”Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?” de Mahmoud Darwich

L’identité en philosophie (identité du même)

« Identité » vient du latin idem qui signifie « le même ». Le concept d’identité se définit en philosophie comme : « Caractère de ce qui est identique, qu’il s’agisse du rapport de continuité et de permanence qu’un être tient avec lui-même au travers de la variation de ses conditions d’existence et de ses états, ou de la relation qui fait que deux réalités, différents sous de multiples aspects, sont cependant semblables et même équivalentes sous tel ou tel rapport ».
En parlant de ce qui reste identique « même », Parménide expose les premières représentations de l’identité humaine et non humaine, plus particulièrement lorsqu’il signale que l’identité est un « être » qui ne change pas. Il indique l’existence d’une essence unique, voire distincte. Il y montre l’existence éternelle d’un être en tant qu’un éloigné de tout changement possible : « L’être est, le non-être n’est pas ».
D’après Parménide, l’identité signifie ce qui reste identique malgré les changements qui s’imposent à lui. Il s’agit d’un être résistant à toutes les tentatives de changement politique ou social. Sur le plan paradigmatique, l’identité, comme elle représente généralement un être ou un même, est nommée une «mêmeté» qui se considère comme « essentialiste », dans la mesure où, bien évidemment, elle incarne une essence dont il est difficile de renier l’existence. Elle représente également un être intelligent et pensant : «Cela posé, pour trouver en quoi consiste l’identité personnelle, il faut voir ce qu’emporte le mot de personne. C’est, à ce que je crois, un être pensant et intelligent, capable de raison et de réflexion, et qui peut se consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux, ce qu’il fait uniquement par le sentiment qu’il a de ses propres actions ».

L’identité en psychologie (l’identité personnelle)

L’identité personnelle peut être une notion simple et évidente. Elle comporte des traits largement objectifs: le fait que chaque individu soit unique, se distinguant des autres par son patrimoine génétique. Cependant, ce type d’identité dispose d’une composante subjective qui renvoie au sentiment de son individualité « je suis moi », de sa singularité « je suis différent des autres et j’ai telles ou telles caractéristiques » et d’une continuité dans l’espace et dans le temps «je suis toujours la même personne».
Une autre façon de définir l’identité personnelle est de dire qu’elle est l’ensemble des représentations et des sentiments dont dispose l’individu. Elle est aussi ce qui lui permet de rester le même malgré les différents changements qui l’affectent. En nous penchant sur les définitions de l’identité personnelle mentionnées ci-dessus, nous avons repéré quelques caractéristiques. Tout d’abord, ce terme renvoie à ce qui reste le même au fil du temps. Nous déduisons que la continuité dans le temps et dans l’espace est le premier élément définitionnel de l’identité personnelle.
Le deuxième élément de l’identité personnelle concerne la représentation que nous avons de nous-mêmes. Nous nous comportons selon un certain rythme ou nous adoptons un certain style qui n’est pas forcément le même que celui dont dispose autrui.
Le troisième aspect définitionnel de l’identité personnelle est le terme d’unicité, c’est-à-dire le sentiment d’être unique, différent, incomparable aux autres et c’est ce qui remet aussi en cause la légitimité d’autrui.
Un quatrième aspect de l’identité personnelle est son lien avec la diversité qui correspond au fait que nous sommes plusieurs personnes en une seule personne. Un dernier aspect de l’identité personnelle est son lien avec ce que nous faisons. L’identité personnelle se dévoile dans nos activités.
Dans le présent recueil, Darwich montre, comme cité supra, son envie d’avoir toujours la même langue, notamment lorsqu’il dit : « Je suis ma langue ». D’un point de vue dialogué, il montre qu’il est totalement «différent» de l’Autre parce qu’il dispose de ce qui lui permet d’être distingué au niveau culturel et linguistique, notamment lorsqu’il parle des activités linguistiques et culturelles (activités agricoles) qui lui sont propres. Telles sont les différentes caractéristiques de son identité personnelle dont la défense semble être l’axe essentiel.

Identité narrative et écriture autobiographique

Revenons au concept de l’identité, dans son article intitulé « Narrativité, narration, narratologie : du concept ricoeurien d’identité narrative aux sciences sociales », J. Michel signale que l’identité se montre à l’aide d’une identité narrative qui se définit de la manière suivante : « L’identité narrative représente la troisième composante de l’identité personnelle, laquelle se définit par la capacité de la personne de mettre en récit de manière concordante les évènements de son existence. Or, le fait est que, selon Paul Ricœur, la construction d’une telle identité n’est possible que par fréquentation de récits d’histoire ou de fiction, en vertu d’un « double transfer »».
Selon Michel, l’identité se transmet à l’aide d’une identité narrative qui se construit à travers le recours à des systèmes d’écriture dans lesquels l’identité de l’un parait en s’appuyant sur l’usage des textes littéraires qui ont pour objectif de décrire une personne, une nation et une vie. Mais la construction du texte littéraire n’est pas aussi simple que le croient les écrivains. Ceux-ci sont invités à respecter certaines règles dont quelques-unes ont été mises en évidence par Aristote. Ce dernier se concentre sur le principe d’ordre appelé « concordance » qui rend intelligible l’histoire racontée. En respectant ce principe, tous les évènements se mettent en ordre rationnel où aucune surprise ne peut avoir lieu. En contrepartie, il montre le danger de «discordance » dans lequel il y a une surprise au niveau de la succession des évènements. Ce sont les renversements et les évènements qui mettent en péril l’identité de l’intrigue. Face à l’écriture narrative, Michel introduit, en s’appuyant sur les concepts d’Aristote, certains éléments indispensables à la construction de l’identité narrative : « L’identité ne prend-elle sens que lorsque s’opère une synthèse «concordante discordante» d’évènements. Si le personnage n’était que concordance, il deviendrait à la limite une sorte de substance intemporelle et rien ne pourrait finalement lui arriver. S’il n’était, en revanche, qu’une suite d’évènements contingents, il manquerait un principe d’intelligibilité pour le reconnaître et l’identifier. La mise en intrigue consiste précisément à donner une unité de signification à toutes les péripéties et à tous les événements qui surviennent dans son histoire et affectent son identité ». Ces éléments paraissent dans une nouvelle forme d’écriture acceptée aujourd’hui par toutes les institutions. Cette écriture s’appelle « l’écriture autobiographique » qui est le cas de notre recueil. Il s’agit d’un système d’écriture intégré au sein des institutions en tant que genre littéraire visant à parler de soi. C’est pourquoi nous nous orientons vers « l’égocentrisme » où chacun d’entre nous parle de lui. P. Lejeune précise que : « Le pacte autobiographique est l’engagement que prend l’auteur de raconter directement sa vie (une partie ou un aspect) dans un esprit de vérité. L’autobiographe, lui, vous promet que ce qu’il va vous dire est vrai ou du moins ce qu’il croit vrai. Il se comporte comme un historien ou un journaliste, avec la différence que le sujet sur lequel il promet de donner une information vraie, c’est lui-même ».

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Le concept de discours

L’idée de discours constitue un champ d’études s’inscrivant largement et de manière générale dans les sciences humaines, y compris les sciences du langage. Cependant, ce n’est qu’à partir des années 60 que cette approche langagière commence à susciter l’intérêt des chercheurs (Benveniste, Ducrot, Maingueneau, Courtine, etc.). La notion de discours n’est pas seulement ancrée dans la linguistique, mais également dans beaucoup de branches des sciences humaines  et sociales. Nous citons par la suite quelques branches qui s’intéressent à l’étude du discours comme le dialogisme (M. Bakhtine), la psychologie (L. Vygotsky), la traduction (A. Berman), l’interactionnisme symbolique (G. H. Mead), la philosophie du langage (L. Wittgentein), la sociologie/la linguistique (P. Charaudeau), etc. Malgré les enquêtes consacrées au discours, la diversité des champs auxquels il appartient et les notions multiples qui y sont fortement associées, nous donnons au discours la définition suivante : « Tout énoncé, mot ou plus, d’une langue naturelle, choisi en fonction de ses conditions de production et d’échange ». C’est un concept à la fois ancien et moderne : « Discourse is both an old and a new discipline. Its origins can be traced back to the study of language, public speech, and literature more than 2000 years ago. One major historical source is undoubtedly classical rhetoric, the art of good speaking ». Cependant, la question de «discours», terme relativement lié au « contexte » en même temps qu’au « texte », n’est pas l’une des composantes langagières préconisées par la linguistique dite « structurale ». Dans le Cours de linguistique générale, l’objet de la linguistique se limite strictement à l’étude de la langue en tant que « systèmes de signes » sans la prise en compte des différents rapports entre « texte » et « contexte », entre « langue» et «environnement extérieur», entre « compétence » et «performance».

Table des matières

Introduction générale
Partie 1
Chapitre 1 : Mahmoud Darwich : vie, recueils, stéréotypes et représentations 
Introduction
1.1 Présentation de la vie de Mahmoud Darwich
1.2 Les recueils de Mahmoud Darwich : phases et caractéristiques
1.3 Stéréotypes et représentations des critiques sur Mahmoud Darwich
1.4 La rédaction de Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
Conclusion
Chapitre 2 : Question d’identité et d’identification
Introduction
2.1 L’identité en philosophie (identité du même)
L’organisation cognitive de soi
Le soi comme source de motivation
2.2 L’identité en psychologie (l’identité personnelle)
2.3 L’identité en sociologie (l’identité sociale)
2.3.1 Darwich comme un « sujet » social et communautaire
2.4 Identité narrative et écriture autobiographique
2.5 L’identité en anthropologie (l’identité culturelle)
2.5.1 Qu’est-ce qu’une identité culturelle
2.6 Identité nationale
Conclusion
Partie 2 : Discours de l’exil, de la nostalgie et de l’intertextualité : analyse détaillée des poèmes de Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
Chapitre 1 : Discours, analyse de discours et intertextualité : Méthodologie de
recherche
Introduction
1.1. Le concept de discours
1.1.1 Le concept de discours dans la linguistique structurale
Le signe linguistique
L’opposition : langue /discours
1.2 Le concept de discours après la linguistique structurale
2. Analyse de discours
3. Les caractéristiques du discours dans Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
4. Intertextualité et discours intertextuel
Conclusion
Chapitre 2 : Le discours de l’exil 
Introduction : Le discours général de Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
2.1 « Je vois mon ombre qui s’avance de loin »
2.2« Un nuage dans ma main »
2.3 « Villageois sans malice »
2.4 « La nuit du hibou »
2.5 « L’éternité du figuier de Barbarie »
2.6 « Combien de fois en sera-t-il fini de nous ? »
2.7« Jusqu’à ma fin et la sienne »
2.8 « Le train est passé »
2.9 « Le voyageur a dit au voyageur : nous ne reviendrons pas comme… »
2.10 « Lorsqu’il s’éloigne »
Conclusion
Chapitre 3 : Le discours de la nostalgie
Introduction
3.1 Nostalgie de la maison dans « La promenade des étrangers »
3.2 La nostalgie du puits dans « Le puits »
3.3 La nostalgie de la mère dans « Les leçons de Houriyya »
3.4 La nostalgie dans « Peigne en ivoire »
3.5 La nostalgie de la langue dans « Dispositions poétiques »
3.6 La nostalgie dans « D’un ciel à l’autre pareil, passent les rêveurs »
3.7 La nostalgie de l’amante dans « Nuit qui déborde du corps »
Conclusion
Chapitre 4 : Le discours de l’intertextualité
Introduction
4.1 Intertextualité religieuse
4.1.1« Le bâton d’Ismaël »
4.1.2 « L’encre du corbeau »
4.1.3 « Telle la lettre noun dans la sourate du Rahmân »
4.2 Intertextualité historique
4.2.1 « L’hirondelle des Tatars »
4.2.2 « Déposition de Bertolt Brecht devant un tribunal militaire (1967) »
4.2.3 « La gitane détient un ciel exercé »
4.3 Intertextualité littéraire
4.3.1« Différend non linguistique avec Imrû’l-’Qays »
4.3.2 « Extraits des Byzantines d’Abou Firâs Al-hamdânî »
4.3.3 « Une rime pour les Mu’allaqât »
4.4 Intertextualité mythologique
4.4.1 « Les humeurs d’Anath »
4.4.2 « La mort du griffon »
4.4.3 « Le moineau tel qu’en lui-même »
4.4.4 « Les sept jours de l’amour »
4.4.5 « Hélène, quelle pluie »
Conclusion générale
Bibliographie
Sitographie 
Bibliographie arabe

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