Prépondérance de l’hypokaliémie et sous-estimation de sa gravité
Prise en charge d’une dyskaliémie
Les pratiques autour des dyskaliémies rejoignent l’hypothèse de la sous-estimation du risque liés aux troubles du potassium. Pratique de l’ECG Bien que la présence d’une hyperkaliémie modérée soit souvent asymptomatique, elle peut altérer la fonction cardiaque et avoir des conséquences mortelles (10, 23, 101). Des niveaux supérieurs à 6,5 mmol/l, ou tout niveau élevé associé à des modifications électriques sont recommandés comme seuils du déclenchement d’un traitement d’urgence (voie intraveineuse sous strict monitorage) (1, 102, 103). Les médecins généralistes de notre enquête adressent les patients en service d’urgence à partir de concentrations en moyenne supérieures à 6 mmol/l, alors que selon les recommandations, à partir de concentrations supérieures à 5,5 mmol/, ils devraient disposer d’un tracé ECG. Or, l’ECG n’est réalisé que par 13,6 % des médecins de notre étude. Lors de l’enquête, nombre de médecins généralistes ont évoqué durant les entretiens téléphoniques le fait de ne pas assez pratiquer d’ECG par manque d’habitude de son interprétation ; ils préféraient ainsi ne pas faire que « mal faire ». La pratique systématique d’un ECG semble plus ancrée chez les étudiants puisque la plupart effectuerait un ECG pour des seuils de dyskaliémies pathologiques. Il est probable que l’ECG fasse plus partie du quotidien d’un interne en médecine du fait des stages hospitaliers quasiexclusifs pendant l’externat et du stage aux urgences obligatoire en début d’internat. Ce fait se confirme puisque plus l’étudiant avançait dans ses études, moins ils déclaraient effectuer un ECG, probablement également sous l’influence de stages chez le médecin généraliste, le mettant face à la réalité du terrain (peu de disponibilité d’appareils, manque d’une équipe pour s’assurer de la bonne interprétation, temps dédié à la consultation…). Même si l’ECG est recommandé, les modifications électriques de son tracé dans le cadre d’une dyskaliémie sont parfois si fines que même l’œil du praticien n’est pas capable de les détecter (104). L’intelligence artificielle émerge de façon récente dans ce domaine et montre des premiers résultats au moins monocentriques meilleurs que l’œil humain dans l’interprétation de l’ECG d’une dyskaliémie et pourrait être une aide diagnostique future (26). Dans l’hyperkaliémie, l’ECG reste toutefois un indicateur peu sensible de la gravité car les manifestations cardiaques peuvent être non spécifiques ou même absentes à des niveaux de kaliémie associés à un risque de mortalité accru (9, 31, 105).Pour l’hypokaliémie, il n’existe pas à notre connaissance de données sur la sensibilité de l’ECG, les modifications électriques étant décrite pour des niveaux < 3,5 mmol/l, en particulier chez des patients insuffisants cardiaques (40). Néanmoins, l’ECG semble important à réaliser en cas d’hypokaliémie pour prévenir la mortalité liée au trouble.
Examen clinique
En terme de pratiques, et même si l’examen clinique est pauvre dans les dyskaliémies, nous avons également été surpris de constater que les médecins généralistes n’interrogeaient pas leurs patients et ne réalisaient pas d’examen clinique pour tout patient présentant une dyskaliémie, à la recherche d’une cause notamment. L’examen clinique n’était pas au centre également des pratiques des étudiants qui s’axaient plutôt sur l’étiologie du trouble et les examens complémentaires. Pourtant l’interrogatoire du patient et l’examen clinique sont très largement développés durant l’externat via des cours et séances pratiques dédiées à la sémiologie.
Prise en charge diététique
De façon encore plus étonnante, les mesures diététiques n’étaient que très faiblement recommandées que ce soit par les médecins généralistes en exercice ou par les étudiants, alors que ces mesures sont simples, et constituent un élément majeur de la prise en charge d’un trouble potassique (19, 23, 94-96) ; elles sont évoquées de façon large par les cardiologues et néphrologues interrogés dans une enquête européenne, dont française.
Prise en charge collaborative
De façon globale, les médecins spécialistes (cardiologues et néphrologues) n’étaient que rarement sollicités par les médecins généralistes interrogés dans nos enquêtes, même s’il s’agissait de cas spécifiques concernant l’une ou l’autre de ces deux spécialités. Il existe plusieurs hypothèses derrière ce fait. Premièrement, la démographie médicale française rend de fait l’accès à ces spécialistes complexe ; la barrière du secrétariat ou du standard hospitalier rend également parfois difficile l’obtention d’un avis téléphonique. De plus, la temporalité propre au médecin généraliste nécessite le plus souvent un avis immédiat sur la prise en charge du patient alors que le spécialiste peut être occupé (par exemple par un acte technique) et ne pouvoir répondre que plus tard. L’autre point pouvant expliquer ces difficultés est le manque de cohérence entre les recommandations des cardiologues et celles des néphrologues (19, 106-108), pouvant amener à des confusions dans la prise en charge du médecin généraliste. L’expérience du médecin veut aussi qu’il tend sans doute à reproduire des conseils antérieurement donnés sur des situations similaires sans reprendre l’avis du spécialiste
La dyskaliémie, associée à un mauvais pronostic aux urgences
L’association de l’hypokaliémie à la morbi-mortalité retrouvée dans notre étude aux urgences (90) est également retrouvée dans la littérature (7-18). Reste à évaluer si cette association est de type causale. La causalité est plus probable lorsqu’il existe un relation doseréponse et que les facteurs de confusion ont été pris correctement en compte (109). De fait, la causalité ne peut être affirmée que dans un essai contrôlé, randomisé et prospectif. Cependant, en l’absence d’essai clinique disponible, l’apport des études observationnelles dans le champ des connaissances scientifiques reste important. En reprenant la grille de lecture pour juger de la causalité proposée par Hill, il existe une plausibilité physiopathologique à l’association que nous avons retrouvée, puisque des troubles du rythme ventriculaires ont été décrits pour des niveaux de kaliémie < 3.5 mmol/L (1, 35, 37, 39) notamment chez l’insuffisant cardiaque chronique (46) ; nous retrouvons un effet dose, l’association étant plus importante pour une kaliémie <3.5 que pour des seuils de 4-5mmol/L ; nous avons ajusté sur nombre de facteurs de confusion, mais nous ne pouvons affirmer qu’il ne persiste pas de facteur de confusion non pris en compte. On ne peut ainsi pas affirmer le caractère causal que nous avons retrouvé entre dyskaliémie et mortalité. On note des différences d’intensité de prise en charge de l’hypo- et de l’hyperkaliémie. L’hypokaliémie est probablement sous-estimée et traitée de façon moins active que l’hyperkaliémie. L’hyperkaliémie est un motif d’inquiétude plus important que l’hypokaliémie, en témoignent le grand nombre d’études centrées sur l’hyperkaliémie par rapport à celles sur l’hypokaliémie aux urgences et notamment sur les traitements d’urgence vitale (9, 38, 110, 111). Cette différence d’intensité de prise en charge pourrait avoir un impact sur nos résultats. En effet, l’hypokaliémie n’étant que peu traitée, elle resterait associée au pronostic ; A contrario, l’hyperkaliémie étant rapidement corrigée par des mesures thérapeutiques, elle ne serait que peu associée au pronostic des patients. La prise en charge de l’hyperkaliémie par les médecins généralistes est hétérogène. En effet, les médecins généralistes et les internes semblent avoir des pratiques disparates et utiliser fréquemment des résines échangeuse d’ions, pratique très française (112, 113) (97). Face à des 91 situations cliniques spécifiques, comme celle d’un patient sous IEC ou ARA2, et celle d’un patient insuffisant cardiaque et/ou rénal sous ARM, les prises en charge des médecins s’orientaient principalement vers l’arrêt temporaire des médicaments (dans 40 % des cas) et 20 % arrêtaient de façon définitive ces médicaments postérieurement à l’évènement alors même qu’ils sont recommandés pour ces patients. L’utilisation de résines échangeuses d’ions en traitement adjuvant était assez répandue bien que non systématique. Nos résultats sont corroborés par les données existantes de la littérature, car, bien qu’ils soient recommandés, les médicaments bloqueurs du SRAA sont malheureusement rarement réintégrés après un épisode d’hyperkaliémie à la sortie de l’hôpital ou par la suite, même si une autre cause claire d’hyperkaliémie a été détectée et éliminée (19, 114). Le scénario clinique le plus courant est que les doses de bloqueurs du SRAA sont réduites, ou qu’ils sont simplement interrompus ; cela est particulièrement vrai pour les IEC et ARA2. L’arrêt du bloqueur du SRAA est associé à un risque accru d’aggravation de l’état cardio-vasculaire sous-jacent et de mortalité (19, 114). L’hyperkaliémie pourrait de plus être perçue comme un marqueur de risque, lié à la nonutilisation ou au sous-dosage des bloqueurs du système rénine angiotensine aldostérone chez les insuffisants cardiaques hyperkaliémiques, et à une perte d’effet cardio-protecteur de ces traitements. Le potassium sanguin est ainsi potentiellement une variable cliniquement exploitable pour l’optimisation dynamique de la thérapie diurétique et des bloqueurs du SRAA pouvant améliorer le pronostic vital (114). Ainsi, le facteur confondant de la mortalité apparaissant associée à l’hyperkaliémie dans les courbes en U (14), pourrait être cette soustitration ou cette privation des bloqueurs du SRAA et des ARM. Face à une hypokaliémie les pratiques des médecins et des internes étaient plus uniformes et consistaient à prescrire du potassium per os dans la majeure partie des cas. Le recours à des diurétiques épargneurs de potassium dans ces cas (ou l’augmentation de leur dosage), malgré la notion d’une insuffisance cardiaque chronique, a à peine été utilisé alors qu’il s’avère être une piste intéressante dans ces situations (14) et qu’il aurait potentiellement un impact positif sur la survie (28). Le traitement perçu comme aisé d’une hypokaliémie, bien que pas toujours efficace (28), corrobore à nouveau l’hypothèse de la sous-estimation de la gravité du trouble. De façon similaire, les études aux urgences sur l’hypokaliémie sont beaucoup moins nombreuses que pour l’hyperkaliémie alors que le trouble est présent de façon 92 plus importante. Les recommandations en vigueur aux urgences reflètent également ce point puisque celles sur l’hyperkaliémie représentent un volume plus important que celles sur l’hypokaliémie. L’hypokaliémie, en plus d’être un marqueur de gravité clinique dans certaines pathologies aigues (60) via les mécanismes adrénergiques précédemment décrits pouvant générer une baisse de kaliémie de 0.5 à 0.9mmol/L, est un probable marqueur de stress physiologique aux urgences. L’hypokaliémie pourrait bien être une tueuse silencieuse du fait de sa non reconnaissance de gravité et de son lien- à confirmer néanmoins- avec la mortalité des patients.