Principes d’élaboration de la séquence

Une séquence « de type ingénierie »

Nous cherchons à élaborer une séquence d’enseignement en nous appuyant sur le travail théorique réalisé dans les deux premières parties. Cette séquence peut être apparentée à la notion d’« ingénierie didactique ». Nous précisons tout d’abord cette notion et puis nous expliquons en quoi nous nous en détachons. Jusqu’au début des années 80 en France, la didactique des mathématiques est à la recherche d’une légitimité scientifique (Artigue, 2002). Se fait alors sentir un besoin de confronter les constructions théoriques à la réalité des classes. C’est dans ce contexte que la notion d’« ingénierie didactique » a émergé. Elle permet, selon Artigue (1988), de désigner les productions réalisées par le chercheur en didactique des mathématiquesetdestinées à l’enseignement, mais elle offre aussi une méthodologie de recherche spécifique enrelation avec la Théorie des Situations Didactiques (Brousseau, 1998). Nous décrivons brièvementcette méthodologie de recherche.Artigue (ibid.) distingue quatre phases au sein de ce processus méthodologique.La première phase contient toutes les analyses didactiques à effectuer avant même de concevoir une séquence. Il s’agit, par exemple, de mener une analyse historique etépistémologique, une analyse cognitive et une analyse curriculaire. Bien que cette notion ne soit pas issue du cadre théorique de la Théorie de l’Activité, nous retrouvons ici une étude qui s’apparente à notre étude du relief sur les notions à enseigner, réalisée dans la partie 1.
La deuxième phase consiste alors à concevoir et à analyser a priori une séquence d’enseignement. Lors de cette phase, les principes de la Théorie des Situations Didactiques interviennent fortement. Dans cette théorie, « l’apprentissage résulte de processus d’adaptations [. . . ] développés face à des situations problématiques » (Artigue, 2002, p. 61). De ce fait, étudier les apprentissages des élèves revient à étudier les processusd’adaptations qu’ils peuvent développer dans une situation d’enseignement. Or, ces derniers sont influencés par les interactions qui peuvent survenir entre l’enseignant, les élèves et le savoir. Si les interactions avec l’enseignant sont prises en compte, alors les processus sont qualifiés de didactiques. Si ce n’est pas le cas, les processus sont qualifiés  d’a-didactiques. Ainsi, c’est de l’ensemble des interactions que ce cadre théorique souhaite rendre compte. Pour ce faire, l’objet d’étude est alors la situation didactique. Lorsde la deuxième phase d’une ingénierie didactique, le chercheur doit donc essayer deconstruire des situations qui optimisent les interactions entre les trois pôles du triangledidactique (Artigue, ibid.). Afin d’y parvenir, le chercheur doit trouver un équilibre entreles processus d’adaptations didactiques et a-didactiques. Autrement dit, il est important que la séquence d’enseignement comporte à la fois des moments où l’élève, considérécomme un sujet épistémique, travaille en toute autonomie et des moments où l’enseignant est prisen compte, comme dans les processus de dévolution et d’institutionnalisation. Le chercheur, guidépar les analyses préalables, doit effectuer un certain nombrede choix, par exemple, en termes d’organisation générale de l’ingénierie et en termesd’organisation, plus locale, de chacune des phases de celles-ci. L’objectif de l’analysea priori est alors d’expliciter ces choix en mettant en évidence les variables didactiques sur lesquelles le chercheur a joué et en montrant en quoi ils amènent bien la séquence conçue à produire les connaissances visées chez les élèves.
La troisième phase de la méthodologie de recherche consiste à expérimenter en classe la séquence conçue. La quatrième phase est l’analyse a posteriori de l’ensembledes données recueillies (observations, productions élèves, questionnaires, entretiens,. . . ) lors del’expérimentation de la séquence. Cette analyse a pour objectif de valider leshypothèses émises lors de l’analyse a priori. Pour cela, une confrontation entreles deux analyses est nécessaire.Ce découpage de la méthodologie de recherche permet de bien mettre en évidence deux caractéristiques générales de l’ingénierie didactique. Puisque cette méthodologie prend en compte la conception, la réalisation, l’observation et l’analyse de séquences d’enseignement, il s’agit d’une méthodologie expérimentale. Elle permet donc d’étudier l’élaboration de genèses artificielles pour un concept donné, par exemple, et de prendreen compte toute la complexité de la classe lors de l’expérimentation. Ensuite, la validation estfondée sur une comparaison entre une analyse a priori de la séquence et uneanalyse a posteriori de sa réalisation effective. Cette méthodologie est donc caractériséepar son mode de validation interne qui est très différent des études de cas en éducation,où il s’agit plus d’une comparaison entre groupes témoins et groupes expérimentaux.
Durant les années 80, l’ingénierie didactique est devenue petit à petit la méthode privilégiée par leschercheurs en didactique des mathématiques pour la conception d’une séquence d’enseignement(Artigue, ibid.). Cependant, dès la fin des années 80, la notiond’ingénierie didactique est questionnée. En effet, des recherches concernant l’enseignementsecondaire et supérieur se développent et ces niveaux d’enseignement amènentdes contraintes didactiques, liées aux savoirs et à leur gestion dans le système éducatif, qui rendentcette méthodologie difficile à appliquer. Par exemple, la méthodologieà suivre amène le chercheur à trouver une situation fondamentale, c’est-à-dire une situation faisant «apparaître les connaissances visées comme des solutions optimales auproblème mathématique posé » (Artigue, 2011, p. 20). Or, plusieurs chercheurs, dontRobert (2011), questionnent le fait qu’il existe une telle situation pour toutes les notionset, en particulier, pour les notions FUG. De plus, même si une situation fondamentaleexiste, il est possible que les processus d’adaptations a-didactiques soient trop complexes pourêtre laissés à la seule charge des étudiants. Des médiations, organisées parl’enseignant, sont alors nécessaires pour que les responsabilités entre enseignant et étudiantssoient réparties de façon optimale lors de la résolution du problème (Artigue,ibid.). Les analyses a priori sont dès lors beaucoup plus complexes et questionnent laprise en compte du rôle de l’enseignant dans ces analyses. D’autres questionnements sur l’ingénierie didactique émergent dont, notamment, le fait que l’attention soit fortement portée surl’organisation des premiers moments de rencontre et d’exploration destechniques et le fait qu’il soit difficile de les diffuser dans les classes. Pourtant, à l’heureactuelle, les ingénieries didactiques restent performantes en mathématiques, grâce aux évolutions du cadre théorique, mais aussi dans d’autres disciplines.
Nous cherchons à créer une ingénierie didactique, au sens premier du terme. Cependant, nousn’appliquons pas la méthodologie de recherche propre aux ingénieriesdidactiques que nous avons présentée précédemment. En effet, notre cadre théoriquenous amène à nous intéresser aux activités des élèves. Les traces de ces activités sont plus facilement observables lors des phases d’exercices. Il ne s’agit donc pas de se concentrer uniquement sur l’introduction des notions, comme dans une ingénierie classique, maisd’étudier aussi les tâches qui sont proposées aux élèves. Le temps long doit être pris en compte dans notre séquence. De plus, nous avons déjà montré, dans lapartie 2, l’importance du rôle de l’enseignant (discours, choix des tâches, gestion desdéroulements) dans les apprentissages des élèves. C’est pourquoi il est pris en compte au sein de nos analyses et non a posteriori comme dans une ingénierie classique. Enfin,nous avons montré, dans la partie 1, que les notions de droites et de plans dans l’espacesont, compte tenu des programmes scolaires, des extensions avec accidents des notionsde droites dans le plan. De ce fait, il peut être difficile pour les élèves de s’approprieren toute autonomie les connaissances visées. Nous ne nous attachons donc pas à rechercher unesituation fondamentale permettant d’introduire les notions de droites etde plans dans l’espace. Ainsi, nous ne cherchons pas à élaborer une ingénierie didactique  classique. Nous voulons proposer un itinéraire cognitif cohérent sur ces notionsamenant les élèves à potentiellement développer certaines activités favorisant leurs apprentissages. C’est ce que Robert (ibid.) appelle des séquences « de type ingénierie »dont elle précise la méthodologie.
« Il s’agit d’abord de travailler à l’élaboration de tâches à proposer aux élèves (aux formés), incluses dans un scénario issu d’une réflexion épistémologique, curriculaire etcognitive (incluant les difficultés des élèves parexemple). Puis vient la mise au point d’un déroulement exigeant, en partie prévu, assortideprévisions d’activités et/ou d’acquisition pour tous lesacteurs. Le travail de recherche consisteensuite à analyser le déroulement réel, toujours en partie improvisé, en essayant d’analyser (puis de discuter) dans quelle mesure lesactivités prévues ont été possibles – et pour lesélèves (ou les formés) et pour les enseignants (ou les formateurs). Cette confrontation a priori/a posteriori, pilotée par la recherche de la proximité plus ou moins grande entre le projet et sa réalisation met en jeu des outils différents mais spécifiques et reste au coeur de la démarche » (Robert, ibid., p. 221).
Nous nous appuyons donc sur notre étude du relief sur les notions de droites et de plans dans l’espace pour créer un scénario contenant à la fois des activités d’introduction, des moments d’exposition des connaissances, des tâches variées et permettant à l’enseignant de tenter de nombreuses proximités avec les connaissances que les élèvesont déjà. Lavalidation de notre séquence de type ingénierie est interne car il s’agit d’une confrontation entre nos analyses a priori du scénario (en termes d’activités attendues) et nos analyses a posteriori des déroulements effectifs (en termes d’activités possibles). Nous appliquons ainsi la méthodologie de notre cadre théorique présentée au chapitre VI.

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Choix du chercheur dans l’élaboration du scénario

Dans le chapitre II, nous avons défini ce que nous entendons par la conceptualisation d’une notion. Elle est associée à la disponibilité des statuts outil et objet de lanotion, à l’organisation entre les connaissances antérieures et nouvelles, à une flexibilité importante entre les cadres, les registres et les points de vue et à une diversité des niveaux de mises en fonctionnement des connaissances dans les tâches proposées aux élèves. Au regard des résultats de notre étude de relief et de notre étude de terrain, nousprécisons la conceptualisation qui est visée par notre séquence d’enseignement. Nous mettons également en évidence les choix que nous sommes amenée à effectuer à la fois en termes de contenus et de gestion en classe, dont nous supposons qu’ils peuvent favoriser la conceptualisation des notions de droites et de plans dans l’espace chez lesélèves.
Nous cherchons dans un premier temps à amener les élèves à insérer les nouvelles connaissances dans leur bagage mathématique. Pour ce faire, nous avons choisi de concevoir une activité d’introduction permettant aux élèves de mobiliser leurs connaissances antérieures. Au vu de notre étude de relief sur les notions visées (cf. chapitre V),nous cherchons à y mettre en jeu les connaissances des élèves dans les cadres de géo- métrie synthétique, de géométrie vectorielle et de géométrie analytique plane. Nous pouvons ainsi prendre en compte les éventuelles extensions des notions lors du passagedu plan à l’espace. Nous précisons les connaissances supposées être dans la ZPD desélèves au vu des programmes d’enseignement.

Connaissances antérieures

Géométrie synthétique dans l’espace : perspective cavalière, caractérisation des droites et des plans dans l’espace, point de percée, section de plan, positions relatives de deuxdroites, positions relatives de deux plans, positions relatives d’unedroite et d’un plan.
Géométrie vectorielle dans l’espace : repères dans l’espace, vecteurs, composantes d’un vecteur, addition de deux vecteurs, multiplication d’un vecteur par un scalaire,produit scalaire, norme, vecteurs coplanaires, vecteurs colinéaires, distance entredeux points dans l’espace.Géométrie analytique du plan : vecteurs directeurs d’une droite, équations vectorielles d’une droite,équations paramétriques d’une droite, équations cartésiennes d’une droite sous forme générale, équations cartésiennes d’une droite avec coefficient angulaire,positions relatives de deux droites, distance d’un point à une droite. Outils algébriques : équations, résolution de systèmes de deux équations à deux inconnues, résolution de systèmes de trois équations à trois inconnues.
Outils logiques et ensemblistes : quantificateurs, implication, appartenance, inclusion, intersection. Nous avons souligné dans le chapitre VI que l’efficacité d’un cours serait liée à la qualité et à la quantité des connexions entre les activités que les élèves ont déjà réalisées et celles attendues. C’est pourquoi notre objectif est de faire émerger les nouvelles notions en s’appuyant sur le travail que les élèves ont déjà réalisé pour la géométrie analytique plane. Les notions vues dans le plan (équations, positions relatives) sont alors étendues à l’espace. Ce choix est donc susceptible d’engendrer de nombreuses occasions de proximités (de tous types) dans le discours de l’enseignant; ce dernier étant considéré comme un levier favorisant la conceptualisation des notions par les élèves.

Principes d’élaboration de la séquence

Distance entre deux points dans l’espace, entre un point et une droite dans l’espace, entre un point et un plan, entre deux droites parallèles, entre deux plans parallèles,entre deux droites gauches.
Nous avons noté que les extensions de notions peuvent engendrer des difficultés chez les élèves (cf. partie 1). Or, celles-ci peuvent être minimisées si les élèves possèdent un moyen de contrôle interne (Vandebrouck, 2008). Nous proposons alors de développer l’interprétation géométrique des objets chez les élèves. En effet, nous pensons qu’un travail suffisant sur la reconnaissance des objets à partir d’équations et d’ensembles de points peut aider les élèves à ne plus avoir de conceptions erronées lors de l’extension des notions du plan à l’espace. De ce fait, nous choisissons de travailler l’interprétation géométrique à partir d’objets que les élèves ont déjà rencontrés en géométrie analytiqueplane. Ce travail peut constituer un levier pour aborder les notions de l’espace.
Nous avons également choisi une progression des contenus à enseigner car nous voulons construire un itinéraire cognitif cohérent pour les notions de géométrie analytique dans l’espace. Au vu des notions à enseigner dans les programmes scolaires,trois grands sujets sont à étudier : les équations des objets, les positions relatives entre les objets et les distances. Nous avons choisi de les aborder dans cet ordre. En effet, il est nécessaire d’avoir vu les équations des objets pour étudier leurs positions relatives.
Il est également nécessaire de pouvoir déterminer la position relative des objets entre eux pour calculer des distances. Notre étude historico-épistémologique réalisée au chapitre III a misen évidence que le point de vue cartésien a émergé avant le point de vue paramétrique. Elle suggère également que le cadre de la géométrie vectorielle permetde mettre en relation les cadres des géométries synthétique et analytique afin de ne pas perdre le côté visuel du problème géométrique sous une montagne d’équations. Ainsi, la progression des contenus retenue est la suivante : équations cartésiennes des droites et des plans dans l’espace, équations vectorielles des droites et des plans dans l’espace,équations paramétriques des droites et des plans dans l’espace, positions relatives d’unedroite et d’un plan, positions relatives de deux plans, distance entre deux points dansl’espace, distance entre un point et une droite, distance entre un point et un plan 1. Notons que cette progression n’a jamais été proposée dans les manuels analysés et dans les scénarios des cinq enseignants étudiés.
Nous avons retenu de notre étude cognitive réalisée au chapitre II que la notion d’équation est une notion paramathématique. Autrement dit, cette notion n’est jamais définie dans l’enseignement secondaire. Nous choisissons d’apporter une première définition de cette notion au sein de notre séquence. En effet, il nous semble important que les élèves disposent du fait qu’une équation est une relation d’égalité vérifiée parcertaines valeurs des inconnues. Selon nous, cela peut donner du sens au fait que nous considérons l’ensemble des couples ou des triplets qui vérifient l’égalité. De plus, notre étude curriculaire effectuée au chapitre IV met en évidence que le travail sur les équations n’est qu’algébrique. Cela peut d’ailleurs amener les élèves à ne pas pouvoir distinguer la résolution d’une équation de la description d’un objet géométrique par une équation (cf. chapitre II). C’est pourquoinous voulons aborder cette distinction dansnotre séquence. Nous choisissons, pour ce faire, de nous appuyer sur les connaissancesdes élèves sur les fonctions de R dans R, comme le suggère Rogalski (1991). L’arsenalqui définit alors la conceptualisation que nous visons pour ces notions et qui découle des choix précédemment évoqués est le suivant.

Arsenal

Caractériser les droites et les plans par des équations ou des ensembles de points. Décrire les objets représentés par des équations ou des ensembles de points. Différencier « décrire par une équation » et « résoudre une équation ».Étudier la position relative des objets entre eux.Déterminer les distances entre deux points, entre un point et un plan.Démontrer certains résultats comme la formule pour la distance d’un point à un plan et la forme générale des équations cartésiennes des plans.
Dans un deuxième temps, nous voulons développer chez les élèves une certaine flexibilité entre les cadres, les registres et les points de vue. Nous avons déjà expliqué qu’elle peut favoriser la conceptualisation des notions de droites et de plans dans l’espace et qu’elle ne se développe pas automatiquement chez les élèves. De ce fait, ilest important que ce travail soit amorcé avec l’enseignant dès l’activité d’introduction. Nous choisissons alors de proposer des jeux entre les cadres des géométries synthétique,vectorielle et analytique. Nous voulons également travailler les conversions entre les registres dudessin, algébrique, de la langue naturelle, ensembliste et de la logique. Lestrois premiers registres sont les plus exploités dans les manuels et dans les scénariosdes enseignants étudiés. Les deux derniers registres sont préconisés par les programmesactuels et un travail dans ceux-ci peut être difficile pour les élèves (cf. chapitre II). Bienque le programme scolaire ne le demande pas, nous pensons qu’il est important d’articuler les points de vue cartésien et paramétrique. Nous choisissons donc de proposer à la fois des changements de points de vue dans le sens cartésien/paramétrique et dans lesens paramétrique/cartésien au sein de notre scénario. Notre étude de terrain a montréque peu de ces traitements internes sont à mettre en œuvre dans la réalisation des tâchesprescrites par les enseignants. Nous cherchons alors un ensemble de tâches susceptiblesde déclencher ces activités chez les élèves, ce qui nous amène à pouvons préciser le type d’exercices que nous voulons proposer pour ces notions.

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