PRATIQUE DE L’ANESTHESIE LOCOREGIONALE
PERIPHERIQUE
Pharmacologie comparée des anesthésiques locaux
Caractéristiques des anesthésiques locaux
Plusieurs anesthésiques locaux appartiennent à la famille desamino-amines . Cinq d’entre eux sont les plus couramment utilisés en pratique quotidienne : la LIDOCAÏNE, la BUPIVACAÏNE, la ROPIVACAÏNE, la LEVOBUPIVACAÏNE et la MEPIVACAÏNE. A côté de la demi-vie, le site d’injection, le volume injecté, la concentration utilisée participent également au déterminisme des délais d’installation et des durées des blocs [34, 48]. Le tableau I présente les principales caractéristiques de ces médicaments. Tableau I :Principaux AL amides utilisés en pratique quotidienne. [16, 34, 59]. Annéea DCI Spécialité Présentation (mg/ml) Puissance Délai d’action (min.) Durée d’action Toxicité potentielle 1943 Lidocaïne XYLOCAINE* 10/20 Intermédiaire Courte (5-10 mn) Intermédiaire (90 mn) Faible 1956 Mépivacaïne CARBOCAINE* 10/20 Intermédiaire Courte (8-12 mn) Intermédiaire (120 mn) Intermédiaire 1957 Bupivacaïne MARCAINE* 2,5/5 Forte Longue (15-30 mn) Longue (300Ŕ900 mn) Forte 1972 Lévobupivacaïne CHIROCAINE* 0,625/1,25/2,5/5 Forte Longue (15-30 mn) Longue (300-900 mn) Intermédiaire 1989 Ropivacaïne NORAPAINE* 2/5/7,5/10 Forte Longue (10-20 mn) Longue (360-720 mn) Intermédiaire Légende : a = année de découverte de la molécule, * = nom de spécialité Commentaires : les nouvelles molécules telles que la lévobupivacaïne et la ropivacaïne sont recommandées pour leur durée d’action longue et leur moindre toxicité. Les doses maximales utilisables pour la première injection lors d’un bloc périphérique chez un adulte jeune de classe ASA 1 sont récapitulées dans le tableau II[25]. Tableau II :Doses maximales des AL utilisables chez l’adulte[25]. Agent Membre supérieur Membre inférieur Lidocaïneadrénalinée 500 mg (7 mg / kg) 700 mg (10 mg / kg) Mépivacaïne 400 mg (5 Ŕ6 mg / kg) 400 mg (5 Ŕ6 mg / kg) Bupivacaïne 150 mg 150 mg LévoBupivacaïne 150 mg 150 mg Ropivacaïne 225 mg (3mg / kg) 300 mg (4 mg / kg) Commentaires :ces doses maximales doivent être respectées pour éviter la toxicité des AL.
Toxicité des anesthésiques locaux
Les effets adverses des AL sont principalement systémiques, neurotoxiques et cardiotoxiques[25]. Des réactions de type anaphylactique ou anaphylactoïde ont plus rarement été rapportées[34]. La toxicité des AL comprend ainsi : – la neurotoxicité locale : elle résulte du contact des AL sur les racines nerveuses. Les signes de lésions transitoires sont surtout des signes d’irritation, représentés par les paresthésies [32, 48]. – la myotoxicité : qui résulte de la diffusion d’AL dans les masses musculaires voisines. L’apparition d’une faiblesse musculaire, d’une douleur à la pression des masses musculaires ou à l’étirement musculaire évoque ce diagnostic – la toxicité systémique [16, 25, 32] : elle s’exerce d’abord sur le système nerveux central puis sur le système cardiovasculaire (sauf pour la bupivacaïne et l’étidocaïne). La toxicité centrale se manifeste au début par des prodromes cliniques subjectifs à type d’engourdissements ou de paresthésies péribuccales, d’étourdissements ou de vertiges, de sensation de malaise, de bourdonnement d’oreille, de trouble de l’accommodation, de diplopie, d’anxiété, de désorientation spatiale, d’agitation ou de somnolence.Puis cette toxicité centrale se manifeste par des signes objectifs à type de frissons, de trémulations du visage ou de la partie distale des membres, d’un nystagmus, d’un empâtement de la parole, de convulsion, de coma et de dépression cardiorespiratoire. La toxicité cardiaque se manifeste au début par un élargissement du complexe QRS (ralentissement de la conduction intraventriculaire), une tachycardie ventriculaire, une torsade de pointe, une bradycardie extrême. Puis cette toxicité cardiaque entraine une fibrillation ventriculaire et une asystolie. – l’allergie : l’allergie aux anesthésiques locaux est exceptionnelle (0,7% des accidents anaphylactiques liés à l’anesthésie) [59]. La plupart des réactions rapportées correspondent en fait à un passage intravasculaire d’adrénaline ou une réaction avec le conservateur (sulfites)
Adjuvants
Ils ont pour propriété de renforcer l’action des AL ou de prolonger l’analgésie. Ils permettent également de limiter les doses. En pratique, on a : – les vasoconstricteurs (adrénaline, éphédrine) : ils entrainent une vasoconstriction locale qui contribue à diminuer l’absorption plasmatique des AL et à augmenter la quantité disponible au site d’injection. Ils prolongent ainsi la durée d’action des blocs et réduisent le risque de toxicité systémique des AL. Cet effet varie selon AL : maximal avec la lidocaïne, moindre avec la bupivacaïne et nul avec la ropivaïne[20]. Leur emploi doit être prudent chez le patient coronarien, le cardiopathe, l’artéritique ou l’hypertendu. La dose optimale d’adrénaline est de 5 ug/ml. – la clonidine : elle est un agoniste des récepteurs alpha 2 adrénergiques de la corne postérieure de la moelle ; elle agit directement sur l’influx nerveux par un effet hyperpolarisant. La dose habituelle utilisée est de 0,5 ug/kg. Son principal effet secondaire est l’apparition d’une sédation [36]. – les morphinomimétiques : ils diminuent sélectivement le message nociceptif véhiculé par les fibres A et C sans affecter les axones de la corne postérieure de la moelle. Les plus couramment utilisés sont la morphine, le fentanyl et le sufentanyl. La morphine se caractérise par un début d’analgésie retardé (60 mn) et un risque de dépression respiratoire retardé (8 à 10 heures). Le fentanyl et le surfentanyl se caractérisent par une analgésie précoce, une durée d’action courte (1 à 4 heures), un risque de dépression respiratoire réduit. Les morphinomimétiques provoquent une augmentation de l’incidence des effets secondaires à type de nausées et vomissements
Neurostimulation
La neurostimulation est la technique de référence [59]. Elle a pour but de repérer le nerf recherché sans entrer en contact avec lui, ce qui permet d’envisager une diminution du risque de lésion traumatique direct, en comparaison avec la technique de recherche de paresthésie
Critères de choix d’un neurostimulateur
Le neurostimulateur est un générateur de courant continu qui délivre un courant électrique par des impulsions répétitives. Sur un neurostimulateur, on peut régler la durée de l’impulsion électrique, la fréquence de stimulation et son intensité [53]. Un bon neurostimulateur doit au minimum délivrer une impulsion carré d’intensité réglable de 0,1 Ŕ 5 mA, de fréquence de 1 à 2 Hz, de durée brève (0,05 Ŕ 0,1 ms), posséder un indicateur de charge de batterie, un affichage digital de l’ampérage délivré, un témoin de passage réel du courant [36]. Le matériel recommandé pour la réalisation des blocs plexiques et tronculaires des membres comprend :des aiguilles isolées avec utilisation d’un biseau court (20° – 30 °), des cathéters en polyamide ou en polyéthylène (bien tolérés par les tissus à long terme), et des filtres[59]. 1-3-2. Technique de neurostimulation : Pour la maîtrise des techniques de blocs plexiques et tronculaires, les connaissances anatomiques, topographiques, et fonctionnelles, sont essentielles [59]. La procédure de neurostimulation est résumée dans la figure 2. Figure 2 : Algorithme de neurostimulation (d’après Zetlaoui PJ). Commentaires : Cet algorithme propose une démarche logique pour la recherche d’un nerf en neurostimulation. Il n’est pas proposé de valeur Ŕ seuil d’intensité de neurostimulation discriminante entre échec et succès.
Echographie en ALR
Intérêt de l’échographie en ALR L’échographie permet de visualiser [56]: – les plexus, les nerfs et leurs divisions, – les structures environnantes, particulièrement les vaisseaux et la plèvre, – l’aiguille et sa progression en temps réel, – la solution de l’anesthésique local et sa diffusion autour du nerf, – le cathéter en place. La compréhension des bases physiques des ultrasons et des réglages de l’échographe est recommandée pour l’exécution des blocs périphériques sous échographie avec assurance et sécurité [58]. Il est recommandé d’avoir des connaissances anatomiques et de sono anatomie pour identifier les structures concernées : muscles, vaisseaux, nerfs, tendons, fascias, os, plèvre…
Matériel et aspect technique
Plusieurs sondes, de taille adaptée, sont nécessaires pour l’échographie en ALR. Les sondes multifréquences seront privilégiées : une sonde de 7-13 MHz (ou plus, 18 MHz) pour les nerfs superficiels ou peu profonds, une sonde de 5 MHz pour les structures nerveuses plus profondes (nerf sciatique à la fesse par exemple), une petite sonde « crosse de hockey » en pédiatrie. Par ailleurs, le Doppler couleur est indispensable [56]. Afin de limiter le risque d’injection intra neurale, le nerf doit être abordé tangentiellement et de vérifier avant injection, par de petites mobilisations de l’aiguille, que son extrémité n’est pas solidaire du nerf . Il est recommandé d’interrompre l’injection de la solution anesthésique, en absence de visualisation en temps réel de la diffusion de l’anesthésique locale, et/ou en cas de douleur, de paresthésies, de résistance de l’injection, ou de gonflement du nerf [56]. Aux membres supérieurs (interscalénique, péri claviculaire, axillaire), inférieurs (fémoral et poplité), et au niveau du tronc, l’échographie permet de visualiser (totalement ou partiellement) les structures nerveuses et leurs rapports (variations anatomiques comprises) avec les structures vasculaires, musculo-tendineuses(et fascia), péritonéales ou pleurales .
Conditions de réalisation et hygiène
« Il est recommandé » de réaliser un bloc écho guidé chez un patient éveillé, calme et coopérant. En raison du risque de transmission croisée et de nécessité d’un environnement stérile requis en ALR, il faut respecter les mesures d’asepsie pour la sonde d’échographie. L’ensemble du matériel doit être nettoyé régulièrement.
Neurostimulation versus écho guidage
Pour un opérateur entrainé, l’échoguidage seul autorise un taux de succès élevé ; la neurostimulation devient un élément complémentaire de repérage [58]. L’association neurostimulation Ŕ échoguidage ne semble pas améliorer le taux de réussite de la technique, mais constitue un élément de sécurité.
Indications générales
Les indications des blocs périphériques vont reposer sur l’état psychologique et physiologique du patient, sur la nature et la durée prévisible de l’intervention aussi que sur la nécessité d’une analgésie post opératoire. Aucune étude prospective n’a démontré la faible morbidité des blocs périphériques, mais l’absence d’effets secondaires notoires, les rend très attractifs chez des patients à « haut risque ». Ils représentent également une alternative élégante à l’anesthésie rachidienne, ou en complément à l’anesthésie générale dans la chirurgie orthopédique périphérique (épaule, hanche, genou, pied) . Les avantages des blocs nerveux périphériques sont nombreux : état de conscience préservé, reprise alimentaire immédiate (si pas d’anesthésie générale associée), l’analgésie post-opératoire avec mise en place éventuelle d’un cathéter . Le choix entre la réalisation d’un bloc simple ou d’un bloc « continu » avec cathéter est dicté par la durée prévisible de la douleur post Ŕ opératoire . Les indications spécifiques de chaque bloc seront traitées plus bas dans le chapitre des différents types de blocs.
INTRODUCTION |