Prévisibilité des ressources en eau à l’échelle saisonnière
Le système climatique et sa prévisibilité
Le système climatique est un système dynamique dont les composantes interagissent entre elles en permanence. Ses différentes composantes sont principalement constituées de : l’atmosphère, les océans et les mers, la cryosphère (la neige, les glaciers et banquises…), la biomasse (tous les êtres vivants) ainsi que la lithosphère (surfaces continentales). Le système climatique est donc un système avec plusieurs processus complexes se déroulant à différentes échelles spatio-temporelles. La connaissance de ces différents processus et de leurs interactions permet cependant de prévoir, sous certaines conditions, l’évolution du climat. La prévision saisonnière est une prévision d’un état moyen de l’atmosphère quelques mois à l’avance. Elle est ainsi possible grâce à l’évolution lente des conditions aux limites de l’atmosphère : température de surface des océans tropicaux, humidité des sols, couverture neigeuse, et végétation sur les surfaces continentales. Les prévisions saisonnières (par exemple, de températures et de précipitations) constituent alors un outil d’aide pour les organisations qui doivent prendre des décisions sur des intervalles de temps du mois à quelques mois, comme pour la gestion de la ressource en eau. Dans ce chapitre, nous allons tout d’abord présenter les principaux éléments du système climatique : les moteurs de la circulation atmosphérique de grande échelle, en insistant sur les moyennes latitudes qui nous intéressent dans le cadre de cette thèse, et les grands modes de variabilité du climat agissant en Europe. Nous pourrons ensuite ainsi nous consacrer à l’étude de la prévision saisonnière. Ses différentes sources de prévisibilité seront revues, avant de nous concentrer sur ce qu’il est fait de nos jours ainsi que les perspectives pour les années à venir dans le domaine de la recherche. Enfin, nous verrons les différents projets et modèles de prévision saisonnière opérationnels existants en Europe avant de réaliser une synthèse résumant le chapitre.
La circulation atmosphérique
FIG. 1.1. Schéma du système climatique [IPCC, 2007] L’atmosphère est une des composantes essentielles du système climatique, interagissant principalement avec les océans et les surfaces continentales, mais aussi la biosphère et la cryosphère (FIG. 1.1). Comprendre la circulation atmosphérique générale est donc essentiel pour comprendre comment fonctionne le système climatique. Tout d’abord, intéressons-nous aux mécanismes moteurs qui mettent en place la circulation atmosphérique.
Les mécanismes moteurs de la circulation atmosphérique générale
L’existence de la circulation atmosphérique est la conséquence de la rotation de la Terre et de déséquilibres énergétiques existants sur la Terre. FIG. 1.2. Bilan radiatif global de la Terre [Kiehl and Trenberth, 1997] Premièrement, un déséquilibre d’énergie d’axe vertical atmosphère/surface est observé : l’énergie est déficitaire dans l’atmosphère tandis qu’elle se révèle être excédentaire à la surface. Ce déséquilibre énergétique atmosphère/surface est alors compensé à travers les flux de chaleur sensible et latent pour rééquilibrer le bilan radiatif global de la planète (FIG. 1.2). La chaleur sensible et la chaleur latente transportent l’énergie par advection de masses d’air et d’eau plus chaudes (froides) vers les pôles (l’équateur), et par les changements de phase du contenu en eau dans l’atmosphère. Par exemple, les mouvements atmosphériques existants dans les tropiques, permettent de redistribuer l’énergie de l’équateur vers les pôles sous forme de mouvements verticaux dans le plan altitude/latitude correspondant à une circulation cellulaire entre Tropiques et SubTropiques, dite circulation de Hadley (FIG. 1.3). Les cellules de Hadley sont ainsi observées tout autour du globe ; à l’interface entre les hémisphères Nord et Sud, leurs branches ascendantes forment une zone de convection à grande échelle qui varie en fonction des saisons, la Zone de Convergence Intertropicale (ZCIT). Ces fortes ascendances présentes dans la ZCIT sont à l’origine des nuages et des fortes précipitations caractéristiques de cette zone .Le second déséquilibre énergétique est lié à la répartition du rayonnement solaire à la surface de la Terre. En effet, le rayonnement solaire est très variable dans le temps (fonction de la saison) et l’espace (fonction de la latitude), conséquence de l’axe d’inclinaison et de la rotation de la Terre. La quantité moyenne de rayonnement solaire reçue par les pôles est ainsi environ deux fois inférieure à celle reçue par l’équateur. Ce déséquilibre énergétique est donc un déséquilibre énergétique méridien. Toutefois, les basses et hautes latitudes sont en équilibre énergétique en moyenne annuelle grâce aux processus transportant l’énergie des régions équatoriales vers les pôles par les différentes composantes fluides du système climatique. Les composantes fluides contribuant le plus sont l’atmosphère et l’océan, ce dernier agissant alors comme un régulateur thermique à travers la circulation océanique. Les transports énergétiques dans les tropiques se font essentiellement grâce aux océans (> 50 % du transport total d’énergie) et sont réalisés à deux niveaux : en surface, avec les vents et la force de Coriolis ; et en profondeur, avec la circulation thermohaline gouvernée par les différences de densité des masses d’eau (fonctions de la température et de la salinité). Par contre, aux hautes latitudes, les transports d’énergie se font majoritairement grâce à l’atmosphère (FIG. 1.4)
La circulation atmosphérique aux moyennes latitudes
Les moyennes latitudes sont les deux bandes situées entre 35 et 70 degrés de latitude dans les hémisphères Nord et Sud. La circulation atmosphérique dans ces régions est caractérisée par la zone barocline et les ondes quasi-stationnaires (ou ondes de Rossby). Un fluide est barocline lorsque les lignes isobares (d’égale pression) croisent les lignes d’isopycne (d’égale densité). La zone barocline présente aux moyennes latitudes est ainsi définie par : (i) de fortes variations méridiennes de température (dues à une interaction des masses d’air chaud provenant des tropiques avec les masses d’air froid provenant du pôle) ; (ii) un flux d’ouest dans la troposphère (première couche de l’atmosphère où se produisent les phénomènes météorologiques s’élevant jusqu’à 8 km aux pôles et 15 km à l’équateur) du à la force de Coriolis qui fait dévier les vents à droite dans l’hémisphère Nord ; (iii) une pression en moyenne zonale plus haute du côté tropical que du côté polaire. Toutefois, cette zone barocline aux moyennes latitudes fluctue et constitue alors « la toile de fond » du portrait de la circulation atmosphérique à ces latitudes. Ces perturbations restent cependant de plus petite échelle que celle des ondes stationnaires.
Le système climatique et sa prévisibilité
Les ondes quasi-stationnaires, ou ondes de Rossby, sont des mouvements ondulatoires de la circulation atmosphérique de grande longueur d’onde pouvant atteindre quelques milliers de kilomètres. Elles sont donc d’ordre planétaire. Ces ondes sont principalement initiées par les grands reliefs (comme les Rocheuses aux Etat-Unis), et la variation de la force de Coriolis [Coriolis, 1835], elle-même conséquente de la rotation de la Terre. Elles sont donc induites par la conservation du tourbillon absolu. Prenons f , la latitude à laquelle la rotation du flux d’air est due à la force de Coriolis, et ζ , la rotation locale dans le flux d’air, aussi appelé tourbillon relatif. Le tourbillon absolu étant conservé, alors nous avons ζ + f qui est une constante. En d’autres termes, lorsque l’air passe au-dessus d’un obstacle, tel qu’un relief, il doit alors s’écouler dans une couche atmosphérique plus mince, ce qui accélère la rotation dans le flux (ζ ) . Mais pour conserver le tourbillon absolu ζ + f , l’air doit alors se déplacer vers l’équateur pour diminuer la latitude (f). Puis, lorsque l’air redescend de l’autre côté de l’obstacle, il est contraint d’aller vers une latitude plus polaire. Ceci induit ainsi une ondulation de la circulation atmosphérique.
Variabilité du climat
La partie précédente était une brève description sur les mécanismes moteurs qui mettent en place la circulation atmosphérique, en particulier aux moyennes latitudes. L’atmosphère est donc une des composantes essentielles du système climatique pour prévoir le climat, mais l’océan a aussi une grande importance pour la prévision climatique comme nous allons le voir au cours de cette section. Le climat connaît des variations en permanence. Pour le prévoir, il faut donc connaître ses variations, définies par des structures spatiales caractéristiques évoluant sur des échelles de temps interannuelles correspondantes.
Le système climatique et sa prévisibilité
Echelle de temps et d’espace Une classification usuelle des phénomènes atmosphériques existe en fonction de leur échelle spatio-temporelle. Les circulations persistantes de plusieurs semaines à plusieurs mois (nous intéressant dans le cadre de cette thèse) sont d’échelle planétaire : citons par exemple les circulations de Hadley (cf. 2.1.1.), la NAO (« North Atlantic Oscillation ») et les régimes de temps (que nous décrirons dans les prochaines sections). La dimension spatiale de référence à cette échelle est à peu près du même ordre de grandeur que le rayon de la Terre et peut aller jusqu’à 10 000 km. Ensuite, si nous descendons dans cette échelle spatio-temporelle, vient alors l’échelle synoptique, qui correspond à des phénomènes dont la taille caractéristique est le millier de kilomètres et d’une durée de quelques jours. C’est le cas des dépressions et des anticyclones se développant surtout sur les océans aux moyennes latitudes. Viennent ensuite les phénomènes de mésoéchelle, d’une dizaine à une centaine de kilomètres, comme les vents régionaux dont la durée est d’une heure à une journée. Puis, à plus petite échelle encore, soit entre 10 km et quelques centaines de mètres, on se situe dans l’échelle d’aérologie avec les orages isolées ou encore les tornades. Ensuite, il y a la microéchelle (moins de 2 kilomètres) avec les tourbillons de poussières et les rafales. Et enfin, à l’échelle dite microscopique se trouvent les processus de formation des nuages et des gouttes de pluie. Notons que cette séparation d’échelles est utile en théorie, puisqu’en fonction de ce que l’on cherche à mieux connaître et à étudier, les échelles correspondantes ne sont pas les mêmes ; cette séparation possède toutefois des limitations, car en pratique, toutes les échelles interagissent entre elles.
Le système climatique et sa prévisibilité
Modes de variabilité du climat et grands indices climatiques
Dans cette partie, seuls les modes de variabilité du climat les plus importants et les plus étudiés impactant la zone européenne seront décrits. L’un des principaux modes de variabilité le plus connu est celui d’ « El Niño Southern Oscillation » (ENSO) (FIG. 1.5). Même si la France reste toutefois peu concernée par ce phénomène, nous le décrirons ici car il reste important pour d’autres zones en Europe et est l’une des principales sources de prévisibilité la plus étudiée à l’échelle de la saison. De plus, les modèles globaux de climat de prévision saisonnière sont très souvent validés par rapport au phénomène ENSO. L’ENSO est en fait composé d’une anomalie océanique « El Niño » interagissant avec une anomalie atmosphérique tropicale « Southern Oscillation », constituant ainsi ce que l’on appelle un système couplé océan-atmosphère. Il est caractérisé par trois phases : la phase dite La Niña, la phase normale et la phase El Niño [Bjerknes, 1969]. La phase normale de l’ENSO est définie par des alizés déplaçant les eaux de surface chaudes des côtes Est du Pacifique vers l’Ouest, durant l’hiver, provoquant alors une remontée d’eaux profondes (« upwelling ») froides et plus riches en nutriments à l’Est, ce qui attire alors les poissons et favorise la pêche en Amérique latine (FIG. 1.5). La phase La Niña est un renforcement des anomalies océanique et atmosphérique de la phase normale. Par contre, pour la phase El Niño, l’anomalie océanique s’observe dans le Pacifique au large des côtes d’Amérique du Sud (de l’Equateur au Chili) peu après Noël. Elle est ainsi caractérisée par un courant d’eaux chaudes provenant de l’Ouest du bassin Pacifique qui migre vers l’Est (vers les côtes du Pérou). Quant à l’anomalie atmosphérique tropicale, elle est caractérisée par une pression atmosphérique qui augmente à l’Ouest du Pacifique tandis qu’elle diminue à l’Est, induisant un affaiblissement voire un changement de sens des alizés (cf. dernier schéma à droite de la FIG. 1.5.). El Niño est donc l’effet inverse de La Niña et se produit souvent après celui-ci.
Chapitre 1 – Introduction |