Prédiction des champs de dureté à partir de modèles cinétiques
Influence des paramètres
La première étape, avant d’identifier les paramètres sur la base de nos profils de micro-dureté, est d’évaluer l’influence des différents paramètres sur l’allure générale des profils de produit d’oxydation normé Qn. Pour cela, nous nous plaçons une fois de plus dans le cas du problème unidimensionnel et adoptons une résolution dans un repère cylindrique où la géométrie considérée est un cyclindre infini de rayon R = 5 mm, soit le rayon associé à la zone à plus faible section de l’éprouvette AE2.La concentration initiale (comprise entre 0 et 1) à τ = 0 dans le volume est notée u0 et la concentration normée sur la surface extérieure est fixée à 1. Avant de réaliser cette étude de sensibilité, il convient de remarquer qu’il existe deux régimes différents d’oxydation pilotés par la valeur de β (figure 4.1). Lorsque β est très supérieur à 1, alors r(u) = 1/β et on observe un profil à « plateau ». L’épaisseur de ce plateau horizontal est de l’ordre de L qui est globalement bien corrélé avec l’épaisseur de l’anneau fragile observé sur les faciès de rupture (figure 4.2). En revanche, lorsque β est très inférieur à 1, alors r(u) = u et le plateau disparaît. Il est intéressant de noter que l’allure du profil de produit d’oxydation associé au régime d’ordre 0 ressemble à ceux qui ont été observés pour des températures plus modérées (figure 2.35), i.e comprises entre 60℃ et 90℃. Ces deux régimes ayant été définis, nous proposons maintenant de réaliser une étude de sensibilité très sommaire permettant d’estimer la zone d’influence des différents paramètres. Pour alléger cette étude, elle sera réalisée uniquement dans le cas des régimes d’ordre 0, i.e. pour les valeurs de β très supérieures à 1. Ce choix est motivé par le domaine de validité du modèle correspondant à des niveaux de températures compris entre 50℃ et 90℃ pour lesquels nous avons constaté des profils de micro-dureté correspondant à un régime d’ordre 0. La figure 4.3 présente les effets des 4 paramètres principaux : 1. la concentration normée initiale en oxygène dans l’éprouvette, notée u0 (figure 4.3a) ; 2. le temps adimensionnel τ (figure 4.3b) ; 3. la longueur caractéristique d’oxydation L (figure 4.3c) ; 4. le paramètre β (figure 4.3d) La concentration initiale affecte principalement le niveau atteint à coeur de l’éprouvette, sans modifier la forme du profil proche de la surface ni la zone de transition peau-cœur. L’augmentation de la dureté à cœur observée sur les éprouvettes AE2 dans le chapitre 2 (figure 2.35) s’explique ainsi par la présence initiale d’oxygène dans le volume de l’éprouvette, ce qui nous donne une indication précieuse sur les conditions initiales à imposer lors de l’identification. Cet oxygène initial pourrait avoir été introduit durant les différentes étapes du process de mise en œuvre, en particulier l’opération de mélangeage, ou par diffusion lors du stockage à basse température. Dans le cas où l’on observe la présence d’oxygène initial, le paramètre τ permet d’ajuster le degré d’avancement des réactions à cœur : plus sa valeur est importante, plus le niveau du produit d’oxydation à cœur est faible. Notons également que la zone de transition est très peu affectée par ce paramètre. Le paramètre L permet de modifier la longueur du plateau et de modifier la pente de la zone de transition sans affecter le niveau atteint à cœur. Enfin, le paramètre β décale également le plateau sans modifier sa pente et a également un effet important à cœur. De ces résultats, il ressort que les effets des différents paramètres sont relativement indépendants les uns des autres, ce qui est intéressant vis-à-vis de l’identification des paramètres. Ainsi : – L gère la pente de la zone de transition (le paramètre τ affecte également la zone de transition, mais son influence est secondaire par rapport à L) ; – β gère la position de la zone de transition ; – τ gère le niveau à cœur.
Identification du modèle
Modélisation du problème
Nous proposons maintenant d’exploiter les profils de micro-dureté pour identifier le modèle cinétique. Pour pouvoir corréler les grandeurs issues du modèle cinétique aux grandeurs mécaniques, nous allons simplifier la géométrie du problème. Ainsi,l’éprouvette AE2 est modélisée par un cylindre infini dont le rayon coïncide avec le rayon de l’éprouvette mesuré dans la zone à plus faible section (figure 4.4). Ce choix est justifié par le fait que les mesures de micro-dureté ont été réalisées dans la zone à plus faible section des éprouvettes AE2 et que nous ne connaissons pas l’allure des profils dans les autres régions de l’éprouvette. De plus, cette simplification rend possible l’utilisation des outils de Matlab proposés dans la toolbox Partial Derivative Equations limités aux problèmes unidimensionnels et nous évite ainsi une implantation numérique fastidieuse. Ces outils s’appuyant sur une résolution du problème par la méthode des éléments finis, une discrétisation spatiale et temporelle est nécessaire. Différents calculs préliminaires ont montré qu’une discrétisation de 50 éléments et de 40 pas de temps offrait le meilleur compromis entre la précision des résultats et le temps de calcul.
Stratégie d’identification
Sur la base de la modélisation présentée dans le paragraphe précédent, il s’agit maintenant de proposer une stratégie permettant l’identification des paramètres du modèle cinétique à partir des profils de micro-dureté. Ne disposant pas de données nous permettant de relier le produit d’oxydation à la dureté, comme proposé par Olivier et al. (2008) par exemple pour des résines époxy, nous allons devoir proposer une relation qu’il faudra vérifier par la suite. De manière à ne pas complexifier inutilement le problème, nous supposerons dans un premier temps que la dureté dépend linéairement du produit d’oxydation. La démarche proposée est la suivante : 1. Identification des paramètres L, C1 et β à partir des grandeurs normées en supposant Qn = norm(EIT ) où la fonction norm est à définir ; 2. Identification de la constante liant la micro-dureté au produit d’oxydation sur les grandeurs non normées. Durant cette identification (et pour tous les calculs qui vont suivre), la concentration initiale normée en oxygène u0 est fixée à 1, soit le même niveau que la concentration en peau. Il est important de noter que la variable L est considérée comme un paramètre du modèle. En d’autres termes, cela revient à considérer le coefficient de diffusion à l’oxygène D comme une inconnue du problème. En effet, malgré toutes les investigations que nous avons pu mener pour mesurer ce paramètre, aucune piste sérieuse n’a permis d’aboutir à la connaissance de ce paramètre3 , ce qui est bien évidemment très handicapant. Une alternative aurait été de nous appuyer sur des résultats issus de la littérature, comme par exemple les coefficients fournis par Colin et al. (2007), mais la majorité de ces résultats sont obtenus sur des matériaux dont les formulations sont plus simples que celle de notre matériau. La représentativité des résultats proposés par rapport à notre matériau n’est par conséquent pas garantie. C’est pourquoi, nous avons préféré considérer D (via L) comme une inconnue du problème. On s’appuyera toutefois sur les valeurs de la littérature pour avoir un regard critique sur les valeurs obtenues. La fonction norm introduite précédemment reste encore à définir. Elle doit vérifier norm(x) ∈ [0, 1] ∀x. De nombreuses fonctions peuvent ainsi être proposées. Nous proposons : norm(EIT ) = EIT E0 IT − 1 max EIT E0 IT ! − 1 (4.7) où E 0 IT représente le module élastique instrumenté du matériau sain et la quantité EIT/E0 IT représente le module élastique normé utilisé dans le chapitre 2. D’autres fonctions plus complexes auraient bien entendu pu être développées, mais nous avons préféré retenir la fonction que nous estimons la plus simple. Nous avons par ailleurs choisi de travailler avec le module élastique instrumenté EIT à la place de la dureté instrumentée HIT parce que les plages de variations sont plus importantes et les tendances sont exactement les mêmes. Par conséquent les valeurs normées sont légèrement moins bruitées.
Identification du modèle
L’identification des paramètres s’obtient par une procédure d’optimisation visant à minimiser les écarts entre le profil de produit d’oxydation normé et les mesures de micro-dureté normées (au sens de la fonction norm définit dans le paragraphe précédent). Cette identification repose sur l’utilisation de la fonction pdepe de Matlab évoquée précédemment et sur la fonction lsqnonlin dont le rôle est de minimiser la fonction coût (définie dans notre cas au sens des moindres carrés) à partir de l’algorithme de Levenberg-Marquardt. La figure 4.5 présente une comparaison entre les résultats expérimentaux et les résultats numériques obtenus après minimisation. On rappelle que les résultats expérimentaux proviennent de l’analyse par microdureté des éprouvettes. Le passage de la dureté vers le produit d’oxydation normé est réalisé en supposant Qn = norm(EIT ). En toute logique, la corrélation est excellente, le niveau de produit d’oxydation normé à cœur est correctement pris en compte, tout comme la position de la zone de transition. Par ailleurs, diverses optimisations ont été menées en faisant varier les paramètres initiaux. Dans tous les cas, l’algorithme convergeait vers la même solution.