Pratique rythmique et dynamique de l’interaction langagière chez l’enfant sourd

Pratique rythmique et dynamique de l’interaction langagière chez l’enfant sourd

Les conséquences de la surdité sur les compétences langagières des enfants malentendants 

 Les déficits linguistiques

 L’audition a un rôle prépondérant dans le développement du langage. Une période sensible pour l’implantation cochléaire a été déterminée et se situe entre l’âge de six mois et de trois ans et demi (Kral & Sharma, 2012). La pose d’implant durant cette fenêtre temporelle permet à l’enfant de recevoir des stimulations auditives afin de réorganiser les neurones des aires auditives par les mécanismes de plasticité cérébrale. L’implantation précoce permet ainsi une maturation corticale nécessaire au développement de la perception de la parole puis à l’acquisition du langage oral. L’implant cochléaire permet aux enfants d’acquérir une meilleure précision phonémique et ainsi de devenir plus intelligibles au cours du temps (Blamey et al., 2001). En 2010, Habib et al. ont mené une étude analysant l’influence de l’âge d’implantation sur l’intelligibilité des enfants sourds. Des enfants sourds implantés à des âges différents ont été soumis à une expérience consistant en une répétition de phrases (lexique, structures syllabiques et structures syntaxiques adaptés). La production de ces phrases a été enregistrée, écoutée et retranscrite à l’écrit par des normo-entendants, qui ont ensuite attribué une note sur 5 pour l’intelligibilité de la production. Une corrélation entre l’âge d’implantation et l’intelligibilité a été montrée : les enfants implantés les plus précocement sont ceux qui sont le plus intelligible (Habib et al., 2010). Néanmoins, des déficits linguistiques multiples persistent chez les enfants implantés, même précocement (van Wieringen & Wouters, 2015). Dès les premiers mois de vie, l’enfant communique avec son entourage par des jasis (vocalisations sans consonnes, exemple : « aaaaaaaeeeeuuuh ») puis des babillages (apparition des consonnes). L’étude du babillage prélexical d’enfants sourds implantés précocement par Schauwers et al. en 2008 montre que leur babillage est presque identique à celui des enfants normo-entendants. Ainsi, l’inventaire de consonnes et voyelles analysées isolément, mais également de structures syllabiques consonne-voyelle, sont analogues chez les enfants sourds et chez les enfants normo-entendants. Cependant, la pluralité du répertoire des structures syllabiques complexes diffère : les enfants sourds semblent utiliser des structures combinatoires simplifiées en comparaison à leurs pairs (Schauwers et al. en 2008). De plus, vers l’âge de trois ans et demi et après implantation précoce, le répertoire phonétique des enfants sourds implantés semble similaire à celui des enfants normo-entendants du même âge mais moins varié. Après analyse d’un échantillon de parole au cours d’un jeu partagé entre enfants sourds implantés et leurs parents respectifs, il apparaît que le répertoire phonétique est comparable pour les premières voyelles ainsi que pour les premières consonnes mais qu’il est plus diversifié chez les enfants normoentendants (Salas-Provance et al., 2014). 14 Même après une implantation précoce à l’âge de deux ans, les enfants sourds montrent un retard d’acquisition des compétences phonologiques et morphologiques (Caselli et al., 2012). Pisoni et al (2011) ont montré par ailleurs que, dès l’enfance, les compétences de mémoire verbale immédiate et la vitesse de répétition verbale des enfants sont des prédicteurs du développement langagier. Or, l’évaluation de ces compétences chez les enfants sourds montre que leur acquisition est retardée en comparaison avec celle d’enfants normo-entendants du même âge (Pisoni et al., 2011). Ce retard se traduit par des difficultés de compréhension lexicale plus importantes que leurs pairs normo-entendants du même âge lorsque les tâches demandées nécessitent une discrimination phonologique mais aussi par des difficultés morphosyntaxiques en réception et en production (Caselli et al., 2012). Les compétences narratives des enfants sourds sont également affectées. En 2013, Boons et al. publient une des premières études visant à évaluer les compétences narratives d’enfants sourds implantés cochléaire d’âge scolaire. Le protocole expérimental reposait sur l’utilisation du matériel Bus story test (Renfrew, 1997) comme support à la communication. Le Bus story test est un test permettant l’évaluation de la parole et du langage des enfants de 3 à 8 ans à l’aide d’un livre d’images consacré à l’histoire d’un bus. L’expérience incluait la présence d’un orthophoniste qui racontait à l’oral l’histoire du bus à l’enfant. Puis l’enfant devait rappeler oralement l’histoire préalablement entendue à l’aide des cartes fournies par le matériel « Bus Story Test ». Les résultats des enfants sourds implantés montrent qu’ils produisent des énoncés narratifs en nombre suffisants et cohérents mais de qualité inférieure à ceux des normo-entendants au niveau du contenu et de l’efficacité du message transmis (Boons et al., 2013). On peut supposer que l’ensemble des difficultés linguistiques des enfants sourds entraîne des effets délétères sur la construction de la conversation avec un interlocuteur. L’échange pourrait alors se trouver ralenti par le niveau linguistique hétérogène des deux locuteurs. 

 Les déficits conversationnels 

Le manque de stimulations auditives influe directement sur le développement langagier des enfants sourds, même lorsqu’ils sont implantés précocement. Lors d’une interaction conversationnelle, une harmonisation des paramètres acoustiques tels que la fréquence fondamentale, l’intensité, la durée du tour, le débit syllabique s’opère entre les interlocuteurs. La difficulté engendrée par la maîtrise de ces paramètres chez les enfants sourds pourrait avoir un impact sur leurs compétences conversationnelles. L’étude de trois paramètres acoustiques régissant la conversation : la fréquence fondamentale, l’intensité et la durée par Grandon et al. en 2019 révèle que la durée semble être le paramètre le moins atteint parmi les trois chez les enfants implantés cochléaires. L’expérience de Grandon et al. avait pour objectif de comprendre comment les enfants implantés traitent les informations de fréquence 15 fondamentale, d’intensité et de durée lorsqu’elles sont combinées, par l’étude des critères d’accentuation du français dans une tâche de répétition et une tâche de dénomination de mots. Il en résulte que bien que les enfants implantés marquent les deux types d’accents (primaire et secondaire) comme les enfants normo-entendants, les enfants sourds implantés utilisent les indices acoustiques de fréquence fondamentale et d’intensité de manière moins différenciée pour marquer les accents secondaires des mots en français comparé aux enfants normo-entendants. L’utilisation de la durée pour marquer l’accent primaire est quant à elle identique chez les enfants implantés et les enfants normo-entendants. La perception et la production de la fréquence fondamentale et de l’intensité, deux paramètres participant à la transmission du message du point de vue prosodique, semblent ainsi affectées chez les enfants implantés. Concernant la prosodie, il ressort que les difficultés de perception des variations de la fréquence fondamentale rendent difficile la perception des demandes (phrases interrogatives) de l’interlocuteur. En effet, l’identification des variations de fréquences étant complexe pour les personnes sourdes, elles peuvent difficilement déterminer si l’intonation de la phrase est ascendante ou non. Par conséquent, la discrimination des phrases interrogatives, en regard des phrases déclaratives, est donc plus compliquée pour les personnes sourdes que pour les personnes entendantes (Holt et al., 2017). En 2012, Nakata et al avaient déjà mené une étude sur l’effet de l’implantation cochléaire sur les habiletés prosodiques des enfants sourds japonais. Dans un premier temps, des enfants malentendants, âgés de 5 à 13 ans, ont été amenés à reconnaître une émotion (joie, tristesse, colère) traduite uniquement par les caractéristiques prosodiques (débit syllabique et modulation de la fréquence fondamentale), l’énoncé perçu étant neutre au niveau syntaxique. Puis, les enfants ont répété des énoncés stéréotypés traduisant la déception et la surprise dans leur culture ainsi que des cris d’animaux. Les performances des enfants malentendants en perception ne sont pas équivalentes selon l’émotion à percevoir : s’ils parviennent à discriminer la joie et la tristesse (qui ont un contour prosodique ascendant (joie) et un contour prosodique descendantascendant (tristesse), ainsi qu’un débit de parole différent), ils confondent la colère avec la joie (débits similaires). De plus, les performances en production des enfants malentendants, âgés de 5 à 13 ans, sont comparables à celles d’enfants normo-entendants, âgés de 5 à 6 ans. Les enfants implantés auraient donc des difficultés à discriminer et reproduire les contours prosodiques afin de percevoir et exprimer des émotions (Nakata & al., 2012). Des difficultés apparaissent également dans les stratégies discursives liées à des variations prosodiques chez les malentendants. En 2017, Holt et al. ont évalué les différentes stratégies de discours et les variations prosodiques qui leur sont liées chez des adolescents implantés cochléaires lors d’une tâche de communication verbale utilisant une MapTask. La difficulté était induite par les cartes des deux interlocuteurs qui étaient différentes afin de motiver l’échange et de favoriser les bris de communication et les réparations. Les actes de discours étudiés étaient ciblés et de quatre types : indications, demandes, confirmation, commentaire. 16 Les résultats montrent que les adolescents sourds émettent moins d’actes de discours que leurs pairs et en utilisent préférentiellement certains. Par exemple, ils produisent peu de requêtes en clarification : ils demandent peu de confirmations sur des éléments déjà présentés et donnent préférentiellement des informations supplémentaires sur des nouveaux éléments. Par conséquent, les deux locuteurs n’utilisant pas de manière équivalente les différents actes de discours et les différents paramètres afférents à la communication, l’interaction conversationnelle est asymétrique : lors de ruptures de la communication, les enfants sourds sont moins interactifs que les enfants entendants avec leur partenaire. La présence de l’ensemble de ces difficultés laisse penser qu’il pourrait exister une asymétrie de convergence prosodique lors d’une interaction avec les enfants sourds. Par ailleurs, une étude portant sur la convergence des enfants implantés cochléaires sur le débit syllabique (nombre de syllabes prononcées par seconde) en situation d’interaction verbale avec un adulte montre que ces enfants sont moins précis dans leur adaptation au débit de l’adulte que les enfants normoentendants du même âge (Freeman & Pisoni, 2017). Freeman & Pisoni ont réalisé cette expérience afin d’examiner le débit syllabique et l’adaptation au débit syllabique qui sont des conditions préalables à la convergence syllabique. Ainsi, des enfants sourds implantés cochléaires et un groupe d’enfants contrôle normo-entendants ont participé à un test d’intelligibilité avec une orthophoniste qui consistait en la répétition de phrases prononcées avec un débit syllabique naturel et varié. Ces phrases étaient ensuite transcrites par un jury d’écoute pour évaluer leur intelligibilité. Les résultats montrent une corrélation forte entre le débit syllabique et l’intelligibilité : les enfants les plus lents étant les moins intelligibles et les enfants les plus rapides étant les mieux compris. En correspondance avec leur intelligibilité, les enfants sourds ont présenté un débit syllabique plus lent mais aussi une moins bonne adaptation au débit syllabique de l’adulte que les enfants normo-entendants du même âge. En d’autres termes, les enfants implantés cochléaires montrent des difficultés à converger sur le débit syllabique d’un interlocuteur comparé aux enfants normo-entendants (Freeman & Pisoni, 2017). L’analyse des aptitudes verbales, non verbales et paralinguistiques montre que les enfants sourds sont capables d’utiliser un répertoire varié de stratégies pragmatiques mais que l’utilisation de ces habiletés est moins efficace que celle des normo-entendants (Most et al., 2010). Ainsi, les difficultés pragmatiques pourraient être expliquées par des difficultés auditives mais aussi par une moins bonne flexibilité langagière, par des difficultés relevant de la théorie de l’esprit, ou encore une exposition diminuée aux stratégies pragmatiques (Most et al., 2010).

Table des matières

Résumé
Remerciements
Abréviations
1-Partie théorique
1.1-Les compétences conversationnelles des enfants normo-entendants
1.1.1-Les capacités de convergence
1.1.2-Les capacités pragmatiques
1.2-Les conséquences de la surdité sur les compétences langagières des enfants malentendants
1.2.1-Les déficits linguistiques
1.2.2-Les déficits conversationnels
1.3-La musique, un outil pertinent dans le cadre des troubles du langage : l’importance du rythme
1.3.1-Effets de la pratique musicale sur les compétences langagières
1.3.2-Effets de la pratique musicale sur les déficits linguistiques
1.3.3-Hypothèse théorique des effets du rythme sur la perception et la production du langage
1.4-Problématique et hypothèses
2-Partie expérimentale
2.1-Matériel et méthode
2.1.1-Populations
1-Population contrôle
2-Population expérimentale
2.1.2-Stimuli
1-La MapTask
2-Stimulations rythmique (contrôle) et tonale (expérimentale)
2.1.3-Procédure
1-Expérience avec les enfants normo-entendants
2-Expérience avec les enfants malentendants
2.2-Méthodologie de transcription des échanges
2.2.1-Différents niveaux d’analyse
Traitement linguistique
1-Transcription et annotations des dialogues
2-Alignement phonétique et syllabique
Traitement acoustique
1-Réduction du bruit
2-Séparation des sources sons
3-Rectification du décalage temporel entre les fichiers sons traités et les fichiers TextGrids
2.2.2-Détail des annotations
1-Tiers IPU_a et IPU_e
2-Tiers IPU_o
3-Tiers IPU_off
4-Tiers IPU_m.
2.2.3-Problématiques rencontrées et améliorations possibles
2.3-Analyses statistiques
3-Résultats
3.1-Les enfants malentendants réussissent moins bien la MapTask que les enfants normo-entendants
3.1.1-Réussite du nombre de mini-jeux
3.1.2-Mots phonétiquement corrects
3.2-Les enfants malentendants présentent des valeurs différentes des enfants normo-entendants sur
certains paramètres acoustiques ; il n’y pas d’effet de la stimulation rythmique sur ces paramètres
3.2.1-La surdité affecte la F0 des enfants malentendants mais aussi celle de l’adulte
3.2.2-La surdité n’affecte pas le débit syllabique des enfants malentendants ni celui de l’adulte
3.3-Les enfants malentendants convergent comme les enfants normo-entendants sur les paramètres
acoustiques de la parole de l’adulte ; il n’y a pas d’effet de la stimulation rythmique sur la convergence
3.3.1-La convergence prosodique
3.3.2-La convergence syllabique
3.4-Synthèse des résultats
4-Discussion
4.1-Les paramètres acoustiques des enfants normo-entendants et malentendants en situation de
conversation
Fréquence fondamentale moyenne
Débit syllabique
4.2-Les capacités de convergence des enfants en situation de conversation
Convergence sur la fréquence fondamentale moyenne
Convergence sur le débit syllabique
Alignement syntaxique
4.3-Les effets de la stimulation rythmique sur les paramètres acoustiques et les capacités de convergence des enfants malentendants en situation de conversation
Effets de la stimulation rythmique sur la fréquence fondamentale moyenne
Effets de la stimulation rythmique sur le débit syllabique
Effets de la stimulation rythmique sur la convergence sur la fréquence fondamentale moyenne
Effets de la stimulation rythmique sur la convergence sur le débit syllabique
4.4-Analyses qualitatives
4.5-Les améliorations possibles de la tâche expérimentale.
Matériel expérimental créé
Analyses pragmatiques
5-Conclusion
6-Bibliographie
7-Annexes
Annexe 1 : Tableau des données démographiques
Annexe 2 : Illustrations des MapTask
Annexe 3 : Détails des éléments constitutifs de la MapTask
Introduction des thèmes
Exemples d’échanges enfant-adulte
Système de récompense
Fréquences des items sélectionnés
Mini jeux
Annexe 4 : Description des stimulations rythmique et tonale
Annexe 5 : Tableau de contrebalancement des stimulations et des MapTask chez les enfants malentendants
Annexe 6 : Description de la procédure de traitement des dialogues avec SPPAS
Annexe 7 : Tableaux récapitulatifs des connaissances des items par enfant
Annexe 8 : Illustration de la nouvelle MapTask château

projet fin d'etude

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