Prédiction des propriétés de rétention en eau
Synthèse bibliographique
La prédiction des propriétés de rétention en eau a été l’objet de très nombreuses études au cours des quarante dernières années (e.g. Petersen et al., 1968 ; Renger, 1971 ; Hall et al., 1977 ; Jamagne et al., 1977 ; Gupta et Larson, 1979 ; Rawls et al., 1982 ; De Jong et al., 1983 ; Cosby et al., 1984 ; Pucket et al., 1985 ; Rawls et Brakensiek, 1985 ; Saxton et al., 1986 ; Vereecken et al., 1989) et plus récemment (Bruand et al., 1996 ; Bastet et al., 1999 ; Lilly et al., 1999 ; Minasny et al., 1999 ; Wösten et al., 1999 ; Bigorre et al., 2000 ; Dexter et Bird, 2001 ; Wösten et al., 2001 ; Bruand et al., 2002 et 2003 ; Nemes et al., 2002 et 2003 ; Pachepsky et Rawls, 2003; Rawls et al., 2003 ; Tomasella et al., 2003 ; Bruand et al., 2004 ; Morvan et al., 2004 ; Pachepsky et al., 2006). Plusieurs synthèses bibliographiques ont été publiées à propos des méthodes et outils permettant de prédire les propriétés hydrauliques des sols (propriétés de rétention en eau et conductivité hydraulique) (Bastet et al., 1998 ; Wösten et al., 2001 ; Cornelis et al., 2001 ; Donatelli et al., 2004). Ici, nous nous limiterons à la prédiction des propriétés de rétention en eau et nous adopterons une présentation adaptée à ce qui constitue l’originalité du travail de recherche effectué dans cette thèse. Ainsi, après avoir fait quelques rappels concernant l’expression de la teneur en eau et de l’état de l’eau dans les sols, nous présenterons les différents types de relations qui ont été proposées pour prédire la quantité d’eau retenue par le sol à une valeur de potentiel hydrique en fonction des caractéristiques du sol, puis aborderons la nature des sols qui ont constitué les jeux d’échantillons utilisés pour établir des fonctions de pédotransfert, et enfin nous discuterons des travaux ayant concerné la validation des fonctions de pédotransfert.
RAPPELS CONCERNANT L’ÉTAT DE L’EAU DANS LE SOL
L’expression de la teneur en eau du sol
La teneur en eau du sol peut s’exprimer de différentes façons : la teneur en eau massique (W, g d’eau par g de sol séché à 105°C) et la teneur en eau volumique (θ, cm3 d’eau par cm3 de sol). La teneur en eau massique et la teneur en volumique sont reliées par l’expression suivante : θ = W × ρa / ρw (1) avec ρa, la masse volumique sèche apparente du sol (en g de sol séché à 105°C par cm 3 de sol au maximum de gonflement), et ρw, la masse volumique de l’eau (en g d’eau par cm3 d’eau). La teneur en eau peut aussi s’exprimer à l’aide de l’indice d’eau (e, cm3 d’eau par cm3 de phase solide) donné par l’expression suivante : e = W x ρr / ρw (2) avec ρr, masse volumique de la phase solide à déshydraté à 105°C et généralement proche de 2,65 g.cm-3 pour de nombreux sols (excepté pour les sols riches en matière organique et ceux riches en minéraux à teneur élevée en fer).
Potentiel de l’eau dans le sol
Le potentiel total de l’eau (ht) dans les sols définit l’état énergétique de l’eau dans le sol. Il correspond à l’énergie avec laquelle l’eau est retenue dans le sol (Bruand et Coquet, 2005). Ce potentiel est la somme de plusieurs potentiels, chacun d’eux pouvant s’exprimer par un potentiel particulier. Ainsi, dans un sol non saturé, on peut écrire : Chapitre I : Prédiction des propriétés de rétention en eau. Synthèse bibliographique 9 ht = hg + hm + ho (3) où hg est le potentiel gravitaire dû à la gravité, hm est le potentiel matriciel correspondant aux forces de capillarité exercées par la matrice poreuse solide, ho est le potentiel osmotique qui est lié à la présence de solutés car l’eau du sol est en réalité une solution. Le potentiel peut s’exprimer de plusieurs façons : en énergie par unité de masse (J/kg), en énergie par unité de volume (Pa), ou encore en énergie par unité de poids, c’est-à-dire en charge hydraulique (cm de hauteur d’eau). Dans la suite du texte, on exprimera le plus souvent le potentiel de l’eau en pascal parce qu’il s’agit de l’unité de pression du système international, et le plus fréquemment en hPa pour des raisons de commodité. Dans un sol, on considère fréquemment que les variations de potentiel gravitaire sont faibles devant celles de potentiel matriciel lorsque le teneur en eau varie. Lorsqu’on étudie les propriétés de rétention en eau d’échantillons de sols dont les dimensions sont généralement d’ordre centimétrique à décimétrique, on peut considérer que les variations de potentiel gravitaire au sein de l’échantillon (i.e. entre la base et le sommet) sont faibles, voire négligeables devant les valeurs de potentiel matriciel qui sont celles de l’eau au sein de l’échantillon. Il faut cependant les prendre en compte aux valeurs de potentiel matriciel élevées, c’est-à-dire lorsqu’elles sont proches de 0 hPa. On peut aussi considérer que la concentration en soluté est la même en tous points de l’échantillon lorsqu’on en détermine les propriétés de rétention en eau. De la sorte, on peut considérer que les variations de potentiel de l’eau dans un échantillon de sol se ramènent aux seules variations de potentiel matriciel.
La courbe de rétention en eau
La courbe de rétention en eau relie la teneur en eau (W ou θ ) au potentiel de l’eau qui est exprimé le plus souvent soit en unité de pression (Pascal), soit en hauteur de colonne d’eau (cm). A chaque valeur de potentiel correspond alors une teneur en eau. A chaque valeur de potentiel on peut aussi faire correspondre une taille maximale de pore occupé par l’eau grâce à la loi de Jurin (Rowelle, 1994). Des modèles de courbes dont on ajuste les paramètres (généralement 3 ou 4 paramètres) ont été proposés dans la littérature (Brooks et Corey, 1964 ; Campbell, 1974 ; van Genuchten, 1980 ; De Jong, 1983 ; Saxton et al., 1986 ; Sala et Tessier, 1994 et Dexter et Bird, 2001). Le modèle de van Genuchten (1980) est le plus couramment utilisé de part de sa simplicité (Figure 1.1)
LES GRANDS TYPES DE FONCTIONS DE PÉDOTRANSFERT DÉVELOPPEES
Dès les années 60 (Box et Taylor, 1962 ; Combeau et Quantin, 1963 ; Hill et Sumner, 1967 ; Petersen et al., 1968), les chercheurs ont conduit des travaux afin d’établir des relations entre les propriétés de rétention en eau des sols et leur composition. C’est ainsi que des relations ont été établies entre la composition des sols et les quantités d’eau retenue à des valeurs de potentiel correspondant à la capacité au champ ou au point de flétrissement. Ces relations, qui n’étaient au départ que de simples relations statistiques entre une teneur en eau à une valeur de potentiel et une caractéristique de la composition du sol, se sont complexifiées au cours des années par leur forme mathématique et la nature des caractéristiques prises en compte. A la fin des années 80, Bouma et van Lanen (1987) proposèrent de nommer de telles relations « fonctions de pédotransfert (FPT) » parce qu’elle permettent de lier des caractéristiques du sol aisément accessibles à des propriétés du sol difficilement accessibles. Les FPT ont généralement la forme d’une relation mathématique entre une teneur en eau volumique (θ) ou une teneur en eau massique (W) à une valeur de potentiel donnée et des caractéristiques du sol. De telles caractéristiques sont le plus souvent la composition granulométrique, la teneur en carbone organique et la densité apparente du sol. Les FPT étant le plus souvent établies par régression multilinéaire, elles correspondent à autant de modèles empiriques de la relation pouvant exister entre la composition d’un sol et ses propriétés de rétention en eau. Comme nous le verrons, de nombreux types de FPT ont été développés. A côte de ces relations statistiques qui sont des FPT au sens strict, d’autres types d’outils ont aussi été développés. Il s’agit des classes de fonction de pédotransfert (CFPT). Dans ce cas, des propriétés de rétention en eau sont proposées par classe, après avoir regroupé et classé les sols selon leur composition (Wösten et al., 1999 ; Bruand et al., 2002 Chapitre I : Prédiction des propriétés de rétention en eau. Synthèse bibliographique 12 & 2004). Les CFPT sont souvent présentées comme conduisant à une estimation de moins bonne qualité par rapport à celle obtenue avec des FPT. Il existe par ailleurs des FPT basées sur l’utilisation des réseaux neuronaux (ou réseaux neuromimétiques) plutôt que sur des équations de régression. Un réseau neuronal artificiel (ANN : artificial neural network) consiste en un ensemble de beaucoup d’éléments de calcul simples appelés noeuds ou neurones dont la structure caractérise les relations « entrées – sorties ». Des fonctions de pédotransfert ont ainsi été établies (Schaap, 1996 ; Schaap et Leij, 1998 et 2000). Si l’on écarte les FPT de type « réseau de neurones » qui ne représentent qu’un nombre très limité d’études, les FPT peuvent être regroupées en deux grands ensembles. D’une part, celles qui permettent de prédire, de façon continue en fonction de la composition du sol, la quantité d’eau retenue lorsque le potentiel de l’eau varie. Il s’agit alors des FPT continues ou FPTC. D’autre part, celles qui permettent de prédire par classe de composition du sol la quantité d’eau retenue lorsque le potentiel varie. Il s’agit alors des classes de FPT ou CFPT.
Les fonctions de pédotransfert continues (FPTC)
Dans ce premier ensemble, les FPT se répartissent une nouvelle fois en deux sous ensembles, celui qui rassemble des FPTC qui donnent accès à θ à des valeurs particulières de h, et celui qui rassemble des FPTC qui donnent accès aux paramètres d’un modèle de courbe décrivant la relation θ(h). 1. Des régressions linéaires établies pour les teneurs en eau à différentes valeurs de potentiel Ce premier sous-ensemble concerne des FPTC établies par régression multilinéaire entre les caractéristiques du sol (composition granulométrique, teneur en carbone organique ou matière organique et la densité apparente) et des teneurs en eau à différentes valeurs de potentiel. Les premières études ont cherché à établir des FPTC pour la teneur en eau à la capacité au champ et au point de le flétrissement afin de déduire, par différence, des relations entre les caractéristiques de constitution du sol et la réserve utile de ce sol (RU) définie comme : RU = θ330 – θ15000. (5) Chapitre I : Prédiction des propriétés de rétention en eau. Synthèse bibliographique 13 avec θ330, teneur en eau volumique au potentiel de -330 cm et θ15000, teneur en eau volumique au potentiel de –15000 cm. Des relations ont ainsi été établies très tôt entre θ330, θ15000 d’une part et les caractéristiques de constitution d’autre part comme l’ont proposé Petersen et al. (1968) : θ330 = a + (b x Ar) + (c x Li) + (d x CO) + (e x Da) (6) θ15000 = a’ + (b’ x Ar) + (c’ x Li) + (d’ x CO) + (e’ x Da) (7) avec Ar, teneur en argile en %, Li, teneur en limon en %, CO, teneur en carbone organique en % et Da, densité apparente du sol en g/cm3 . Les coefficients a, b, c, d et e, ainsi que a’, b’, c’, d’ et e’, sont des coefficients déterminés par régression multilinéaire. Des relations furent aussi établies directement entre la RU et les caractéristiques de constitution des sols. C’est le cas de la relation établie par Salter et Williams (1965) : RU = 1,5 – 0,012 x Sag + 0,0123 x Saf + 0,302 x CO (8) avec Sag, teneur en sable grossier, Saf, teneur en sable fin. Par la suite, de nombreux travaux analogues ont été effectués et on conduit la proposition de relation entre la teneur en eau une valeur de potentiel et des caractéristiques de constitution du sol (Tableau 1.1). 2. Des régressions linéaires permettant la prédiction des paramètres d’un modèle de courbe θ (h) Des régressions linéaires ont été établies pour les paramètres de modèles de courbe décrivant de façon continue les variations de la teneur en eau en fonction du potentiel. a. Fonctions de pédotransfert continues (FPTC) établies pour le modèle de Campbell Pour décrire la courbe de rétention en eau, Campbell (1974) a proposé une équation puissance du type : θ = θs(h/ha) -1/b (9) où ha est le potentiel au point d’entrée d’air b, un paramètre empirique (Figure 1.2). Notons que l’équation proposée par Campbell (1974) présente les mêmes inconvénients que celle proposée par Brooks et Corey (1964) et qui s’écrit : Chapitre I : Prédiction des propriétés de rétention en eau. Synthèse bibliographique 14 (θ – θr) / (θs – θr) = (h/ha) λ (10) lorsque h < ha, et : θ(h) = θs (11) lorsque h ≥ ha, avec λ, index de distribution de la taille des pores (grandeur sans dimension). On observe aussi que l’équation de Campbell ne fait pas apparaître le terme θr et qu’il y a une rupture de la pente lorsque h = ha. Concernant la relation proposée par Campbell (1974), des FPTC ont été établies par Cosby et al. (1984) à partir de mesures effectuées sur 1400 échantillons provenant de sols des Etats-Unis. Ces FPTC ont été établies pour les paramètres hs, θs et b, hs étant le potentiel matriciel à saturation et équivalent à ha dans le modèle de Campbell (1974). Cosby et al. (1984) ont montré à cette occasion que le paramètre b était fortement corrélé à la teneur en argile (r²= 0,97), tandis que les paramètres hs et θs sont corrélés de façon moins étroite à la teneur en sable grossier (Sa, r²= 0,81 et 0,77, respectivement).