un premier traitement antirétroviral

Il est recommandé d’instaurer un traitement ARV chez toute personne vivant avec le VIH, symptomatique ou non, et quel que soit le nombre de lymphocytes CD4, y compris s’il est supérieur à 500/mm3.
L’initiation précoce du traitement ARV, quel que soit le nombre de lymphocytes CD4, est associée à d’autres bénéfices : cliniques (réduction des comorbidités associées à l’infection par le VIH), immunologiques et réduction du risque de transmission du VIH.
Le choix du premier traitement ARV doit être effectué par un médecin expérimenté dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH après la réalisation d’un bilan paraclinique spécifique. Le patient doit être préparé à l’initiation de son traitement par un travail multidisciplinaire : information sur bénéfices et risques/inconvénients, éducation thérapeutique, recommandations hygiéno-diététiques.
En cas de non-adhésion immédiate du patient au projet thérapeutique, le traitement peut être différé lorsque le niveau de CD4 est > 500/mm3 et stable. Le médecin, en lien avec une équipe d’éducation thérapeutique et/ou un groupe de soutien, s’efforcera alors de préparer le patient à la mise en route ultérieure du traitement.
Aucune stratégie ne permet actuellement l’éradication du virus. Le traitement antirétroviral doit être maintenu toute la vie. Toute interruption s’accompagne d’une reprise de la réplication virale et peut être cliniquement délétère par la survenue d’un syndrome mimant une primoinfection ou de manifestations d’origine inflammatoires (accident cardiovasculaire, atteinte rénale, …).
La persistance d’une réplication virale sous traitement ARV reflète un traitement insuffisamment efficace, soit par manque de puissance de l’association utilisée, soit en raison de concentrations sanguines d’ARV inadéquates (observance médiocre, interactions médicamenteuses, malabsorption), soit d’une résistance virale. La réplication du virus en présence de médicaments ARV expose au risque d’émergence d’une résistance virale aux différentes molécules du schéma thérapeutique utilisé, parfois croisée à plusieurs molécules de la même classe.
La barrière génétique à la résistance d’une molécule ARV définit sa capacité à ne pas sélectionner de mutations de résistance en cas de réplication virale persistante (charge virale >50 copies/mL). Celle-ci est variable en fonction des classes thérapeutiques et à l’intérieur de ces classes, elle peut varier en fonction de chaque molécule 2.

Les 6 classes d’antirétroviraux disponibles

Les antirétroviraux inhibent la réplication virale à différentes étapes du cycle du VIH ; ils agissent sur un virus qui se réplique et non pas sur le virus intégré dans le génome de la cellule hôte et ne permettent donc pas l’éradication du virus.
Les ARV constituent actuellement l’unique moyen de contrôler efficacement la réplication virale. Leur efficacité s’apprécie par la mesure de la charge virale exprimées en copies d’ARN VIH 2.

Inhibiteurs nucléos(t)idiques de la transcriptase inverse (INTI)

Les inhibiteurs nucléosidiques et nucléotidiques de la transcriptase inverse, premiers ARV à avoir été développés, occupent toujours une place importante dans l’arsenal thérapeutique de nos jours. Ils sont actifs sur les virus VIH1 et VIH2.
Ils inhibent la transcriptase inverse du VIH, enzyme essentielle des rétrovirus qui permet la rétrotranscription de l’ARN du VIH en ADN proviral. L’incorporation d’analogues nucléos(t)idiques conduit à l’arrêt de l’élongation de la chaine d’ADN proviral et donc à l’interruption du cycle de réplication du VIH.
Leur puissance antirétrovirale, c’est-à-dire la réduction de la charge virale plasmatique varie de 0,5 à 1,5 log10 copies/mL selon les molécules. Leur barrière génétique à la résistance est faible pour la lamivudine (3TC) et l’emtricitabine (FTC) et intermédiaire pour les autres INTI.
Il existe peu d’interactions médicamenteuses avec cette classe de médicaments.
Les effets indésirables communs à cette classe sont liés à la toxicité mitochondriale. En effet, les INTI ne sont pas parfaitement spécifiques de la transcriptase inverse virale mais inhibent aussi la polymérase gamma de l’ADN mitochondrial, ce qui conduit à des perturbations dans la chaine respiratoire de la cellule responsable d’une insuffisance de production d’ATP, une orientation du métabolisme vers le mode anaérobie avec apoptose.
La toxicité mitochondriale est moindre pour les molécules de 2ième génération (abacavir, emtricitabine, lamivudine, ténofovir) qui sont donc les INTI recommandés en première intention 2.

Inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI)

Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) sont des inhibiteurs très spécifiques de la transcriptase inverse du VIH. Ils agissent seulement sur le VIH-1 de façon non compétitive, en se fixant à proximité du site catalytique de l’enzyme, au sein d’une poche hydrophobe. Il en résulte une perte de la flexibilité de la transcriptase, altérant sa capacité à synthétiser l’ADN lors de l’étape de rétrotranscription du brin d’ARN viral en ADN proviral.
Les VIH1 du groupe O et les VIH2 sont naturellement résistants aux INNTI.
Leur puissance antirétrovirale permet une réduction de la charge virale plasmatique de 1 à 1,5 log10 copies/mL. La barrière génétique des INNTI est faible induisant la sélection très rapide des mutations en cas de réplication persistante sous INNTI.
Les INNTI métabolisés par certaines isoenzymes du système du cytochrome P450, en particulier CYP3A4, dont ils sont majoritairement inducteurs et pour certains également inhibiteurs. Il en résulte des interactions potentielles avec les nombreuses molécules métabolisées par le système du CYP450. Par leur effet inducteur, les INNTI diminuent les concentrations des inhibiteurs de la protéase. De façon plus générale, il faut s’attendre à des interactions avec les imidazolés, les macrolides, les statines (de façon moindre avec la pravastatine et la rosuvastatine), la rifampicine, la rifabutine, les contraceptifs oraux, certains épileptiques.
Les INNTI de 1ère génération induisent des effets secondaires habituellement précoces liés soit à une hypersensibilité pour la névirapine soit neuropsychiatriques pour l’éfavirenz. Les INNTI de seconde génération (étravirine, rilpivirine et doravirine) offrent un profil de tolérance meilleur. Aucun des INNTI n’agit sur l’ADN polymérase gamma des mitochondries donc ils ne sont pas à l’origine de toxicité mitochondriale 2.

Inhibiteurs de la protéase (IP)

Les premiers inhibiteurs de protéase ont permis de révolutionner en 1996 le pronostic de la maladie VIH en permettant de constituer des trithérapies avec 2 familles antirétrovirales distinctes. Bien que moins utilisés actuellement, ils constituent toujours une classe thérapeutique de première importance.
Les IP inhibent la protéase, enzyme virale clivant les produits des gènes gag (codant les protéines du core, de la matrice de la capside et des nucléocapsides) et pol (codant la polymérase, la transcriptase inverse et l’intégrase) bloquant ainsi la production de particules virales infectieuses.
Les IP ont une activité antirétrovirale puissante à l’origine d’une réduction de charge virale plasmatique de l’ordre de 1,5 à 2 log10 copies/mL. Les IP sont caractérisés par une barrière génétique à la résistance élevée. Ainsi en cas de réplication persistante, la sélection de mutations de résistance est progressive permettant un délai d’intervention plus long que pour d’autres classes d’ARV avant que n’émerge une résistance significative in vivo.
Les IP sont métabolisés par les enzymes du cytochrome P450, en particulier CYP3A4 dont ils sont des inhibiteurs très puissants. Ils peuvent également inhiber d’autres isoenzymes du CYP450 et pour certains sont aussi des inducteurs. Il en résulte des interactions médicamenteuses fréquentes d’une part avec les antirétroviraux associés mais aussi avec d’autres classes médicamenteuses.
L’effet inhibiteur très puissant du ritonavir sur le CYP3A4 est mis à profit pour améliorer la biodisponibilité de la plupart des IP. Ainsi, une dose faible de ritonavir (100mg) qui accompagne la prise d’un IP, permet d’augmenter la concentration plasmatique de celui-ci et par conséquent de diminuer les doses unitaires de l’IP administré et son nombre de prises journalières. On parle alors d’IP « boosté » par le ritonavir. Le cobicistat, une autre molécule inhibitrice du CYP3A4 uniquement a été développée en particulier en association avec l’inhibiteur d’intégrase, l’elvitégravir comme « boost » et peut être aussi utilisé avec des IP (pasen France). Le cobicistat contrairement au ritonavir n’a aucun effet antiviral sur le VIH.
Les IP présentent certains effets secondaires dits effets de classe :
– digestifs (diarrhées, ballonnements, inconfort intestinal) : effets très fréquents avec les molécules de 1ère génération, plus rares avec les IP administrés une fois par jour
– métaboliques (hypercholestérolémie, hypertriglycéridémie, intolérance au glucose voire diabète) : effets fréquents, environ 20-30% des patients sous IP
– lipodystrophie, essentiellement lipohypertrophie, après plusieurs mois de traitement
– risque cardiovasculaire augmenté, proportionnellement à la durée d’exposition à cette classe, indépendamment de leur impact lipidique.
Ces effets secondaires sont toutefois moins fréquents avec l’atazanavir et le darunavir.

Inhibiteurs d’intégrase (INI)

Les inhibiteurs de l’intégrase virale constituent une classe thérapeutique récente majeure dans l’arsenal thérapeutique contre le VIH.
Les INI bloquent la première étape de l’intégration du VIH en bloquant le transfert de l’ADN VIH dans le noyau de la cellule infectée, en inhibant l’intégrase virale. Ils sont actifs sur VIH1 et VIH2, et sur les souches virales résistantes aux INTI, INNTI ou IP.
Les INI ont une action antivirale puissante de l’ordre de 2 log10 copies/mL. Leur action est plus rapide que celles des autres ARV permettant de raccourcir le délai d’obtention de l’indétectabilité de la virémie dans le plasma. Cette capacité de contrôle virologique rapide présente un intérêt dans certaines situations cliniques (manifestations cliniques directement liées à la pathogénie du VIH, prévention de la transmission materno-foetale lors d’une découverte d’infection VIH à l’occasion d’une grossesse avancée).
Les INI ont une barrière génétique à la résistance variable : faible pour l’elvitégravir, moyenne pour le raltégravir et élevée pour le dolutégravir et le bictégravir. Ils offrent un excellent profil de tolérance en particulier sur le plan métabolique et osseux bien que la prise de poids soit de plus en plus rapportée avec cette classe.

Inhibiteurs de fusion (IF) : Enfuvirtide

L’enfuvirtide est un peptide de 36 acides aminés qui agit en se fixant de façon compétitive au niveau de la protéine d’enveloppe virale gp41, empêchant ainsi sont changement conformationnel qui induit le processus de fusion membranaire entre le virus et la cellule hôte. Il est actif uniquement sur le VIH1.
Volumineuse molécule peptidique, l’enfuvirtide n’est administré que par voie sous-cutanée. De ce fait, il est très rarement utilisé sauf en cas de multi-échec avec multirésistance. Sa puissance antirétrovirale importante permet une réduction de la charge virale plasmatique de l’ordre de 2log10 copies/mL. Il est efficace sur les souches virales résistantes aux autres classes ARV. Il n’y a pas d’interactions médicamenteuses rapportées, en particulier avec les autres ARV.
Cette molécule est très bien tolérée au plan systémique mais une réaction au site d’injection est observée chez la plupart des patients, souvent limitée à un nodule légèrement inflammatoire ou une gêne modérée. Les réactions d’hypersensibilité sont exceptionnelles .

Antagonistes du récepteur CCR5 (anti-CCR5) : Maraviroc

Le maraviroc se fixe de façon spécifique sur le corécepteur CCR5, par un mécanisme allostérique non compétitif. Il empêche ainsi la liaison de la protéine d’enveloppe virale gp120 au corécepteur CCR5 qui normalement induit un changement conformationnel de la protéine virale gp 41 à l’origine du processus de fusion des membranes cellule/virus. C’est le seul antirétroviral qui n’agisse pas sur le virus lui-même mais sur la cellule cible de celui-ci. Il n’est actif qu’à l’extérieur de la cellule hôte et n’a donc pas besoin d’y pénétrer.
Le maraviroc est le seul représentant de cette classe et est actif sur le VIH1 et le VIH2.
En raison de son mécanisme d’action, le maraviroc n’est actif que sur les virus utilisant le corécepteur CCR5 pour entre dans la cellule, et pas sur les virus utilisant le corécepteur CXCR4, ni sur les virus mixtes X4/R5. Le tropisme du virus pour l’un ou l’autre des corécepteurscellulaires doit donc être déterminé avant la prescription du maraviroc. Cette détermination se fait par séquençage du génome viral en particulier de la région codant pour l’enveloppe virale,soit par phénotypage.
Sa puissance antirétrovirale permet une réduction de la charge virale plasmatique de l’ordre de 1,8 log10 copies/mL. En cas de virémie persistante sous maraviroc, peut s’observer une sélection des souches virales à tropisme « X4 ». La résistance au maraviroc (par mutation) est rare et incomplètement caractérisée.
En 2019, la principale indication du maraviroc est le traitement de patients avec un virus à tropisme uniquement CCR5 et résistant à plusieurs classes d’ARV.
Le maraviroc étant substrat du CYP3A4, des interactions médicamenteuses sont fréquentes avec les molécules inductrices ou inhibitrices de cette isoenzyme et sont généralement bien cadrées par des adaptations de posologie. Sa tolérance est bonne avec des effets secondaires essentiellement digestifs (en particulier des nausées), des signes généraux (asthénie, insomnie), des vertiges ou encore un exanthème. Une élévation des transaminases est possible en particulier dans les premières semaines de traitement. Aucun effet secondaire d’ordre métabolique, osseux ou rénal n’a été rapporté .

Bilan annuel

La prise en charge de l’infection par le VIH représente un modèle multidimensionnel dans lequel un travail de synthèse annuel est indispensable, compte tenu de l’évolution vers la chronicité de l’infection par le VIH, du vieillissement de la population et de l’existence fréquente des comorbidités associées.
Le bilan de synthèse annuel reste l’occasion d’optimiser la prise en charge de l’infection par le VIH, de réévaluer le traitement antiviral, sa tolérance et sa pertinence, mais également de rechercher les facteurs de risque et de dépister les principales complications et morbidités.
Il est l’occasion également de faire le point sur les conditions psycho-sociales du patient et d’aborder la santé sexuelle. Il peut être l’occasion d’orienter la personne vers une structure associative d’accompagnement devant des problèmes médico-psycho-sociaux.
Au cours de cette visite de synthèse, les différents sujets pourront être abordés de façon systématique et en fonction de l’âge des personnes, de leur exposition au risque sexuel, de leur niveau d’immunodépression ou de leurs co-infections. Ce bilan de synthèse se compose d’un bilan clinique (Cf. Tableau 3) et biologique complet, ainsi que des examens complémentaires selon les populations 16

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