Les ressources en eau du Québec sont importantes puisque 10 % du territoire en est recouvert et que la province possède 3 % de l’eau douce mondiale, dont 40 % se retrouve dans le bassin versant du St-Laurent (MDDEP, 2002). Or, cette partie du territoire est aussi la plus densément peuplée et donc la plus utilisée par les activités humaines. Ce faisant, c’est aussi sur cette partie du territoire que l’on retrouve les plus importantes marques de dégradation de la qualité de l’ eau. Plus spécifiquement, les relevés de la qualité de l’eau dans le sud du Québec indiquent clairement que ce sont dans les bassins versants marqués par l’agriculture intensive que la dégradation de l’eau est la plus importante (Gangbazo et al., 2005).
La gestion de l’eau figure d’ailleurs parmi les enjeux environnementaux de l’heure (Naiman, 1996). Elle représente également un enjeu économique, alors que près d’un milliard de dollars est investi sur une base annuelle afm de contrer la dégradation des cours d’eau (Bernhardt et al., 2005). Les dispositions législatives à cet égard se sont multipliées au cours des dernières années. Le Cie an Water Act de 1972 aux États-Unis visait à mettre en place des balises quant aux déversements de polluants dans l’eau afin de restaurer et maintenir l’intégrité chimique, physique et biologique des cours d’eau (EPA, 2012). Du côté de l’Union européenne, la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) de 2000 portait principalement sur l’atteinte d’un bon état écologique et chimique des cours d’eau pour 2015 (Union européenne, 2000). Plus près de nous, la Politique nationale de l’eau du Québec de 2002 avait pour objectif principal la mise en place d’une gestion intégrée de la ressource en eau afin d’assurer la protection des écosystèmes aquatiques (MDDEP, 2002) .
Parallèlement aux cadres législatifs et politiques développés pour la gestion intégrée de l’eau, un certain nombre d’ actions ont été entreprises sur le terrain. Ainsi, au Québec, les municipalités ont pu se doter de systèmes de traitement des eaux usées, notamment grâce au Programme d’ assainissement des eaux du Québec (MDDELCC, 2000). En milieu agricole, plusieurs projets ont été mis en place afm de favoriser l’adoption de pratiques agroenvironnementales par les agriculteurs, par exemple le programme Prime-Vert (MAPAQ, 2013). Celles-ci visent à limiter l’ érosion, favoriser l’infiltration plutôt que le ruissellement, diminuer l’utilisation des pesticides, etc. Toutefois, ces actions ont souvent une portée ponctuelle dans l’espace et ne constituent pas, à elles seules, un plan intégré pour un bassin versant qui doit être réhabilité. Autrement dit, si l’on sait aujourd’hui comment agir ponctuellement pour limiter la pollution des eaux de surface, les connaissances pour agir à un niveau plus global et donc avec une vue d’ ensemble et non plus selon les seules opportunités locales, semblent être plus limitées. Alors que la gestion intégrée de l’ eau par bassin versant constitue un des axes majeurs de la Politique nationale de l’eau, de telles connaissances sont essentielles.
Principaux facteurs qui influencent la qualité de l’eau
Nombreuses sont les recherches qui se sont intéressées à identifier les différents facteurs susceptibles d’ avoir une influence sur la qualité de l’eau des rivières à l’échelle des bassins versants. Ces facteurs peuvent être regroupés selon deux grandes catégories. On retrouve premièrement les facteurs liés aux caractéristiques physiques du bassin versant (facteurs permanents) puis ceux associés aux différentes occupations des sols sur le territoire (facteurs non permanents)
Les caractéristiques physiques des territoires
Plusieurs études se sont intéressées aux liens entre la ressource en eau et les caractéristiques du milieu physique. La géologie constitue une de celles-ci, alors qu’elle influence à la fois la qualité de l’eau (p. ex. Newton et al., 1987; Gardner et al., 2011) et l’écoulement (p. ex. Onda et al. , 2001 ; Freer, 2002; Nippgen et al., 2011). C’est notamment le cas au Québec où trois grandes unités géologiques sont présentes. Alors que les roches précambriennes du Bouclier canadien (p. ex. granite, gneiss) sont associées à des eaux de surface légèrement acides, le pH des cours d’ eau s’ écoulant sur les basses-terres du Saint-Laurent et des Appalaches sera davantage alcalin (Painchaud, 1997). La conductivité est également plus élevée dans ces deux régions en raison de la présence de minéraux dissous provenant des roches sédimentaires et des dépôts argileux. D’ autres études ont également démontré l’influence de la topographie et de la pédologie sur la qualité de l’ eau (p. ex. D’Arcy et Carignan, 1997).
Les caractéristiques climatiques, et notamment la température et les précipitations, figurent également parmi les facteurs pouvant influencer la qualité de l’ eau. Cette réalité est particulièrement importante à considérer au Québec. Au printemps, la fonte des neiges entraîne des crues importantes ayant un impact majeur sur le transport de polluants. Une étude sur la rivière Beaurivage a d’ ailleurs démontré que 65 % de la charge sédimentaire est exportée pendant cette période de l’ année (Quilbé et al., 2006).
Pour sa part, la température influence notamment la concentration en oxygène dissous et l’activité microbienne (p. ex. dénitrification).
Ces facteurs naturels ne peuvent pas être contrôlés afm de modifier leur impact sur la qualité de l’ eau. Ce n’ est pas le cas, par contre, de l’occupation des sols. Or, l’influence de l’occupation des sols sur la qualité de l’eau a fait l’ objet de plusieurs études. Celles-ci ont permis de montrer que la nature de l’occupation (p. ex. agricole, forestière) peut avoir un impact important sur la qualité de l’ eau, que celui-ci soit positif ou négatif (p. ex. Wang et al., 1997; Lammert et Allan, 1999; Uriarte et al., 2011). Les rôles des milieux agricole, urbain, forestier et humide ont particulièrement été étudiés.
L’occupation des sols
La littérature regorge d’études s’intéressant à la relation entre le milieu agricole et la qualité de l’eau, y compris au Québec (p. ex. Osborne et Wiley, 1988; Tong et Chen, 2002; Gangbazo et al. , 2005). Les changements agricoles survenus au cours des dernières décennies, caractérisés par l’intensification et la spécialisation des pratiques agricoles, ont été largement reconnus pour avoir contribué à la dégradation de la qualité de l’eau (p. ex. McDowell et al. , 2002). L’impact du milieu agricole sur la qualité de l’eau n’est pas relié qu’aux superficies cultivées. Les types de culture, les pratiques culturales et la fertilisation sont autant de pratiques susceptibles d’influencer significativement la qualité de l’ eau. Ces facteurs détermineront les charges de sédiments et de nutriments qui seront potentiellement exportées vers les cours d’eau. Des charges trop importantes peuvent accélérer l’ eutrophisation des cours d’ eau (p. ex. Lapp et al. , 1998). Le milieu agricole est d’ailleurs régulièrement cité comme étant le milieu contribuant le plus aux charges en nutriments des cours d’ eau. À titre d’exemple, selon Hegman et al. (1999), qui ont mené une étude dans la baie Missisquoi, 80 % de l’ apport en phosphore diffus au cours d’ eau proviendrait du ruissellement du milieu agricole .
Au Québec, Gangbazo et al. (2005) ont étudié la capacité de support maximal d’un bassin versant en activités agricoles afin de respecter les normes de concentration en phosphore. Cette capacité fait référence aux charges maximales de phosphore de sources agricoles que peut contenir un bassin versant tout en respectant les critères établis par le gouvernement et est calculée en additionnant les cultures à grands interlignes et à interligne étroit. Les auteurs concluent que la capacité de support est respectée lorsque les bassins versants ont moins de 5 % de surfaces en cultures à grands interlignes (maïs, soya) et à interlignes étroits (autres céréales). Alors que certaines rivières ont des superficies en cultures largement au-dessus de la capacité exprimée (p. ex. rivière Boyer (26,3 %), rivière Yamaska (34,2 %), rivière Richelieu (51,4 %» , certaines seraient encore sous le seuil (p. ex. rivière Batiscan (2,15 %». De plus, les auteurs stipulent que certains bassins versants, régulièrement cités comme étant agricoles, possèdent des valeurs de contribution des sources diffuses à la charge annuelle en phosphore plus faibles que la moyenne. Ils avancent l’hypothèse que cela pourrait être explicable par la localisation géographique de celles-ci à l’intérieur du bassin versant.
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GENERALE |