Procédure
Les entretiens se sont déroulés en février 2014, au sein de l’entreprise Absiskey. Une dizaine de jours avant le rendez-vous nous avons diffusé un document expliquant les conditions de l’entretien et rappelant les objectifs du projet de recherche et du recueil de données à chaque répondant. Le document est disponible en Annexe 1. Ce document est également le support du contrat de communication garantissant la non-divulgation des données brutes et l’anonymisation des données nécessaires pour communiquer les résultats de l’étude. Nous définissons ainsi les enjeux et objectifs du dialogue (Ghiglione, 1988).
Le projet de recherche est connu de l’ensemble de l’équipe de consultants, il leur a été présenté à l’occasion d’un séminaire de façon générale, puis plus détaillée au cours d’une réunion de production6 en janvier 2014 pour rappeler et préciser les objectifs des travaux et contextualiser le recueil de données par rapport à l’ensemble du projet. Suite à l’accord de principe sur leur participation aux entretiens, nous avons planifié des rendez-vous d’une heure avec chacun des consultants d’Absiskey. Lors de ces entretiens, les échanges sont enregistrés pour permettre une retranscription fidèle des propos et leur analyse thématique. Au début de l’entretien, un rappel des éléments principaux de ce document a été effectué pour fixer le cadre de l’échange (objectifs, durée, non divulgation du contenu brut, etc.).
Matériel
Nous avons rédigé un guide d’entretien constitué de cinq questions, interrogeant la description, les critères de réussite/ échec et les conditions favorisant la réussite/ l’échec des apprentissages individuels et organisationnels dans une perspective d’innovation. Le guide est disponible en Annexe 2. Les échanges seront structurés en prenant appui sur des traces d’apprentissages maitrisées et connues des consultants interrogés. En effet, leur activité dépend de la manière dont les connaissances sont structurées et réévaluées dans l’organisation cliente, constatée par les échanges oraux et écrits et la collecte de documents divers. Ils ont également la possibilité de constater les effets des méthodes et dispositifs choisis sur la performance en innovation.
Population
Nous avons interviewé les cinq consultants en poste à cette période chez Absiskey pour recueillir nos données. Les consultants disposent de profils très divers (âge, ancienneté, formation, etc.). L’échantillon ne peut être considéré comme représentatif de la population des consultants mais correspond à l’échantillonnage d’un groupe focalisé7. Par ces entretiens, l’idée sous-jacente est de solliciter la diversité des expériences de conseil. Certains s’appuieront également sur leurs expériences professionnelles antérieures pour étayer leurs réponses. A ce titre, ils détiennent des modèles empiriques, pratiques sur les effets des dispositifs de gestion des connaissances, sur l’apprentissage organisationnel tel que nous l’avons défini et peuvent être considérés comme des spécialistes8 . L’objectif est de recueillir leurs connaissances dans leur diversité sans chercher à obtenir un consensus sur les pratiques qui permettent d’apprendre et de valoriser ces apprentissages dans une entreprise. Nous résumons les caractéristiques de la population interrogée dans le tableau 1 cidessous :
Méthode d’analyse
Analyse des thèmes et du contenu du discours
Les entretiens ont été intégralement retranscrits afin de réaliser une analyse du discours des consultants. L’analyse a été réalisée en plusieurs temps. Dans un premier temps, les retranscriptions ont été lues à plusieurs reprises afin de s’imprégner du discours des consultants et pour aller au-delà de la compréhension spontanée. Pour mettre en évidence les représentations et modèles explicatifs des répondants, nous avons utilisé les méthodes propres à l’analyse de contenu pour analyser les entretiens (Bardin, 1996). Dans un deuxième temps et dans chaque entretien, nous avons identifié les thèmes présents liés à l’apprentissage dans les organisations. Enfin, nous avons croisé les contenus de chaque discours afin de rassembler et synthétiser les propos des consultants pour chaque thème. Le contenu est détaillé à travers une description de type QQOQCP (Qui, Quoi, Où, Quand, Comment, Pourquoi). Cette méthode descriptive nous a permis de mettre en évidence les différents modèles explicatifs décrits par les consultants.
Résultats
Les discours présentent des récits d’expérience et développent des modèles explicatifs variés basés sur des observations d’entreprises clientes d’Absiskey. A l’issue des lectures successives des entretiens, il apparait que tous les consultants décrivent des thèmes généraux, qu’ils détaillent. Ces thèmes décrivent des pratiques qui sont parfois qualifiées avec des termes différents mais recoupent des fonctions similaires.
Nous allons présenter ici chacun des thèmes principaux présents dans le discours des consultants :
L’acquisition des connaissances ;
La transmission des connaissances ;
L’évaluation de l’utilité des connaissances ;
L’exploitation des connaissances.
Nous allons détailler le contenu de chaque thème pour mettre en évidence leurs caractéristiques et les différents modèles explicatifs proposés.
TRANSMISSION DES CONNAISSANCES
Comme l’étape d’acquisition, la transmission d’informations est caractérisée par des actions individuelles. Contrairement à la première étape décrite la finalité ne concerne pas directement l’individu lui-même mais bien les intérêts de l’entreprise, ou a minima d’un collectif de travail. La transmission est opportuniste et ne suit pas une rythmicité déterminée.
Pour que l’entreprise produise mieux : Dans cette dimension les informations transmises seront des traces particulières de l’activité ou des documents à visée pédagogique (compterendu de formation, argumentaire sur un sujet lié à l’activité, décryptage méthodique d’une découverte, support de formation, etc.). Le but sera ainsi d’expliciter vers les autres membres de l’entreprise des éléments pour mieux comprendre l’entreprise et l’activité, de responsabiliser (en faisant percevoir l’importance de l’utilisation de la communication et des outils), d’identifier des enjeux à court terme, d’être en mesure de présenter des preuves (notamment d’antériorité, sur des travaux ou sur des activités de recherches réalisés). Dans cette optique, les informations seront plutôt véhiculées en faisant circuler des documents selon les procédures habituelles dans l’organisation. Leur efficacité est attribué aux caractéristiques des contenus : pointus, précis et succincts. Ils visent l’efficience dans la communication.
Pour que l’entreprise se développe, évolue : Dans cette dynamique, les informations transmises viseront à informer sur sa propre activité, sur sa vie au travail et ce qu’on voudrait, ce qu’on imagine pour l’activité, pour exprimer ses interrogations et ses idées. La démarche vise alors à identifier des enjeux et thèmes qui pourraient se révéler porteurs, des questions qui pourraient s’avérer problématiques et des pistes d’évolution pour l’entreprise, à partir de constats et d’expériences propres. Ceci permet de mieux comprendre l’ensemble de l’activité et de l’écosystème dans lequel l’entreprise évolue, de susciter une certaine émulation et de se sentir impliqué dans le devenir de l’entreprise. Les modes de communication décrits sont plutôt informels (échanges d’email, discussions autour de la machine à café, etc.), en utilisant des moyens simples et directs de communication et plutôt selon la dynamique de groupe et les relations entre les personnes que selon des règles établies. Certains évoquent des situations où ce processus est davantage structuré à travers des revues de projet, ou des séances d’analyse des pratiques par exemple. La transmission est opportuniste et ne suit pas une rythmicité déterminée.
Apports
A partir de la présentation des résultats, nous mettons en évidence les points suivants :
La présence de quatre thèmes qui après analyse de contenu, peuvent être caractérisés comme quatre phases ou pratiques d’un processus de gestion des connaissances ;
L’existence de niveaux d’action individuels (pratiques d’Acquisition et de Transmission) et collectifs ou organisationnels (pour les pratiques d’Evaluation et d’Exploitation des connaissances) ;
Nous résumons ces points à travers la figure 8 ci-dessous.
Pour aller plus loin dans l’analyse, nous souhaitons mettre en évidence la richesse des propositions réalisées par les cinq consultants. En effet, elles évoquent plusieurs modèles explicatifs, tantôt présentés comme opposés et contradictoires tantôt comme complémentaires pour innover. Aux niveaux individuel et organisationnel, nous retrouvons :
o la nécessité d’agir de mener à bien des réalisations concrètes, de produire et d’améliorer sa façon d’atteindre ses objectifs ;
o la nécessité de se développer, de se construire, d’enrichir et de diversifier ses activités et de renouveler ses buts.
Parmi les propositions réalisées, les principes d’organisation du travail sont mis en avant comme déterminants pour les apprentissages pour innover dans l’entreprise, à travers le management et l’autonomie. Nous allons voir comment ces propositions peuvent être mises en lien avec l’apprentissage organisationnel pour innover tel que nous l’avons défini. Nous allons reprendre ces points pour apprécier leur pertinence en lien avec nos objectifs.
Intégrer les modèles motivationnels de l’apprentissage
Les consultants qui évoquent la question du management et de l’ambiance de travail rendent compte de leur importance pour apprendre dans l’entreprise. Pour apprendre dans l’entreprise, l’organisation du travail doit permettre d’être reconnu comme un bon professionnel, d’être considéré en tant que personne par sa hiérarchie, d’avoir des objectifs définis, un cadre clair et être libre de son activité à l’intérieur ce cadre. Ils notent également la nécessité d’avoir confiance en l’équipe, d’avoir la possibilité de partager son expérience et de transmettre ses connaissances (issues de l’expérience passée, de l’activité actuelle et de ses centres d’intérêts).
Les consultants argumentent que la décision de mettre en œuvre des connaissances nouvelles dans l’activité ne peut être réalisé que par quelqu’un qui se sent à la hauteur de la tâche. Les consultants priorisent les notions de responsabilité et d’autonomie dans l’organisation, sans faire référence à une position hiérarchique. Au contraire, leurs propos défendent la liberté d’initiative et de prise de décision de chacun, évoquant le principe de subsidiarité. Ceci évoque la notion de pouvoir d’agir (Rabardel, 2005 ; Clot, 2014).