PORT D’ACTIVITE SUR L’AXE INSTRUMENTATION DE L’ACTIVITE DES ENSEIGNANTS
L’enseignement comme gestion d’un environnement dynamique ouvert
L’approche retenue pour traiter la question de la place de Pépite dans l’activité de l’enseignant considère l’activité de l’enseignant comme la gestion d’un environnement dynamique particulier, où l’objet d’action est le rapport de l’élève avec l’objet à enseigner [Rogalski 2001, 2003] ; [Robert & Rogalski 2002]. La validité d’une telle approche est développée dans Rogalski ; nous n’en détaillons ici que ce qui concerne directement, d’une part, l’activité de diagnostic, et d’autre part, l’instrumentalisation de cette activité [Rabardel 1995, 1999] ; [Artigue 1998] ; [Lagrange, Artigue, Laborde & Trouche 2003].
Une typologie des environnements dynamiques a été présentée dans le cas de la gestion des processus matériels et exemplifiée dans Hoc [Hoc 1996]. La typologie prend en compte en particulier la nature des processus supervisés ou gérés, la temporalité, la distance entre le processus et les indicateurs. Nous y avons ajouté une dimension de fermeture / ouverture de l’environnement géré, selon le développement de la modélisation et l’intégration au processus lui-même de la prise d’information et des moyens d’action.
L’enseignement gère comme objet le rapport entre les élèves et un contenu de savoir enseigné : ce rapport évolue à la fois selon des processus développementaux liés à l’activité autonome de l’élève en classe et hors de la classe (en cela il est dynamique) et selon les actions de l’enseignant, qui interagissent avec cette dynamique : c’est une propriété caractéristique de la gestion des environnements dynamiques.
Malgré l’ampleur des travaux dans ce champ, la modélisation de la dynamique des apprentissages des élèves et de leur interaction avec l’action enseignante est développée de manière inégale, le plus souvent partielle, même dans des domaines relativement limités comme l’algèbre élémentaire. Plus précisément, c’est pour l’interaction enseignement / apprentissage que l’on dispose de peu de modèles, et de connaissances fragmentaires sur les phénomènes en jeu.
Une raison en est la tension entre le caractère individuel de l’apprentissage (dans un domaine de savoir mathématique, dans l’enseignement obligatoire général), et le caractère de l’enseignement qui s’adresse à une classe. De AD22 Rapport de fin de projet Page 92 Axe instrumentation École et sciences cognitives : Les apprentissages et leurs dysfonctionnements plus, les informations sur les rapports des élèves et des contenus mathématiques ne sont pas directes, et doivent être construites soit par des dispositifs ad hoc (c’est d’ailleurs un des objectifs du logiciel Pépite), et en fait, inférées à partir des performances produites par les élèves.
L’action elle-même est médiatisée par l’enseignant lui-même, via les dispositifs d’évaluation qu’il utilise (devoirs, exercices, etc.). L’enseignement est ainsi la gestion d’un environnement dynamique ouvert, à longs délais de réponse et à tempo d’action multiple (du temps d’un exercice en classe à celui d’un cycle d’enseignement), avec un accès indirect au processus géré, et une diversité des dynamiques particulières des apprentissages individuels dans une même classe.
Le diagnostic dans l’ensemble de l’activité de l’enseignant
L’articulation des différentes temporalités, de l’orientation générale de la conduite de la classe sur l’année à la gestion d’un épisode de classe particulier, en passant par la conception et la préparation (anticipation) d’une séquence sur un thème ou d’une séance de classe, concerne la plupart des activités cognitives impliquées dans la gestion d’un environnement dynamique [Hoc 1996]. Les « modèles à étapes » les présentent dans une séquentialité qui est seulement celle du modèle, pas celle de l’activité réelle, mais qui permet de questionner l’organisation réelle observée.
Ils comprennent : l’identification d’un état à atteindre (un « état-cible », fixé par les programmes dans le cas de l’enseignement, et spécifié par l’enseignant, dans une certaine mesure), qu’on peut schématiser comme l’ensemble de connaissances et de compétences mathématiques que les élèves doivent avoir acquises, ou ce qu’ils doivent avoir compris de la séance ou de la séquence consacrée à un contenu (un champ conceptuel) ; l’évaluation de l’état des élèves (de la classe) par rapport aux attentes :
où en sont les élèves (la classe) par rapport au système de savoir visé ; les points de vue initiaux sur le diagnostic, issus de l’étude du diagnostic médical, ont été centrés sur la forme particulière de résolution de problème posée par cette évaluation : il s’agissait — selon ce point de vue — de classer un état observé dans des catégories connues (des symptômes à la maladie, pour faire vite).
Les études ultérieures sur des environnements dynamiques variés ont conduit à deux changements : d’une part, intégrer dans l’activité de diagnostic non seulement les opérations d’identification de l’état actuel, voire des causes de cet état (pour le faire cesser, dans le cas du diagnostic de défaillances), mais aussi l’anticipation des évolutions possibles : le pronostic ; d’autre part, ne plus voir le diagnostic comme une forme de catégorisation, ou d’identification de structure [Hoc 1996], mais comme l’évaluation d’un état de la situation (« situation assessment », [Endsley 1995], cet état pouvant d’ailleurs être considéré dans sa dynamicité ;
la recherche des voies et moyens pour atteindre l’objectif, étant donné l’évaluation de l’état (dynamique) de la situation : élaboration d’une action ou d’un ensemble d’actions entre lesquelles choisir, la décision d’action (au sens strict de détermination de l’action qui sera engagée), l’exécution de l’action retenue, le contrôle de cette action, c’est-à-dire l’évaluation de ses effets. De tels modèles à étapes de l’activité de l’enseignant peuvent être proposés pour les diverses temporalités de celle-ci. Le terme de diagnostic apparaît ainsi multiple.
De plus, les études de la prise de décision en situation naturelle ont montré que l’activité de gestion d’un environnement dynamique était moins décomposable que ne le proposaient les modèles à étapes centrés sur la rationalisation de l’activité, et en tout cas que les étapes étaient plus profondément imbriquées que dans ces modèles. En particulier, Gervais a montré dans le cas du diagnostic médical le lien étroit entre diagnostic et répertoire d’action [Gervais 1991].
Par ailleurs, l’approche proposée initialement par Klein du « naturalistic decision making » [Klein 1989] a mis en avant l’existence d’un processus qu’il a appelé « recognition-primed decision making » (prise de décision basée sur la reconnaissance de la situation). Dans un tel processus, l’expérience conduit le sujet à identifier que la situation appelle telle action, celle-ci sera ensuite mentalement exécutée et AD22
École et sciences cognitives : Les apprentissages et leurs dysfonctionnements évaluée, éventuellement révisée. En tout cas, le processus de diagnostic n’existe par pour lui-même, et n’est pas nécessairement identifiable au préalable d’une décision d’action.