Pourquoi et comment recourir au droit

 Pourquoi et comment recourir au droit

Un contexte sud-africain favorable aux usages militants du droit

L’analyse comparative du recours au droit a montré l’importance de l’analyse des contextes et des environnements dans lesquels agissent les mouvements sociaux lorsqu’il s’agit de saisir les dimensions affectant le recours aux stratégies juridiques (McCann, 1994). Plusieurs hypothèses ont été formulées, avec plus ou moins de succès, pour expliquer ce phénomène. Si les analyses en termes « de structures des opportunités juridiques », en référence à la notion de « structure des opportunités politiques » utilisées par les théories de l’action collective, ont montré leur faiblesse (Agrikoliansky, 2010), il n’en reste pas moins que certains traits significatifs peuvent être relevés. Le contexte sud-africain constitue un terrain favorable aux usages militants du droit comme en témoigne le recours croissant au droit et à la justice par des collectifs militants sur des sujets relatifs à l’accès aux droits sociaux. La liste des affaires relatives aux droits sociaux s’allonge jour après jour depuis l’adoption de la Constitution en 1996 : affaire TAC (2001) relative à l’accès aux antirétroviraux dans le cadre de la lutte contre le VIH, affaire Soobramoney (1997) sur l’accès à la santé, affaires Grootboom (2000) et Olivia Road (2008) sur le droit au logement, affaire Chiawelo Flats (2010) sur l’accès à l’électricité, affaires Joe Slovo (2009), Gundwana (2010) et Chung Hua (2010)121 relatives à l’accès au logement et à la lutte contre les évictions forcées, etc. Le recours au droit est donc en croissance depuis l’avènement démocratique, même si il peut être jugé insuffisant par un certain nombre de juristes compte tenu de la persistance des inégalités à l’échelle nationale (Marcus, Budlender, 2008). Comment expliquer cette tendance ? Quelles régularités peut-on observer après l’analyse de l’ensemble de ces affaires? Au-delà de la reconnaissance explicite des droits sociaux dans la Constitution122, quelles sont les éléments qui font de l’Afrique du Sud un pays propice à la mobilisation protestataire du droit ? De la même manière que l’on constate que le recours protestataire au droit est très présent aux États-Unis alors qu’il l’est beaucoup moins en Europe ou en France, et ce même si l’on parle de plus en plus d’un phénomène de judiciarisation des sociétés occidentales (Commaille, Dumoulin, 2009), comment expliquer cette tendance en Afrique du Sud ? Il s’agit ici de s’interroger sur le contexte socio politique dans lequel s’est développé le recours au droit. 

Des contestations contre le projet Gcin’Amanzi au recours au droit, une crise de la culture de l’action directe?

Comme McCann (1994, 2006) l’a montré dans ses travaux sur l’égalité des salaires aux ÉtatsUnis, la mobilisation du droit par les mouvements sociaux a des motivations multiples. Ici, elles constituent un mélange de circonstances externes et internes aux mouvements sociaux: essoufflement des mobilisations, recherche de légitimité et offre de services par des organisations légales spécialisées dans la défense des droits sociaux. Il s’agit dans cette section de s’intéresser aux motivations des mouvements sociaux à recourir au droit. 2.1.Le recours au droit : réponse à l’essoufflement des mobilisations sociales ? Pourquoi des mouvements sociaux développant une culture de « l’action directe » et des répertoires d’action souvent en marge de la légalité ont-ils eu recours à une stratégie légale jusqu’alors jamais expérimentée par eux? À quel moment de leur évolution ou de leur mobilisation contre le projet OGA la mobilisation du droit a-t-elle été envisagée ? Les militants interrogés lors de nos enquêtes de terrain font référence à ce qu’ils qualifient « d’essoufflement des mobilisations sur le terrain » pour expliquer le changement de stratégie127 opéré en 2006 par l’APF, la CAWP et le PCRF. Pour eux, il s’agissait, via le recours aux tribunaux, de relancer les mobilisations au niveau local (APF et CAWP, 2006, p. 4) et de faire entendre leurs revendications dans les sphères institutionnelles grâce au procès. En effet, la résistance collective contre le projet OGA, vive au démarrage de ce dernier comme on a pu le montrer précédemment, s’est progressivement amenuisée. La dénonciation de l’État comme institution répressive, argument central du discours contestataire des mouvements sociaux en général, est particulièrement mobilisé par les militants pour expliquer le déclin de la mobilisation. Selon un rapport daté de 2006, cette démobilisation est d’abord le résultat des arrestations, des intimidations et des menaces émanant des autorités contre les militants (CAWP, APF, 2006). En effet, Dale McKinley, membre fondateur de l’APF, explique que la répression de la municipalité et de l’opérateur sont le premier moteur de leur changement de stratégie:« Au bout de quelque temps, compte tenu de la forte répression de la police face aux résistances et opérations réalisées par la coalition, il était devenu très difficile de maintenir la pression sur le terrain à Phiri. Environ deux ans plus tard, on a décidé de changer de tactique et de lancer l’affaire de Phiri en justice, car la mobilisation physique sur le terrain devenait trop compliquée à maintenir. Il est clair que pour la coalition, la mise en justice de l’affaire n’est pas « sexy » et qu’il est moins facile pour les militants de s’engager dans cette lutte qui est moins « cool » que de militer sur le terrain et de faire des actions directes. (…) mais cette tactique apparaissait comme étant la bonne à ce moment-là.128 . » « Au début, à Phiri, on n’aurait jamais pensé employer une méthode comme le recours légal pour défendre notre cause. Mais comme la contestation physique ne marchait plus et que beaucoup de personnes étaient arrêtées et allaient en prison, ce qui prenait du temps, de l’argent pour les sortir de là, on a décidé d’adopter une nouvelle tactique.129 » Cette lecture des choses est partagée par les représentants de l’équipe légale (CALS) venue en soutien aux organisations militantes comme en témoigne l’extrait suivant : « L’APF a accepté de s’engager dans ce cas en justice, ce qui ne fait pas du tout partie de son répertoire d’action original, parce que les actions directes qu’ils avaient l’habitude de mener avaient perdu de l’ampleur. L’APF était dans une période de grande démobilisation dans ses rangs, principalement due à la manière dont la ville réagissait et essayait de museler les protestations. Ce que le CALS a proposé à ce moment-là était donc une tactique nouvelle et une alternative qu’il pouvait offrir gratuitement, c’était une nouvelle option, proposée alors que les options classiques proposées par l’APF ne mobilisaient plus les gens 130 ». Concrètement, cette baisse d’intensité de la mobilisation s’est traduite par un amoindrissement important du nombre de militants mobilisés lors des réunions hebdomadaires organisées par le Phiri concerned residents forum comme l’illustre un rapport qui souligne que si le collectif militant rassemblait facilement cinq cents personnes en 2003, en 2006, il peinait à rassembler quelques dizaines de militants (CAWP, APF, 2006). 

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