Polyploïdie et éléments transposables

Polyploïdie et éléments transposables

Diversité des génomes 

Différentes structures composent les génomes des organismes vivants (Gregory, 2005 ; Lynch, 2007). Le génome ne se résume pas qu’à un ensemble de gènes codant pour des protéines. Il contient aussi des introns (i. e. séquences « non codantes » insérées à l’intérieur d’un gène), des séquences répétées non codantes (i.e. microsatellites, minisatellites, etc.), des pseudogènes (i.e. gènes ayant perdu leur capacité à produire des protéines viables), et des éléments mobiles (par exemple des éléments transposables). La proportion de ces diverses structures diffère entre les génomes d’organismes appartenant à différents règnes (Lynch, 2007), voire à différentes espèces. Les eubactéries sont quasiment dépourvues d’introns alors que les génomes des eucaryotes sont très variables et ont de 102 à 106 introns par génome (Roy et Gilbert, 2006). Chez les eucaryotes, les éléments génétiques mobiles peuvent représenter moins de 3% de la totalité du génome chez la levure à fission (Schizosaccharomyces pombe) à près de 80% chez l’orge (Hordeum vu/gare) (Pidpala, Yatsishina et Lukash, 2008). Différents mécanismes génétiques semblent être à l’origine de la variabil ité des structures des génomes (Lynch, 2007). Les mutations ponctuelles ne peuvent pas expliquer, à elles seules, la diversité des génomes des organismes vivants. Un des paramètres qui est le plus intriguant concernant la diversité des génomes est la quantité d’ADN nucléaire par cellule. En effet, cette quantité varie de manière importante à l’intérieur des embranchements phylogénétiques et partois même entre espèces proches (Gregory, 2005 ; Petrov, 2001). Cette variation ne semble pas être en relation avec la « complexité » morphologique des organismes, par exemple l’amibe Amoebia dubia a une quantité d’ADN nucléaire 200 fois plus grande que celle de l’homme Homo sapiens sapiens (Friz, 1968). La variation de la quantité d’ADN nucléaire est fréquemment accompagnée de modifications phénotypiques (Gregory, 2002 ; Gregory et Mable, 2005 ; Levin, 1983 ; Otto et Whitton, 2000 ; Vinogradov, 1995, 1997) telles que des modifications de la taille des noyaux, de la taille des cellules qui les contiennent (Gregory, 2001) et de l’activité enzymatique (i. e. enzymes impliquées dans la production d’acides aminés et au niveau de la surface cellulaire) à l’intérieur de ces dernières (Cavalier-Smith, 1978 ; Weiss, Kukora et Adams, 1975). Ces bouleversements cellulaires ont comme conséquences des altérations de la taille des organismes chez les espèces à croissance indéterminée, de leur physiologie (Cavalier-Smith, 1978 ; Weiss, Kukora et Adams, 1975), de leur taux de croissance et/ou de leur mode de reproduction (Lundmark, 2006 ; Otto et Whitton, 2000). Ces modifications phénotypiques sont le « matériel » sur lequel la sélection naturelle agit (Levin, 1983 ; Otto et Whitton, 2000). Divers mécanismes génétiques sont sous-jacents à l’évolution de la quantité d’ADN nucléaire. Des insertions et des délétions de quelques nucléotides ou de séquences complètes (duplication génique ou réplication d’éléments mobiles par exemple) modifient la taille du génome haploïde (Petrov, 2001 ; San Miguel et al. , 1998 ; Vitte et Panaud, 2005). Elle peut être brusque par l’addition de chromosomes complets (aneuploïdie) ou même de génomes complets (polyploïdie; Levin, 1983 ; Otto et Whitton, 2000).

Importance des éléments transposables 

Depuis la découverte des éléments transposables   à l’intérieur du génome du maïs (Zea mays L.) par Barbara McClintock dans les années 1940 (McClintock, 1984), un nombre croissant d’études montre qu’ils jouent un rôle important dans l’évolution des génomes (B6hne et al. , 2008 ; Capy et al. , 2000 ; Kidwell et Lisch, 2000 ; McDonald, 1995 ; Pritham , 2009). Ces séquences d’ADN ont  la propriété de se déplacer de manière réplicative (comme un copier-coller dans un traitement de texte) ou non (couper-coller) à l’intérieur des génomes. Par leur action les éléments transposables peuvent contribuer à la variation de la taille des génomes (Kidwell, 2002 ; SanMiguel et Bennetzen, 1998 ; Vitte et Panaud, 2005) et aux variations phénotypiques qui sont observées chez les organismes vivants (Aminetzach, Macpherson et Petrov, 2005 ; Gonzalez et al. , 2008 ; Kidwell et Lisch, 1997 ; Lerman et al., 2003; Promislow, Jordan et McDonald, 1999).

Diversité des éléments transposables
Chez les eucaryotes, les éléments transposables sont divisés en différentes classes . La classe 1 est constituée d’éléments transposables, communément appelés rétrotransposons, transcrits en ARN par l’ARN polymérase du génome hôte, recodé en ADN via une transcriptase inverse et réinséré dans le génome. Les rétrotransposons sont divisés en deux sous-classes: les rétrotransposons à L TR (Long Terminal Repeat) et les rétrotransposons sans-L TA. Ces derniers se divisent encore en deux groupes, les UNEs (Long Interspersed Elements) et SINEs (Short Interspersed Elements) (B6hne et al., 2008). Les UNES sont constitués de deux gènes principaux codant pour une réverse transcriptase et une endonucléase. Les SINEs ne codent pour aucune protéine leur permettant de se transposer mais sont évolutivement proches des LlN Es. Les transposons (classe Il) se déplacent à l’intérieur du génome sans passer par la phase ARN. Cette classe regroupe différents éléments transposables (Wicker et al., 2007). Les transposons de la sous classe 1 sont des éléments flanqués de séquences terminales inversées répétées (TIR). Ils codent pour une transposase permettant au transposon de s’intégrer à un autre site dans le génome. Des transposons ne codant pour aucune protéine qui leur permettrait de se déplacer dans le génome mais possédant des TIRs (MITEs) ont été rencontrés dans de nombreux organismes (B6hne et al. , 2008 ; Casacuberta et Santiago, 2003 ; Feschotte, Zhang et Wessler, 2002 ; Shan et al., 2005). Les transposons de la sousclasse 2 regroupent des transposons découverts récemment (Hélitrons et Mavericks) et ne possédant pas de gène codant pour une transposase (Kapitonov et Jurka, 2001 ; Pritham, Putliwala et Feschotte, 2007 ; Wicker et al. , 2007). Les Hélitrons codent pour une hélicase produisant un simple brin d’ADN qui s’intégrera par la suite à un site cible (Kapitonov et Jurka, 2001). Les transposons Mavericks ou Polintons codent pour plusieurs protéines dont une intégrase et une protéine homologue d’ADN polymérase (Pritham, Putliwala et Feschotte, 2007). Le mécanisme de transposition de ces éléments pourrait impliquer une réplication extrachromosomale par une polymérase et une intégration de l’ADN double-brin par une intégrase (B6hne et al., 2008). Les éléments transposables sont dits autonomes s’ils possèdent les gènes codant pour leur propre transposition et non autonomes si les éléments transposables sont dépendants des enzymes codés en tfans par un autre élément mobile ou par le génome hôte (Kidwell et Lisch, 2001 ; Shan et al., 2005).

Éléments transposables et sélection naturelle
Dû à leur prévalence dans le génome du maïs, Barbara McClintock avait supposé un rôle bénéfique des éléments transposables pour l’hôte (Gonzalez et Petrov, 2009). Toutefois, Hickey (1982) a suggéré que la prévalence des éléments transposables pourrait être expliquée par leur seule capacité à se répliquer. Selon différents études, la distribution des éléments transposables essentiellement dans les parties non codantes du génome de Orosophila melanogaster aurait pour cause une sélection purificatrice des insertions aux niveaux des gènes codants (Bartolomé, Maside et Charlesworth, 2002 ; Biémont, 1992 ; Dolgin et Charlesworth, 2008 ; Finnegan, 1992; Montgomery, Charlesworth et Langley, 1987). Les éléments transposables ont donc été vus comme de l’ADN parasite amenant une baisse de la fitness de leur hôte (Doolittle et Sapienza, 1980 ; Hickey, 1982 ; Orgel et Crick, 1980 ; Yoder, Walsh et Bestor, 1997). Toutefois des insertions en amont ou dans des gènes codant sont fixées dans certaines populations (Gonzalez et Petrov, 2009). Certaines mutations induites par l’insertion d’éléments mobiles pourraient être adaptatives pour leur hôte (Kidwell et Lisch, 1997 ; Kidwell et Lisch, 2001 ; McDonald, 1995). L’insertion de transposons dans des régions promotrices de certains gènes peuvent modifier leur expression et avoir une forte influence sur les phénotypes des organismes qui les portent (Britten, 1996 ; Kidwell et Lisch, 1997). Chez la drosophile, des éléments transposables sont impliqués dans la réponse à des stimuli extérieurs et auraient des rôles adaptatifs tels que la résistance aux insecticides ou l’adaptation à la température (Gonzalez et Petrov, 2009). Chez la drosophile, les télomères, séquences assurant l’intégrité des chromosomes, seraient protégés par deux rétrotransposons (Pardue et al., 2005). Des éléments transposables « domestiqués», i.e. de nouveaux gènes avec des fonctions bénéfiques pour l’hôte seraient issus d’éléments transposables auraient été recontrés dans divers génomes séquencés (International Human Genome Sequencing Consortium, 2001 ; Sarkar et al., 2003 ; Volff, 2006).

Dynamique et distribution des éléments transposables
Les éléments transposables sont présents dans la quasi-totalité des organismes vivants (Pritham, 2009 ; mais voire Shigenobu et al., 2000) et la proportion du génome qu’ils constituent est variable chez les eucaryotes (Pidpala, Yatsishina et Lukash, 2008). Ils sont une source de variabilité importante, représentant à peu près de 50 à 85 % des mutations spontanées chez Drosophila melanogaster (McDonald, 1998).

Le cycle de vie classique d’un transposon de classe Il   commence par son insertion dans un génome, s’ensuit une phase active où il se déplace et/ou se multiplie et enfin, dans la majorité des cas une mise sous-silence par des phénomènes génétiques ou épigénétiques dépendant de l’hôte et une accumulation de mutations conduisant à une inactivation (Kidwell et Lisch, 2001). Les éléments transposables peuvent se transmettre soit des parents vers leur progéniture (i.e. transfert vertical) soit d’un organisme vers un autre sans lien de parenté (i.e. transfert horizontal). Les mécanismes de transferts horizontaux sont mal connus mais pourraient se faire via des infections virales, bactériennes ou parasitaires (Pace et al. , 2008 ; Yoshiyama et al., 2001). Les éléments transposables de classe Il, sont plus enclins aux transferts horizontaux que les rétrotransposons. Ceci est probablement dû au fait que les molécules d’ADN sont plus stables chimiquement que les molécules d’ARN (Silva, Loreto et Clark, 2004).

La dynamique des populations hôtes a un impact important sur la dynamique des populations d’éléments transposables (Charlesworth et Charlesworth, 1983 ; Charlesworth, Langley et Sniegowski, 1997 ; Charlesworth et Wright, 2001). Une augmentation du nombre d’insertions d’éléments transposables dans les génomes hôtes est attendue si la taille effective des populations hôtes baisse (Brookfield et Badge, 1997), ou si le niveau d’endogamie (i.e. union entre individus appartenant à un groupe ou à un sous-groupe et qui sont le plus souvent apparentés) augmente dans la population (Wright et Schoen, 1999). Le mode de reproduction a une influence sur la dynamique des éléments transposables et leur densité (i.e. nombre d’insertions) dans le génome (Bestor, 1999 ; Charlesworth et Charlesworth, 1995 ; Schaack et al. ; Schaack et al., 2010b ; Wright et Finnegan, 2001 ; Zeyl, Bell et Green, 1996). La plupart des études ont considéré les éléments transposables comme des mutations neutres ou réduisant la « fitness » de leur hôte. Même s’ils sont légèrement délétères pour leur hôte, les éléments transposables devraient se répandre dans les différents génomes hôtes via les phénomènes de recombinaison et de fécondation croisée entre individus distincts (i.e. allogamie) dans des populations sexuées (Wright et Finnegan, 2001) alors qu’en absence de transfert horizontal, l’accroissement des éléments transposables serait empéché dans les populations asexuées (Arkhipova et Meselson, 2000 ; Gladyshev, Meselson et Arkhipova, 2008). Des études empiriques ont testé ces hypothèses (Arkhipova et Meselson, 2000 ; Gladyshev, Meselson et Arkhipova, 2008 ; Schaack et al., 2010b ; Valizadeh et Crease, 2008 ; Zeyl, Bell et Green, 1996). Par exemple, les transposons et rétrotransposons se retrouvent dans les génomes des rotifères pour lesquels la reproduction sexuée est connue. Dans les génomes des rotifères Bdelloïdes, dont les formes sexuées sont inconnues, les éléments transposables de classe Il sont continuellement intégrés via des transferts horizontaux alors que les rétrotransposons ont été éliminés et sont absents (Arkhipova et Meselson, 2000 ; Gladyshev, Meselson et Arkhipova, 2008).

Table des matières

Chapitre 1: Introduction générale
1.1 Polyploïdie et éléments transposables
1 .1.1 Diversité des génomes
1.1.2 Importance des éléments transposables
1.1.3 Importance de la polyploïdie chez les eucaryotes
1.1.4 Interaction entre polyploïdie et éléments transposables
1.1.5 Importance d’un modèle animal et objectif de la thèse
1.2 Le complexe Daphnia pu/ex: Un modèle animal approprié?
1.2.1 Taxonomie et écologie
1.2.2 Hybridation et polyploïdisation
1.2.3 Mode de reproduction
1.2.4 Les éléments transposables chez Daphnia pu/ex
1.3 Objectifs du premier chapitre
1.3.1 Etude de la taille de génome
1.3.2 Étude de la polyploïdie
1.4 Objectifs du deuxième chapitre
1.4.1 Relations évolutives et spéciation
1.4.2 Hybridation dans le complexe Daphnia pu/ex
1.5 Objectifs du troisième chapitre
1.5.1 Hybridation et diversité des allèles du transposon Pokey
1.5.2 Effet de la polyploïdie sur le transposon Pokey
Chapitre II
2.0 Résumé
2.1 Abstract
2.2 Introduction
2.3 Material and methods
2.3.1 Daphnia collection
2.3.2 Clone identification
2.3.3 Phylogenetic analyses
2.3.4 Multilocus genotypes
2.3.5 Flow cytometry
2.4 Results
2.4.1 Clone identification
2.4.2 Polyploid diversity and ploidy level
2.4.3 Genome sizes and ploidy level
2.5 Discussion
2.5.1 Genome size in diploid members of the Daphnia pu/ex complex
2.5.2 Evolution of polyploidy in the Daphnia pulicaria group
2.5.3 Genome size evolution of D. tenebrosa polyploids
2.5.4 Origins of polyploidy in the pulicaria lineage
2.5.5 Importance of triploidy in the D. pu/ex complex
2.6 Acknowledgments
Chapitre III
3.0 Résumé
3.1 Abstract
3.2 Introduction
3.3 Material and methods
3.3.1 Samples and DNA extraction
3.3.2 PCR amplifications
3.3.3 Phylogenetic Analyses of ND5 and Rab4 subunit of the GTPase family
3.3.4 Tests of congruencies between trees
3.3.5 Coalescent approach to test the hybridization hypothesis
3.3.6 Microsatellite analyses
3.4 Results
3.4.1 Diversityof ND5 haplotypes
3.4.2 Rab4 gene tree and comparisons with mitochondrial ND5 gene tree
3.4.3 Microsatellite analyses
3.5 Discussion
3.5.1 Genetic relationships between D. pu/ex and D. pulicaria
3.5.2 Polyploidy in the pulicaria clade
3.5.3 Genetic relationships among species of the tenebrosa clade
3.5.4 Genetic relationships between species from D. pulex complex
3.5.5 Phylogenetic incongruence and lineage sorting in a species complex
Conclusion

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