Afin de traiter au mieux la problématique, l’Économie Sociale et Solidaire au service d’une alimentation nouvelle, durable et de qualité, il y a lieu de comprendre les raisons qui ont pu pousser certaines personnes et certains organismes à vouloir créer de nouveaux modes de production, de transformation, de commercialisation et de consommation. Pour ce faire, nous allons nous demander ici pourquoi nous devons changer notre alimentation et plus généralement notre système alimentaire. Pour répondre à cela, nous commencerons par définir un système alimentaire et expliquer son fonctionnement, suite à cela, nous essayerons de recenser et d’expliquer les effets de notre système alimentaire sur l’environnement, l’augmentation des inégalités et notre santé. Enfin, nous énumérerons ce qui doit changer dans notre alimentation que ce soit dans notre façon de produire comme dans notre façon de consommer avant d’enchaîner sur la seconde partie et les réponses apportées par l’Économie Sociale et Solidaire pour une alimentation nouvelle, durable et de qualité.
Qu’est ce qu’un système alimentaire ? Comment fonctionne notre système alimentaire ?
Qu’est-ce qu’un système alimentaire ?
Louis MALASSIS était un ingénieur agricole français ainsi qu’un conseiller du ministère d’agriculture et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food Agriculture Organization). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’économie agro-alimentaire et de plusieurs théories concernant le système alimentaire mondial grâce aux nombreuses recherches qu’il a mené dans différents instituts français et européens. Il est notamment l’auteur de la définition du système alimentaire mondial, il détaille ici son organisation, ses ressources comme ses besoins, ses avantages comme ses limites ainsi que ses interactions avec son environnement propre. Ce dernier définit le système alimentaire en 1994 comme “la manière dont les hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture”. Dans cette définition et dans son ouvrage intitulé “Se nourrir : de la Nature à un système complexe”, il caractérise le système alimentaire mondial de différentes manières. Il s’attarde aux effets macro-économiques du système alimentaire avec la production, la consommation et l’organisation générale de ce système puis il prend en compte les dimensions historiques et territoriales pour lier ces deux cadres d’analyses afin de fournir une étude pertinente prenant en compte les préoccupations contemporaines. Il intègre alors à sa réflexion la dimension de développement durable définie depuis peu à cette époque par le Rapport Bruntland en 1987. En effet, le développement durable est alors caractérisé comme “un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs”. Enfin, Louis MALASSIS explicite sa démonstration dans un schéma résumant les interactions entre chacune des variables intervenant sur l’environnement du système alimentaire .
Comment fonctionne notre système alimentaire ?
Le système alimentaire est alors résumé en plusieurs étapes fondamentales que sont la production, la transformation, la distribution et la consommation. Pour mieux comprendre cet enchaînement d’étapes, il y a lieu de définir et de comprendre chacune d’entre elles.
Tout d’abord, la production alimentaire est résumée comme l’ensemble des activités qui permettent d’obtenir des aliments issus de l’agriculture, la chasse, la pêche et la cueillette pour des fins de transformation, de consommation et de commercialisation d’aliments consommables. On distingue essentiellement deux types de production alimentaire, il y a d’un côté l’autoproduction et d’un autre l’agriculture commerciale. La première concerne les aliments qui sont consommés par les personnes qui les ont produits à travers leurs potagers, vergers, élevages personnels ou encore jardins partagés. La seconde constitue une production d’aliments destinée à être vendu sur le marché, qu’il soit local, national ou à l’exportation, on y retrouve différentes productions selon les types d’aliments, qu’ils soient animales, végétales ou transformés.
La seconde étape du système alimentaire est la transformation alimentaire, bien que cette étape ne soit pas nécessaire au système, elle constitue une étape majeure pour l’ensemble des produits alimentaires transformés. Elle est couramment définie comme un enchaînement d’étapes de préparation et de fabrication de manière simultanée ou non en partant d’un élément alimentaire brut pour arriver à la création d’un élément alimentaire nouveau. On y retrouve alors deux étapes principales que sont la préparation et la fabrication des aliments. La préparation est elle-même définie de manière simple comme un ensemble d’opérations qui ne modifie nullement la forme de la matière première que ce soit par le conditionnement à travers le tri, le lavage ou l’emballage des aliments ou par la conservation à travers la congélation par exemple pour maintenir la comestibilité des aliments sur le long terme. L’étape de fabrication est elle définie comme la création d’aliments nouveaux suite à l’altération de la matière première à travers un ou plusieurs procédés qui viennent à modifier les caractéristiques physiques et gustatives de celle-ci. La fabrication peut-être réalisée de manière artisanale ou industrielle par le biais de processus mécanisés, robotisés ou manuels à des diverses échelles.
L’étape de distribution constitue la troisième étape du système alimentaire. Elle est quant à elle définie comme l’ensemble des activités qui participent à chacune des autres étapes du système alimentaire par l’acheminement des matières premières, des aliments transformés ou encore des produits finis d’une étape à une autre. Plus généralement, la distribution est résumée comme l’étape consécutive à la transformation par le fait qu’elle concoure à ce que les produits alimentaires issus des premières étapes parviennent à la dernière étape, la consommation. On distingue ici deux types de distribution, la distribution marchande réalisée par des entreprises spécialisées ou par les producteurs eux-mêmes et la distribution non marchande effectuée par des associations comme la banque alimentaire ou des proches de manière bénévole pour des personnes fragiles ou des personnes d’une même famille. C’est ici que nous pouvons exposer la distinction entre les circuits et les circuits courts, les premiers correspondent à une mode de distribution impliquant un intermédiaire au plus entre l’étape de production et l’étape de consommation tandis que les seconds impliquent quant à eux plusieurs intermédiaires, en règle générale des entreprises de transformation alimentaire ou de simples négociants. Enfin, on constate une dernière classification de distribution alimentaire entre la distribution de “gros”, “semi-gros” et de détail. Comme son nom l’indique, la distribution de gros signifie un acte d’achat de produits alimentaires en grande quantité pour une redistribution en quantités variables à des commerçants finaux de tailles différentes. Pour ce qui est de la distribution de “semi-gros”, elle se fait aux niveaux des supermarchés ou encore des marchés alimentaires, la différence avec les distributeurs en “gros” est que la vente se fait directement entre un producteur et un détaillant, sans négociants intermédiaires, c’est une forme de mise en marché en circuit court. La distribution au détail se fait par le producteur lui-même, en effet il n’y a ni d’intermédiaires négociants, ni de commerçants alimentaires spécialisés. La distribution alimentaire est effectuée du producteur au consommateur.
La dernière étape du processus de distribution est celle de la consommation alimentaire. Elle peut être simplement définie comme l’approvisionnement par les individus de produits alimentaires, l’entreposage de ceux-ci, la préparation des repas pour aller jusqu’à la conservation des restes. La consommation alimentaire se décompose donc en trois grandes phases que sont l’approvisionnement, les choix de consommations alimentaires et enfin le moment de la consommation finale, l’ingération. Tout d’abord, pour ce qui est de l’approvisionnement, il est défini comme l’ensemble des actions misent en oeuvre par les ménages pour se procurer des aliments, cela implique la planification des déplacements, les choix d’achats et le paiement de ces derniers. Il est évidemment possible pour les ménages de s’approvisionner de différentes manières, ce peut être de manière non-marchande par le biais d’associations ou de ses proches ou de manière marchande par l’achat de produits alimentaires dans des commerces spécialisés, des supermarchés ou encore directement auprès du producteur.
Pour ce qui est des choix de consommations alimentaires, le consommateur prend en compte différents paramètres comme son régime alimentaire, ses envies alimentaires, l’éthique des produits achetés, les prix, ou encore les routines ou les normes religieuses. Enfin, vient le moment de la consommation finale qui marque la dernière étape du processus du système alimentaire. Cela correspond très simplement au moment où la nourriture est ingérée par le consommateur finale, ce moment dépend lui aussi de plusieurs variables liées aux habitudes et envies du consommateur.
Nous avons ici le déroulement du système alimentaire classique et historiquement caractérisé de la sorte par la majeure partie des chercheurs spécialisés sur ce sujet. Cependant, une étape a été ajoutée depuis une dizaine d’années par des chercheurs québécois, il s’agit de la gestion des résidus et déchets alimentaires. Cette nouvelle et dernière étape s’inscrit dans une période où le développement durable, la gestion des déchets et le gaspillage alimentaire sont au coeur des préoccupations.
La nouvelle étape que constitue la gestion des matières résiduelles alimentaires peut être définie comme suit “une série d’opérations qui couvrent l’entreposage, le tri et l’élimination des déchets”. Il est à noter que les déchets alimentaires peuvent être produits par différents acteurs, que ce soit les ménages, les industriels, les commerçants ou encore les institutions publiques, à chaque étape du système alimentaire il peut y avoir des pertes et une forme de gaspillage alimentaire qui se réalise. En règle générale, la gestion des déchets alimentaires implique une distinction entre la gestion par des acteurs publics et la gestion par des acteurs privés. Pour ce qui est de la gestion publique des résidus alimentaires, elle englobe la collecte des déchets réalisée par les éboueurs dépendant des institutions publiques ainsi que la production de résidus alimentaires par les institutions publiques, dans les cantines scolaires par exemple. Le plus souvent, les institutions publiques essayent de montrer l’exemple en gaspillant le moins possible, en mettant en place des centres de valorisation des déchets à travers le compostage ou des centres d’élimination des déchets à travers les incinérateurs. Pour ce qui est de la gestion privée des déchets alimentaires, on recense une panoplie d’acteurs avec des problématiques spécifiques à chacun d’entre eux. Nous pouvons citer ici les ménages, les commerces, les producteurs et les intermédiaires intervenants dans le système alimentaire expliqué précédemment. Les ménages sont responsables de leur gestion des déchets et mettent le plus souvent en place des pratiques visant à limiter le gaspillage et ses effets économiques pour ces derniers à travers le compostage ou la consommation des résidus alimentaires. Les autres acteurs cités font quant à eux appel le plus souvent à d’autres acteurs spécialisés pour prendre en charge leur gestion des déchets. Il est à noter que la gestion et la valorisation des déchets prise en compte dans notre système alimentaire, ne l’est pas nécessairement pour l’ensemble des populations qui constituent notre monde, en effet, le développement durable et la préoccupation de l’environnement sont principalement présents dans les pays développés.
Cela s’explique par le fait que la préoccupation première des pays sous-développés ou peu développés reste la sous-nutrition voir la famine, en Afrique notamment ainsi que dans une partie des pays du Sud.
État des lieux de notre système alimentaire
Afin de mieux comprendre le système alimentaire qui est le nôtre, que ce soit à l’échelle internationale ou mondiale, il y a désormais lieu de se pencher sur les valeurs actuelles de chacune des variables qui influent sur notre système alimentaire. L’exposition de chiffres concernant notre système alimentaire devrait nous aider. Pour commencer, il y a lieu de s’arrêter sur des données concernant les crises alimentaires afin de se rendre compte de l’importance de ces dernières à l’échelle mondiale. Une crise alimentaire peut être définie soit comme une forme d’intoxication alimentaire très répandue et impactant de nombreuses populations, soit comme une situation se rapprochant d’une pénurie alimentaire, voir d’une famine pour les pays les plus pauvres connaissant de grandes difficultés à s’alimenter de manière convenable. Lorsque l’on parle de crise alimentaire, on pense le plus souvent aux années 2007-2008 qui ont vu les prix des matières premières alimentaires augmenter de manière exponentielle, ce qui s’est répercuté sur le prix des denrées alimentaires dans le monde. Cela a engendré de graves famines dans les Pays les Moins Avancés (PMA) où la majeure partie des dépenses des ménages est consacrée à l’alimentation. Dernièrement, la crise alimentaire de 2018 a touché le Yémen, l’Ethiopie, le Congo et le Soudan principalement pour voir près de 72 millions de personnes en état d’insécurité alimentaire aiguë. La malnutrition est parfois assimilée à une forme de crise alimentaire, elle est simplement définie comme un état nutritionnel qui s’éloigne des besoins nutritionnels normaux que ce soit en matière de quantité comme de qualité. On y retrouve à la fois la sous alimentation et la suralimentation selon la Food Agriculture Organization, à la fois
le manque et la surabondance. C’est pourquoi l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recensait pas moins d’1,1 milliards d’être humains souffrant de malnutrition en 2017. La sous-alimentation se caractérise par un état de manque important de nourriture lié à un apport alimentaire qui serait insuffisant pour combler les dépenses énergétiques journalières d’un individu. Selon la Food and Agriculture Organization (FAO), l’institution spécialisée en alimentation et en Agriculture des Nations Unies, la faim dans le monde gagne du terrain. En effet, selon les estimations de cette institution, le nombre de personnes sous-alimentées est passée de 850 millions de personnes à 925 millions en 2017, cet écart est à nuancer si l’on prend en compte l’augmentation de la population, malgré cela le nombre de personnes sous alimentées ne cesse de croître.
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