La notion de développement durable telle que nous la connaissons actuellement est récente. Elle fût initialement formulée par la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement (Brundtland, 1987). Pour sa part, l’aménagement forestier durable (ADF) fut officiellement adopté lors de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement qui s’est tenue à Rio de Janeiro en 1992 (UNCED, 2005). Pour être qualifié de durable, le développement doit répondre aux besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures d’assurer les leurs. Selon le Conseil Canadien des Ministres des Forêts (1995), l’ ADF est un type d’aménagement qui vise « à maintenir et à améliorer à long terme la santé des écosystèmes forestiers aux bénéfi ces de tous les êtres vivants, … tout en assurant aux générations actuelles et futures de bonnes perspectives environnementales, économiques, sociales et culturelles» (CCMF, 1995). La santé des écosystèmes est une notion difficile à cerner (Armstrong et al. , 2003), mais une bOIlle gestion de nos forêts doit assurer la pérennité et le bon fonctionnement des écosystèmes forestiers sans perturber les autres types d’écosystèmes (Wolfslehner et Vac ik, 2007).
L’industrie forestière canadienne récolte quelques 200 miIlions de mètres cubes de bois par année permettant ainsi la création de débouchés économiques dans les différentes régions, y compris près de 300 000 emplois directs. Tout ceci, sans tenir compte des activités récréatives et touristiques liées à la forêt. Or, cette même industrie devra faire face d’ici 25 ans à de nouvelles réductions d’approvisionnement en bois (Huggard, 2004). Ces pénuries étant en partie dues à la pression exercée en faveur de la création de nouvelles aires protégées, du maintien de la biodiversité et des vieilles forêts. De plus, les changements climatiques accentueront vraisemblablement les facteurs de risques liés aux petiurbations naturelles tels que les feux, les épidémies d’ insectes, les épisodes de verglas, etc. (Messier et al., 2003 ; Burton et al., 2006). Au Québec, une pénurie anticipée de bois est à prévoir d’ ici 2020. La demande envisagée serait de 50,4 M de mètres cubes alors que l’ industrie forestière ne pourrait fournir que 46,9 M à 50,3 M de mètres cubes (CNIAF, 2003). La foresterie représente au Québec le secteur économique le plus enrichissant et les principaux enjeux qui y sont liés sont: l’augmentation des aires protégées, la conservation de la biodiversité, les aspects récréatifs et culturels qu ‘offre la forêt et finalement, la production de fibres ligneuses pour alimenter une industrie prospère et ainsi préserver les emplois (Réseau Ligniculture Québec, 2004).
Ainsi , les opinions scientifiques et publiques concernant le maintien de la biodiversité et d’autres valeurs apportées par les écosytèmes forestiers ont amené les gouvernements et les compagnies forestières à tendre vers un aménagement durable des forêts (Armstrong et al., 2003). Le Canada qui possède 10% de la surface mondiale forestière, s’est donc engagé vis-à-vis la gestion durable de ses écosystèmes forestiers (CCMF, 2003). On assiste alors à la création en 1995 du Réseau sur l’Aménagement Durable des Forêts (Adamowicz et al., 2002 ; McNab, 2005). La même année, le CCMF met en place six critères d ‘aménagement durable des forêts et leurs indicateurs, par la suite inscrits dans les dispositions préliminaires de la Loi sur les forêts. Ces critères sont les suivants: (1) la conservation de la diversité biologique, (2) le maintien et l’amélioration de l’état et de la productivité des écosystèmes forestiers, (3) la conservation des sols et de l’eau, (4) le maintien de l’apport des systèmes forestiers aux grands cycles écologiques, (5) le maintien des avantages socio-économiques que les forêts procurent aux sociétés et finalement (6) la pnse en compte des besoins et des valeurs exprimés par les populations concernées.
Plus récemment, la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise (Commission Coulombe) recommandait que les stratégies sylvicoles soient repensées, notamment avec un régime forestier qui s’appuierait sur un zonage vocatiOlmel du tenitoire (conservation stricte; protection et utilisations multiples modulées; utilisations multiples et production de matière ligneuse; utilisation ligneuse prioritaire) et sur des stratégies différenciées selon les zones et les vocations pour parvenir à une gestion durable des forêts .
Face à ces enjeux multiples auxquels sont confrontés les aménagistes d’aujourd’hui, le développement de pratiques de gestion alternatives et novatrices appuyées par des concepts structurants est encouragé (UNCED, 1992; Réseau sur l’Aménagement Durable des Forêts, 2001 ; Colloque sur la planification forestière, 2002). Par exemple, le concept d ‘ aménagement multi-ressources a été développé pendant une trentaine d ‘années en Amérique du Nord (Burton et al. , 2006). Ici , l’ensemble des ressources forestières ligneuses et non ligneuses (paysage, biodiversité, faune) sont aménagées durablement à l’échelle des peuplements forestiers (Lamas et Eriksson, 2003). Cependant, le concept d’aménagement multi-ressources comporte des lacunes importantes (Colloque sur la planification forestière, 2002). En effet, il ne permet pas d’intégrer les objectifs de production et de conservation simultanément car il n’est efficace que lorsque les objectifs sont complémentaires comme par exemple le récréationnel et la préservation de la qualité des paysages (Beaudoin et Doyon, 2002 ; Boyland et al. , 2004). De plus, il n’est pas garant du respect des différentes fonctions des écosystèmes forestiers, assurant l’ ADF (Stanford et Pool e, 1996).
Présentation générale du Bas-Saint-Laurent (BSL)
La région administrative du BSL (figure 1) se situe principalement dans le domaine de la sapinière à bouleau jaune, avec une composante d ‘érablière à tilleul à l’ouest et de sapinière à bouleau blanc à l’est (Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune (MRNF), 2004). Le domaine bioclimatique de la sapinière à bouleau jaune est une zone de transition entre la zone tempérée nordique et la zone boréale. Il s’étend depuis l’Ouest jusqu’au centre du Québec, entre les 47° et 48° de latitude. Il ceinture aussi la péninsule gaspésienne et il englobe les collines des Appalaches à l’est de Québec, le contrefort des Laurentides, au nord du Saint Laurent, et l’enclave des Basses Terres du Lac Saint-Jean. Les sites mésiques y sont occupés par des peuplements mélangés de bouleaux jaunes et de résineux, comme le sapin baumier, l’épinette blanche et le thuya. L’érable à sucre, le chêne rouge, le hêtre, par exemple, y croissent à la limite septentrionale de leur aire de distribution. L’abondance du bouleau j aune et des pinèdes, qui diminue d’ouest en est, permet de distinguer deux sous-domaines : celui de l’Ouest est caractérisé par l’omniprésence des bétulaies jaunes à sapins sur les sites mésiques et celui de l’Est, par les sapinières à bouleau jaune (Blouin et Berger, 2003). La superficie total e du BSL est de 22 SIS km2 dont Il 393 km² (5 1%) de forêt publique et Il 122 km2 (49%) de forêt privée (MRNF, 2004). D ‘ autre part, la région est composée de 117 municipalités réparties dans huit Municipalités Régionales de Comté (MRC) .
La forêt publique du BSL présente déjà actuellement un certain nombre d’affectations, qui pourraient s’apparenter à un zonage primitif et dont il faut tenir compte pour réaliser des premières approximations de zonage vocationnel (Beaudoin et Doyon, 2002). Il est difficilement envisageable de modifier la gestion actuelle de ces territoires pour des raisons sociales, économiques mais aussi écologiques. De plus, il faudrait être en mesure de changer leur statut légal ou administratif (Huggard, 2004).
Les différentes affectations retrouvées sont des aires protégées, des plantations, des zones récréatives comme des ZEC et réserves fauniques ainsi que des ravages du Cerf de Virginie. Ces derniers étant comptés pour l’étude dans les territoires dits structurés et non dans les aires protégées comme indiqué par le Ministère (MRNF, 2007). En effet, les ravages sont loin de présenter les conditions idéales pour la mise en conservation intégrale car on y retrouve actuellement une certaine exploitation forestière.
La cartographie de ces territoires dits structurés s’avère utile, afin d’identifier les zones qui ont un potentiel extensif prévalent pour en tenir compte dans les premières approximations de zonage. En effet, des zones de conservation ou de sylviculture intensive déterminées suite à l’analyse pourraient être en compétition avec les territoires structurés déjà mis en place quand la partie extensive de la Triade est déterminée par défaut.
Caractéristiques économiques, sociales et environnementales
Comme le mentionnent Norfolk et Erdle (2005), la connaissance du territoire d’étude, d’ un point de vue économique, social et environnemental est essentielle. Posséder une information précise et complète sur les ressources d’ un territoire est un atout indispensable pour un zonage vocationnel. Une analyse des caractéristiques économiques, social es et environnementales de la région du Bas-Saint-Laurent a donc été réalisée. À noter qu ‘ au moment d’ écrire ce mémoire les différentes situations sont très volatiles, les données évoluant rapidement.
Situation économique
L’ ensemble du secteur forestier, en considérant également les activités de récolte de bois et de services forestiers, générait un total de 8 20 1 emplois en 2003 au BSL, représentant 9 % de tous les emplois directs, ainsi qu’un chiffre d’affaires global de 1 223,3 M$ et un total de 2 8 16 234 mètres cubes de bois rond consommés dont 75,7% provenaient des forêts publiques et privées de la région. Le reste provenant de l’extérieur (OFBSL, 2005 (b» . De plus, l’ensemble du secteur forestier générait dans cette région un total de 7 927 emplois directs, indirects et induits en 2003. Ces emplois sont surtout concentrés dans les MRC de Témiscouata (l 798 travailleurs), de La Matapédia (l 485 travailleurs) et de La Mitis ( 1 057 travailleurs). Le gouvernement investit environ 30 millions de dollars par année dans l’aménagement forestier et contribue à créer ou à maintenir 2 800 emplois, dont près de 2 000 en sylviculture. L’ industrie forestière est ainsi l’ épine dorsale de l’ économie régionale (OFBSL, 2005 (a) et 2006). En 1997, ce secteur représentait 46 % de la valeur des expéditions manufacturières, soit 29 % pour les produits du bois et 17 % pour les pâtes et papiers. L’industrie forestière est également responsable de 16% du produit intérieur brut de la région et 116 des 117 municipalités de la région sont plus ou moins impliquées dans les activités provenant de cette industrie (OFBSL, 2005 (b )). Néanmoins, le BSL est particulièrement touché par la réduction du potentiel de coupe de la forêt. Ainsi depuis 1999, la possibilité de coupe forestière du groupe Sapin – Épinettes- Pin gris- Mélèze (SEPM) dans les forêts publiques a diminué de plus de 50% entraînant un approvisionnement plus important en forêt privée à des prix plus élevés ce qui induit une hausse du coût de revient des scieries. Les défis à relever pour le secteur forestier couvrent l’ ensemble des activités économiques liées à la forêt, c’est-à-dire les interventions en aménagement, la cohabitation d’ activités productives et récréatives, la di versification de la transformation, le recours à la recherche et au développement, une meilleure organisation de la commercialisation et l’exploration de nouveaux modes de gestion. C’est pourquoi, la situation dominante du secteur forestier au BSL ne doit pas empêcher l’ évolution adaptative de ce demier pour fa ire face à la concurrence des autres pays producteurs, ainsi qu’à la baisse d’activité de l’industrie du sciage de la région (OFBSL, 2005 (a)).
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