Qu’est-ce qu’une thèse en géographie ?
Positionnement épistémologique
Cette question identitaire et existentielle surgit de façon récurrente lorsqu’on est géographe, tant les moments de doute semblent inhérents à notre condition. Parfois on se contente d’une définition, parfois on ressent le besoin de lire ou d’écrire un traité pour épuiser la question. En ce qui me concerne, cette question générale découle d’une autre plus pragmatique : qu’est-ce qu’une thèse en géographie ? Toutes deux ont surgi alors que ce projet était déjà bien avancé, bien mûri dans ses intentions comme dans sa formulation. Puis les doutes ont surgi, fruits de la confrontation entre une formation universitaire orientée et partielle, avec des savoir-faire techniques et un outillage théorique utiles mais vite limités, une pratique professionnelle en milieu tropical et des contradictions qui en sont issues.
Les conditions de ma présence dans un pays de la zone intertropicale mises en perspective avec des situations existentielles intenses vécues sur le terrain et l’évolution inédite d’une situation politique ont tôt fait de miner quelques certitudes finalement pas très ancrées. Sans pour autant remettre en cause la problématique et les hypothèses définies pour ce projet, la confrontation au terrain m’a obligé à un recentrage à la fois sur les fondamentaux de la discipline géographique et à une réflexion plus approfondie sur la nature de ce projet en particulier.
Ce document s’est aboutie à partir d’une opportunité, elle-m me accompagnée d’une conviction : l’auteur partait dans un cadre professionnel pour un long séjour dans un pays de la zone intertropicale, la Bolivie. Il allait mettre à profit cette opportunité et les fréquentes tournées sur le terrain pour accumuler les éléments constitutifs de son projet de thèse : enquêtes, rencontres, échanges, bases de données exclusives…. Et rien de tel que l’empirique « vérité du terrain » pour étayer une thèse. Par ailleurs, le cadre professionnel offrait une situation idéale pour faire d’une pierre deux coups.
Les fruits de mon travail constitueraient la matière première de la thèse. L’Institut de Recherche pour le Développement IRD m’emploie pour faire de la recherche, mais me demande aussi de m’impliquer dans des projets d’application auprès de nos partenaires locaux et dans leur formation. L’enchaînement institutionnel dans lequel je m’inscris est le suivant : l’UMR 151, associant l’Université de Provence et l’IRD au sein du laboratoire Population, Environnement, Développement LPED abrite l’équipe Migrations, Dynamiques Démographiques et Environnement (MIDDEN) qui lui-même accueille le programme Approche Intégrée du Développement Régional (AIDeR)33.
Le programme AIDeR compte aussi sur l’appui institutionnel, matériel et méthodologique du Centre International d’Agronomie Tropicale CIAT dont le siège est à Cali, Colombie. Localement, nous avons noué des alliances stratégiques : Des collaborations institutionnelles avec les ministères de la planification et de la décentralisation ; avec le Consejo de Población (CODEPO), officine gouvernementale chargé des études et de la prospective en matière de la population ; avec la Préfecture de Santa Cruz pour participer à la définition et à l’élaboration de son Plan d’Aménagement du Territoire ; avec certaines municipalités comme Potosi ou Oruro pour des questions d’aménagement ou des problèmes plus ciblées de pollution.
Mais entre la vie révée d’une thèse modèle et la réalité du terrain, il y a de nombreuses occasions de s’égarer et de perdre le fil d’un projet a priori idéal. Les difficultés matérielles (instabilité politique, institutionnelle et sociale, changement fréquent d’interlocuteur, partenariat volatil, blocages institutionnels et blocages routiers, catastrophes climatiques, etc.) sont un peu le lot quotidien des professionnels de l’IRD et paraissent banals. Ils cèdent le pas à des difficultés bien plus difficiles à résoudre et qui sont d’ordre moral, éthique, voire, métaphysique. Immergé professionnellement dans la société locale, l’équilibre entre recherche et actions de développement n’est pas simple à trouver.
L’adaptation aux contingences locales inondations qui ont touché le département de Santa Cruz l’année suivante ont été à peine moins dramatiques. Dans ces conditions, les enquêtes programmées lors de ces périodes se sont transformées en actions d’aide d’urgence aux populations totalement démunies face aux intempéries. Paradoxalement, c’est en ayant en permanence en t te cette question apparemment saugrenue dans ces contextes : Qu’est-ce que la géographie ?, que j’ai pu traverser ces périodes bouleversantes sans me perdre, sans trahir la mission confiée par l’IRD (faire de la recherche pour le développement ; proposer des formes originales de recherche- action ; nous impliquer dans la formation dans les pays du Sud), tout en ajustant mon comportement aux situations d’extr me détresse rencontrées.