Polonais-es et Juif-ve-s polonais-es réfugié-e-s à Lyon (1935-1945) : esquives et stratégies
La Drôle de guerre 1 er septembre 1939 – 10 juillet 1940 « 28 août [1939]
Je me décide à commencer ce cahier, sentant que cette fois, la guerre, nous n’y échapperons pas. […] La guerre est là, sera là dans un jour, dans une heure, et […] je sais que mon heure approche. Et je vais me répétant – la guerre – la guerre… »585 Jean Malaquais, Malacki de son vrai nom, prix Renaudot 1939 pour Les Javanais, Juif polonais venu en France en 1925 car c’est « LE pays où il faut vivre, LE pays où il faut étudier »,586 se prépare à prendre sa place dans les rangs de l’armée française. Nous verrons quelle aide la France apporte alors à son alliée polonaise attaquée par les troupes allemandes le 1 er septembre 1939 et comment, alors que la défaite est inéluctable, des milliers de soldats et officiers polonais franchissent les frontières de leur pays, abandonnant leur famille, dans le seul but de continuer le combat en France. À la violence physique et psychologique de cette défaite, s’ajoute donc la nécessité de quitter le pays. Mais l’espoir est là. L’espoir qu’avec le gouvernement polonais en exil en France, la constitution d’une armée polonaise en France permettra à la Pologne de se battre aux côtés de son alliée. Nous détaillerons comment ce processus a été rendu possible, tant par l’intérêt de la France pour ces hommes que par l’évidente motivation de la Pologne. Dans le même temps, nous nous attacherons à présenter les Juifs polonais installés en France qui, comme la grande majorité des étrangers, s’adressent en masse au bureau de recrutement de la Légion française afin de s’engager. Ils sont volontaires, veulent défendre la France qui les a accueillis et devenir Français, selon la promesse des autorités gouvernementales d’accélérer les procédures de naturalisation de tous les volontaires étrangers qui en feraient la demande. Nous verrons comment ces hommes sont accueillis dans la Légion en même temps que nous évoquerons la base aérienne de Bron où sont cantonnés les aviateurs polonais dans l’attente des combats. Le 10 mai 1940, un premier bombardement a lieu à Lyon en même temps que la Belgique est attaquée et que des flots de réfugié-e-s déferlent sur la France. Ils-elles sont bientôt rejoint-e-s par celles et ceux vivant en France dans ce vaste mouvement de population qu’est 585 MALAQUAIS Jean, Journal de guerre suivi de Journal du métèque 1939-1942. Paris : Phébus, 1997, p. 21. 586 Entretien de Jean Malaquais avec Dominique Rabourdin, 20 février 1996. 198 l’exode.587 Précipitation de millions d’êtres sur les routes, dans le désordre et la panique de la défaite que la débâcle esquisse rapidement. Lyon connaît de nouveaux bombardements en juin 1940, accueille les réfugié-e-s, dont le recensement est néanmoins ordonné pour faire la distinction entre réfugié-e-s et usurpateur-trice-s. L’esprit de suspicion gagne et ne cessera de s’amplifier aux cours des années noires. Puis, survient sur les ondes de la radio, la voix chevrotante du Maréchal Pétain qui déclare, le 17 juin 1940, que « c’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ». I- POLOGNE 1939 –FRANCE 1940 A-Pologne, 1°septembre 1939 Varsovie 1er septembre « C’était le 1er septembre 1939. On allait vers l’automne, mais il faisait encore très chaud. Depuis des années, nous n’avions pas eu un été aussi beau. […] le 31 août, la soirée était splendide. […] nous nous sommes couchés tard. […] Nous dormions fenêtres ouvertes. À cinq heures du matin, nous fûmes réveillés par de fortes explosions. Je me précipitai vers la fenêtre. Le ciel était rouge sang. L’aviation ennemie avait attaqué l’aérodrome militaire de Ruda Pabianicka. Les avions polonais contre-attaquèrent l’assaillant. […] Nous restâmes pendant quelques temps à la fenêtre, sans dire un mot. ‘Ce sont des Allemands’, chuchota Pola. Le jour se leva. Le camp d’aviation à Ruda n’était plus qu’un amas fumant de décombres » 588 Varsovie, 7 septembre 1939. « Asa Heshel fut réveillé par le grondement des avions et les rafales de mitrailleuses. La chambre était inondée de soleil. […] Il bondit du lit et s’habilla. Dehors, le fracas avait cessé. Par les fenêtres ouvertes, on entendait les postes de radio marcher à plein volume, des enfants crier. La cour était pleine de gens qui parlaient, gesticulaient et pointaient un doigt vers le ciel. […] Barbara mit la radio. Le présentateur ne parlait que de nos victoires : nos troupes héroïques repoussaient l’ennemi sur tous les fronts […]. Dans la péninsule de Hela, nos braves soldats résistaient magnifiquement. L’ennemi était repoussé de l’île de Westerplatte, proche de Dantzig, des avions français et anglais bombardaient les usines allemandes de la Ruhr. D’énormes manifestations de protestation avaient lieu en Amérique. Le président Roosevelt annonçait une réunion d’urgence de son cabinet. Les bulletins d’informations étaient émaillés de musique et d’instructions données à la population : que faire pendant les bombardements, comment s’occuper des blessés. Puis, à nouveau des nouvelles, des ordres, des promesses réconfortantes. […] Dans la rue, il y avait foule […]. Les gens se bousculaient sur les trottoirs jusqu’au milieu de la chaussée. Ils portaient des valises, des paquets, des baluchons. Sur un bout de terrain vague jonché de débris et de planches des Juifs et des Gentils creusaient ensemble une tranchée. […] De nombreux piétons portaient des vêtements semi-militaires : des filles en vareuse, des hommes un casque sur la tête. Des infirmières, des brancardiers tentaient de se frayer un passage. Certains civils avaient un masque à gaz à l’épaule. […] Dans le quartier juif aussi une foule se pressait. […] Une bombe venait d’exploser à proximité, mais on ne savait pas où exactement. […] L’air était chargé de poussière, comme après un incendie, ou une éclipse de soleil. […] À nouveau les avions volaient bas, les mitrailleuses crépitaient, les bombes explosaient. Quand les sirènes sonnèrent la fin de l’alerte, […] les rues furent à nouveau pleines de monde. À la radio, on venait de donner l’ordre à tous les hommes en âge de servir dans l’armée de quitter la ville. Une foule qui ne cessait de grossir se dirigeait vers les ponts menant à Praga. Certains allaient à pied. D’autres empruntaient toutes sortes de véhicules, des charrettes, des droshkys, des carrioles, des motos, des cars, des taxis. Une limousine tentait de se frayer un passage et on apercevait derrière la vitre des femmes très élégantes, un petit chien sur les genoux. Place Grybov, […], l’église à moitié détruite avait été transformée en hôpital. Des religieuses s’occupaient des blessés. Du sang éclaboussait les larges marches de l’entrée. Il y avait tant de tués, qu’on ne parvenait pas à enlever les cadavres. »589 Six jours plus tôt, jeudi 31 août 1939, la radio allemande a diffusé de longs communiqués qui ont retracé l’historique de la crise polonaise et en ont rejeté la responsabilité sur la Pologne.590 Dans la soirée, les journalistes radiophoniques ont également rapporté que des incidents ont eu lieu à la frontière germano-polonaise et au petit matin du 1er septembre, des cadavres de soldats allemands sont retrouvés. Hitler donne alors l’ordre à ses troupes massées sur la frontière de pénétrer sur le territoire polonais sans déclaration de guerre préalable. La Seconde Guerre mondiale vient de commencer et, dès les premières heures, la guerre atteint son paroxysme : bombardements des agglomérations, mitraillages des trains et des colonnes de civil-e-s qui fuient sur les routes l’avancée allemande et dont la presse française se fait l’écho,591 préfigurent et préparent directement les exodes catastrophiques de mai-juin 1940 en France. Dans le même temps, ces attaques font la démonstration de la violence et de la détermination d’Hitler à mener une guerre totale. Qu’importe pour lui que ces soldats allemands soient en réalité douze détenus sortis des camps de concentration qui ont été revêtus d’uniformes de la Wehrmacht avant d’être exécutés et jetés en pâture. Qu’importe qu’Hitler ait fabriqué le prétexte à son invasion – ce que l’ambassade polonaise dénonce immédiatement – pourvu qu’il puisse mener sa campagne programmée de destruction de la Pologne. Le 6 septembre, quand Varsovie est directement menacée, des centaines de milliers de personnes partent vers le Sud avec les unités militaires qui les rejoignent et tentent de franchir la frontière vers la Hongrie ou la Roumanie. Pourtant, rien n’est perdu puisque la France et la Grande-Bretagne, fidèles à leurs engagements vis-à-vis de leur alliée polonaise, ont déclaré la guerre à l’Allemagne après une ultime injonction à cesser ces attaques. Alors que la Pologne subit cette nouvelle tactique de combat où les civils sont les cibles d’une aviation qui mitraille les trains de la Croix-Rouge, lâche ses bombes jusque dans les champs, mais aussi les cloîtres592 n’épargnant rien ni personne, les regards se tournent vers la France et la Grande-Bretagne. Le gouvernement français a annoncé la mobilisation générale le 3 septembre, les hommes se préparent pour que la France puisse tenir ses engagements. À la Chambre des députés lors de la session extraordinaire de ce même 3 septembre, les mots prononcés par Edouard Herriot célèbrent le courage « légendaire » de la Pologne, cette « nation de passion et de culture » et il conclut : « La France aborde le péril la tête haute, la conscience pure. […] Elle sera sans reproche, elle est sans peur ».593 Ses paroles ont un profond retentissement, ce qui prouve, selon le journal Le Temps, qu’il a « excellemment traduit le cri de conscience du Parlement et du Pays ».594 Quant à Edouard Daladier, il déclare dans un langage sobre et digne que « l’honneur et les intérêts vitaux de la patrie exigeaient que les obligations contractées envers l’héroïque Pologne fussent scrupuleusement remplies. Cela, la France le sait, la France le veut ».595 À l’annonce de la nouvelle, les Varsovien-ne-s s’enthousiasment et une foule dense se dirige vers l’ambassade de France au son de La Marseillaise dont ils-elles entonnent quelques couplets. « Toutes les classes de la société, tous les âges sont mêlés ; des étudiants, des vieillards, des ouvriers, des bourgeois, des intellectuels, des femmes se succèdent par milliers sous les fenêtres [de l’ambassade] ».596 Le journal Le Temps rapporte qu’une « émotion indescriptible s’est emparée du peuple. […] Les maisons ont été pavoisées spontanément de drapeaux polonais et alliés »,597 toutes les villes et les campagnes de Pologne manifestent leur reconnaissance à la France et à la Grande-Bretagne pour leur soutien. Mais quels sont les engagements de la France vis-à-vis de la Pologne ? B- Les engagements de la France Au 1er septembre 1939, l’engagement militaire théorique de la France vis-à-vis de la Pologne est fort. Dans l’hypothèse d’une agression non provoquée par la Pologne, et par l’accord et la convention militaires des 19 et 21 février 1921, elle est en mesure de demander à la France de lui prêter un concours militaire « efficace et rapide ». Selon les termes de l’ambassadeur Léon Noël, il s’agit d’une alliance « à la vie à la mort ». Il est intéressant de noter qu’il ajoute ensuite que « la France [a] donn[é] sa foi à la Pologne, sans avoir pesé autant qu’il eût fallu, les conséquences possibles de sa promesse et les possibilités de l’exécuter ».598 De plus, en mai 1939, un accord militaire, dont le protocole n’est paraphé que le 4 septembre, vient compléter le dispositif, mettant en avant trois points essentiels : – La France s’engage à fournir des armements et des munitions à son alliée, – La France s’engage à bombarder l’Allemagne, – Un calendrier est établi par l’armée française et précise les points suivants : Au quatrième jour après l’achèvement de la mobilisation, des escarmouches sont prévues sur la frontière franco-allemande ; l’essentiel des troupes interviendrait seulement à partir du quinzième jour après la fin de la mobilisation. Cet accord militaire démontre bien que l’armée française envisage un engagement sur le terrain plutôt lent et partiel. Jean Malaquais s’interroge dans son Journal de guerre : « Si je ne me trompe, c’est sous prétexte de défendre la Pologne que la France et l’Angleterre ont eu le hoquet du siècle. Or la Pologne, tandis qu’Hitler la saigne jusqu’à son dernier uhlan, ses présumés défenseurs se hâtent de ne rien faire pour lui venir en aide. Serait-ce qu’à l’égal de la Tchécoslovaquie et de l’Autriche en 1938, de l’Espagne en 1936 […] et j’en passe, la Pologne à son tour est le dindon de la sanglante partie dont le Première Guerre a été le prélude ? Ou bien est-ce que, révélation divine, les États dits démocratiques se sont avisés in extremis que la Pologne des Polonais n’en valait pas la chandelle […] ? ». En effet, rien ne se passe, et pour cause, l’inaction anglaise est totale et l’action française minime.599 Ainsi, l’aide française sur la frontière franco-allemande se révèle non seulement tardive mais peu engagée. Sur terre, « en dépit du fait que ce front [est] presque totalement dégarni par les troupes allemandes, et que donc leur potentiel militaire [est] largement supérieur à celui des Allemands sur le Rhin »,600 à la date dite, des combats avec chars sont engagés, mais à petite vitesse et à faibles effectifs, c’est-à-dire une dizaine de divisions dont six d’actives. L’avancée est de quelques kilomètres, une vingtaine de villages sont occupés. Lors du premier conseil supérieur interallié du 12 septembre à Abbeville, les Anglais sont les premiers à demander à ce que l’offensive française soit stoppée « en raison des mauvaises nouvelles reçues de Pologne. L’exposé de Gamelin, annonçant qu’il renonçait à toute offensive et qu’il envisageait le retrait des forces quelque peu avancées »,601 soulage les Anglais. À la suite de cette décision, les troupes s’arrêtent, puis font demi-tour. Dans les airs, il est prévu que les aviations française et anglaise bombardent des objectifs militaires en Allemagne, mais les alliés redoutent les représailles de l’aviation allemande et estiment ne pas devoir prendre l’initiative des bombardements. Le seul largage opéré audessus du territoire allemand est effectué dans la nuit du 4 au 5 septembre 1939 par l’aviation anglaise lors d’une « action intensive de reconnaissance » 602 : il s’agit de tracts intitulés « avertissement de la Grande-Bretagne au peuple allemand » où on peut lire, ce que note avec ironie l’historien Tadeusz Wyrwa « cette guerre est totalement inutile ».603 En Pologne, les autorités gouvernementales ont commencé à quitter la capitale dès le 5 septembre. De repli en repli, elles sont le 14 septembre à la frontière roumaine. Alors que l’armée polonaise est à bout de souffle, à la date convenue entre Hitler et Staline, c’est-à-dire le 17 septembre, les troupes soviétiques pénètrent sur le territoire polonais, avec le prétexte de sauvegarder les intérêts de l’URSS du fait que l’État polonais et son gouvernement ont cessé d’exister de facto. À cette annonce, « les ministres, les hauts fonctionnaires, les éléments du grand quartier général reflu[ent] vers Kuty [station estivale à la frontière polono-roumaine], pour éviter d’être capturés ». L’ambassadeur de France à Varsovie, Léon Noël et auteur de ces lignes poursuit : « Au début de l’après-midi, je vis arriver le Président Moscicki ; accompagné d’une suite peu nombreuse, il se dirigeait vers le 599 MICHEL Henri, France, Grande-Bretagne et Pologne (mars-août 1939). Les relations franco-britanniques de 1935 à 1939. et franchissait le pont du Czeremosz. Les autorités polonaises ont l’intention d’obtenir l’autorisation de la Roumanie pour traverser ce pays afin de gagner la France et de continuer la guerre avec l’armée polonaise que l’on y forme. La Roumanie, qui a déclaré sa neutralité dès le 6 septembre, accepte le passage non officiel du Président Moscicki et de son gouvernement. Dans le même temps, le général Sikorski donne ordre aux jeunes Polonais d’essayer de gagner la France. Cet ordre s’adresse en particulier aux pilotes, mécaniciens, marins et artilleurs.605 Au total, au début du mois d’octobre, 30 000 militaires sont passés en Roumanie, 40 000 en Hongrie et toute une organisation est par la suite mise en place pour les faire venir en France. Ils ne seront pas les seuls puisque parmi les réfugié-e-s, figurent des civil-e-s qui vont eux-elles-aussi tenter de rejoindre la France. C-Réfugié-e-s de Pologne Ainsi, des milliers d’hommes et de femmes viennent se réfugier en France en 1939-1940, mais pour comprendre qui ils-elles sont, il est nécessaire de prendre en considération les intérêts de la France qui les accueille. En effet, après la défaite polonaise et le passage du gouvernement et des restes de l’armée en Roumanie, la France cherche à tirer profit de cette situation. 1)Changement de gouvernement polonais. Lorsque le gouvernement polonais pénètre en Roumanie le 17 septembre, on sait qu’il a l’intention d’obtenir des autorités roumaines l’autorisation de traverser le territoire afin de gagner la France et de continuer la guerre avec l’armée polonaise que l’on y forme. Ce même 17 septembre, quelques heures après avoir pris connaissance de l’invasion soviétique, le ministre des Affaires étrangères Joseph Beck dépose donc auprès de Léon Noël la demande officielle que la France puisse accueillir sur son territoire le gouvernement polonais. Cependant, sous prétexte que toute activité du gouvernement polonais en Roumanie est une atteinte à sa neutralité, et compte tenu du non-respect de la clause de ‘non officialité’ de cette entrée sur son territoire, la Roumanie décide de l’internement des autorités polonaises dans différentes villes du pays ainsi que de tous les militaires. La pression allemande n’est pas étrangère à cette décision qui fait écho à l’ordre transmis par le général Sikorski. Le Président Moscicki n’a désormais aucune marge de manœuvre car la constitution de 1935 précise que si le chef de l’État est dans l’incapacité totale d’exercer sa tâche, il doit désigner « son successeur par acte spécial publié dans le journal officiel du gouvernement ».606 La pression exercée par la France est telle que toute nomination d’un membre ou d’un partisan du pouvoir en place ne saurait être acceptée par le gouvernement français.607 Daladier dans ses messages télégraphiés à son ambassadeur en Roumanie évoque même la possibilité que la France puisse refuser purement et simplement l’accès de son territoire à quelque gouvernement polonais que ce soit, si les conditions ne sont pas respectées par Moscicki.608 Il faut comprendre par là que la France veut mettre en place un gouvernement polonais en exil issu de l’opposition. Au terme de tractations, Edouard Daladier adresse finalement un télégramme qui comporte une liste de quatre présidentiables : le cardinal Hlond primat de Pologne, le compositeur Ignacy Paderewski, l’ancien ministre August Zaleski et l’ancien président du Sénat polonais Wladyslaw Raczkiewicz.609 Le Président Moscicki se prononce pour Wladyslaw Raczkiewicz, qu’il nomme dans la nuit du 29 au 30 septembre 1939 Président de la République de Pologne, avant de se démettre de ses fonctions quelques heures plus tard. Le 30 septembre 1939, peu avant midi, Wladyslaw Raczkiewicz prête serment dans les locaux de l’ambassade de Pologne à Paris,610 et dans l’après-midi, il fait connaître le nom de son premier ministre, le général Wladyslaw Sikorski, fervent opposant au régime d’avant-guerre, francophile et qui devient le véritable chef de l’État alors que le Président se tient à l’écart de la conduite des affaires. Le gouvernement, sur décision d’Edouard Daladier, s’installe à Angers et commence à travailler. Il est notable que la France ne se contente pas de faire pression pour œuvrer à la mise en place d’un gouvernement qui lui soit favorable, mais elle s’intéresse également au potentiel militaire et économique que représentent les soldats polonais. 2)La France s’intéresse aux hommes L’idée de constituer une armée polonaise en France se concrétise avec la défaite polonaise. Très rapidement, on réalise le potentiel que représentent ces hommes, militaires et civils, internés dans des camps en Roumanie, Hongrie, mais aussi dans les États Baltes. Dès lors, toute une organisation est mise en place pour leur acheminement vers la France. Tadeusz 606 Archiwum Akt Nowych (Archives des Actes Nouveaux), Varsovie, Pologne, dossier n° 322 MSZ Constitution Polonaise 1935. Cité par FRANCIA Sylvain, Le gouvernement et l’armée polonaise en France de septembre 1939 à juin 1940, Kalita en a fait le récit.611 Dans la nuit du 18 au 19 septembre 1939, après avoir durement résisté aux attaques allemandes, ce chef de section passe la frontière hongroise avec quarante hommes placés sous son commandement. Il est interné alors à Miskolcz, puis transféré le 28 septembre au camp de Balassagyarmat. C’est par hasard qu’il obtient de l’aide d’un avocat hongrois polonophile qui lui permet d’entrer en contact avec l’ambassade de Pologne à Budapest où il se rend grâce à des complicités qui lui ont notamment fourni des vêtements civils. Cependant, arrivé à l’ambassade de Budapest, on l’informe que « pour les évasions et les volontaires pour la France, il faut aller à la mission militaire à Pest » 612 où il est finalement pris en charge par la Mission militaire polonaise. La première étape de son évasion pour la France nécessite des faux papiers et un passeport. Cette ‘formalité’ remplie, Tadeusz Kalita ainsi que d’autres candidats à l’évasion, patientent dans l’ambassade de Pologne pendant trois jours. Le soir du 19 novembre, soit deux mois après son entrée en Hongrie, il part avec un groupe d’une trentaine d’hommes en direction de la gare. « Éparpillés dans les wagons, sans savoir où ils vont, ils descendent à Bartcz, à 80 km environ de la capitale. Ils y restent jusqu’au 14 décembre, jour du signal donné pour franchir le fleuve Drava. Au matin du 15 décembre, après avoir marché, ils arrivent à quelques km de Zagreb. »613 De là, ils sont alors conduits à la prison de Zagreb où ils sont mis en cellule et entassés tandis qu’un envoyé consulaire de la Pologne leur fournit des vivres et leur demande de patienter. Trois jours plus tard, avec la complicité du sous-directeur de la prison, Tadeusz Kalita sort enfin par une porte dérobée. Dans la mesure où la gestapo connaît l’existence de la filière yougoslavo-hongroise, la prudence est de mise. Au consulat polonais de Zagreb, le groupe reçoit de la nourriture avant de prendre la direction de Knit, dans un centre de formation. Tadeusz Kalita y reste près d’un mois et y apprend le français. Enfin, le 14 janvier 1940, avec un quarantaine d’autres hommes, il part en train pour Split, avant d’être convoyé par camion sur les bords de l’Adriatique. Là encore, il faut attendre dans des conditions de vie précaire et au rythme d’un départ par semaine. Tadeusz Kalita comprend que l’attente risque de durer. Finalement, au soir du 31 janvier, un guide yougoslave l’emmène jusqu’au bateau qui doit le prendre en charge. Il faut trois jours et quatre nuits pour rejoindre Marseille où il subit des contrôles d’identité et patiente jusqu’au trois mars avant de partir en train pour Paris, caserne Bessière. Quatre mois et demi se sont ainsi écoulés depuis qu’il a franchi la frontière hongroise.
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