Politique fiscale de l’Union européenne
La mondialisation et la numérisation de l’économie ont entraîné de profonds bouleversements des régimes fiscaux et considérablement accru la mobilité géographique du point de vue fiscal. Ces bouleversements ont suscité une concurrence entre les régimes fiscaux, ce qui fait craindre un impact sur l’équité et les conditions inégales de politique fiscale à l’échelle mondiale. La crise financière et économique est venue mettre l’accent sur la politique fiscale, ce qui a poussé les États membres de l’Union européenne à augmenter rapidement les impôts afin de générer les recettes nécessaires au financement des dépenses, à la réduction des déficits budgétaires et à l’assainissement des finances publiques. La lutte contre l’évitement de l’impôt, l’évasion fiscale et la fraude est également l’une des priorités de l’Union et des gouvernements nationaux, dont le but n’est pas uniquement de récupérer les recettes fiscales non perçues, mais aussi de renforcer la justice fiscale dans l’intérêt des budgets publics et des contribuables de l’Union. La politique fiscale devrait contribuer à faire face aux défis économiques et sociaux actuels, et notamment à stimuler la croissance économique et monétaire. À cet effet, la lettre de mission1 remise au commissaire Pierre Moscovici, chargé de la politique fiscale, insiste en particulier sur l’importance des régimes fiscaux: «Tout en reconnaissant la compétence des États membres, il est essentiel de moderniser les régimes fiscaux pour réaliser les objectifs prioritaires du semestre européen de coordination des politiques économiques. Les réformes devraient notamment encourager un élargissement de l’assiette fiscale, l’allègement de la charge fiscale sur le travail en privilégiant d’autres bases d’imposition et lutter contre le statut privilégié de la dette dans l’impôt des personnes physiques et des sociétés. Il convient également de déployer tous les efforts possibles en vue de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales». La politique fiscale se trouve à la croisée des chemins: elle reste une compétence nationale, mais nécessite une coopération et une coordination croissantes au niveau de l’Union comme au niveau international pour faire face à des problèmes et défis spécifiques. 2. La fiscalité dans l’Union européenne 2.1. La fiscalité en perspective 2.1.1. Comment l’Union s’est trouvée impliquée dans les questions fiscales Les traités comprennent des aspects fiscaux depuis les débuts de l’Union. Les questions fiscales sont néanmoins restées étroitement liées à la souveraineté des États membres (tout comme les questions liées à la police et aux forces armées). Elles sont protégées par l’exigence d’unanimité et par une procédure législative spéciale qui place fermement les questions fiscales sous le contrôle du Conseil. Parallèlement, les traités de l’Union [et avant cela le traité instituant la Communauté économique européenne (CEE) et le traité instituant la Communauté européenne (CE)] ont traité de manière spécifique la nécessité d’harmoniser les dispositions nationales 1 Lettre de mission du président de la Commission Jean-Claude Juncker, datée du 10 septembre 2014. Introduction Politique fiscale de l’Union européenne Page 5 de 32 en matière de fiscalité indirecte (taxe sur le chiffre d’affaires et taxe sur la valeur ajoutée (TVA) droits d’accises et autres impôts indirects), en raison de leur potentiel de distorsion du marché unique. L’harmonisation de tous les principaux éléments de la taxe sur la valeur ajoutée remonte à 19672 , et celle des droits d’accises remonte au début des années 19703 . L’harmonisation de ces impôts est nettement plus avancée que dans le cas des impôts directs, qui ne sont pas mentionnés dans les traités. Cependant, les principes fondateurs du marché unique (et notamment la libre circulation des services et la nondiscrimination) font que les compétences de l’Union s’étendent désormais aux impôts directs du fait du compromis entre les dispositions fiscales nationales et le marché unique. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)4 a ainsi été amenée à statuer sur l’articulation entre les dispositions fiscales nationales et le marché unique. Dans plusieurs affaires, elle a invalidé des dispositions fiscales nationales. La fiscalité directe a été abordée en particulier par le biais des mesures visant à supprimer les obstacles fiscaux et à prévenir la concurrence fiscale.
Principales dispositions européennes pertinentes en matière de politique fiscale
Hormis les dispositions fiscales spécifiques, différentes dispositions et différents principes d’application générale des traités de l’Union sont pertinents en matière fiscale. Le chapitre relatif aux dispositions fiscales (articles 110 à 113) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE) prévoit «l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence». Il maintient également une procédure législative spéciale dans le cadre de laquelle le Conseil agit à l’unanimité et le Parlement européen est uniquement consulté. Le chapitre relatif au rapprochement des législations (articles 114 à 118 du traité FUE) couvre les taxes qui ont un effet indirect sur la mise en place et le fonctionnement du marché intérieur, les dispositions fiscales n’étant pas soumises à l’application de la procédure législative ordinaire. Par ailleurs, en vertu de l’article 115 du traité FUE, l’harmonisation fiscale ne peut se faire que par la voie de directives. Parmi les autres dispositions pertinentes, on peut citer également la libre circulation des personnes, des services et des capitaux (articles 45 à 48 du traité FUE pour les travailleurs, 49 à 55 pour le droit d’établissement, 56 à 62 pour les services et 63 à 66 pour les capitaux et les paiements). Les dispositions relatives à l’environnement (articles 191 et 192 du traité FUE) présentent également des aspects fiscaux. Les dispositions en matière de concurrence, et notamment l’interdiction des aides d’État inscrite aux articles 107 à 109 du traité FUE, sont pertinentes pour la politique fiscale. Les principes généraux particulièrement pertinents en matière fiscale sont la nondiscrimination, la proportionnalité, la sécurité juridique ou l’enrichissement sans cause. Le principe de loyauté envers l’Union prévu à l’article 4, paragraphe 3, du traité FUE contribue à garantir l’efficacité et l’équivalence des dispositions fiscales européennes pour les citoyens de l’Union. Il permet également de clarifier les obligations exactes des États membres lorsque le traité lui-même ne le fait pas. En particulier, les droits dérivés de la législation européenne doivent être équivalents à ceux qui régissent des situations nationales équivalentes, et la législation fiscale nationale ne peut pas rendre l’exercice des droits dérivés de la législation européenne excessivement difficile ou quasiment impossible. La coopération renforcée (articles 326 à 334 du traité FUE) peut être utilisée en matière fiscale. Aspects territoriaux Le champ d’application territorial est défini dans les traités (notamment en ce qui concerne les territoires dépendants, d’outre-mer et associés), et dans des instruments spécifiques de la législation secondaire5 ; c’est par exemple le cas pour la TVA. Un autre aspect est la détermination du lieu d’une activité imposable (par exemple, une transaction entre deux parties basées dans deux États membres peut être réalisée dans un autre État membre). Cet aspect est d’autant plus important que la fiscalité n’est pas harmonisée, ou pas entièrement, et que les dispositions nationales peuvent être très différentes (y compris pour ce qui est des différences de taux).
Acteurs et instruments de la politique fiscale
Le cadre applicable à la politique fiscale est le suivant: les États membres sont libres de choisir le régime fiscal qu’ils jugent le mieux adapté conformément à leurs préférences, pour autant qu’ils se conforment aux règles européennes. En outre, toute proposition d’action de l’Union dans le domaine fiscal est soumise aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. La caractéristique principale des dispositions fiscales européennes en matière d’adoption d’actes est le fait que le Conseil se prononce sur une proposition de la Commission à l’unanimité, le Parlement européen étant uniquement consulté. Les dispositions adoptées dans le domaine fiscal incluent les directives rapprochant les dispositions nationales et les décisions du Conseil. Outre ces dispositions, la Commission adopte des actes d’exécution et des actes délégués (règlements, directives ou décisions) lorsque l’acte de base le prévoit. S’ajoutent à ces actes juridiquement contraignants, des instruments non contraignants créant une approche commune, par le biais de recommandations, de codes de conduite (fiscalité des entreprises), de plans d’actions, de guides ou d’avis explicatifs qui fournissent des orientations pratiques et informelles concernant la législation et la réglementation européennes.
Fiscalité directe et fiscalité indirecte
La fiscalité directe désigne les impôts perçus sur le revenu, le patrimoine et les capitaux, qu’il s’agisse de personnes physiques ou de sociétés.En matière d’impôt des personnes physiques (IPP), la libre circulation des personnes et l’interdiction de la discrimination font que, dans le cadre de la perception d’impôts directs par un État membre, un travailleur ayant la nationalité d’un autre État membre ne peut pas être traité de manière moins favorable que les ressortissants de l’État membre où il est taxé. Les dispositions européennes ne traitent pas l’IPP en tant que tel. Il continue de faire l’objet de traités bilatéraux, et le développement de l’action de l’Union dans ce domaine est lié à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. L’action de l’Union en matière d’impôt des sociétés est plus avancée, même si elle porte uniquement sur les mesures liées aux principes du marché unique. Des réflexions plus larges, lancées à plusieurs reprises, ont entraîné l’élaboration de mesures importantes liées au marché unique (directive sur les fusions, directive mères-filiales et, plus récemment, la proposition d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés). La fiscalité indirecte englobe les impôts qui ne sont perçus ni sur le revenu, ni sur des biens. Elle inclut la TVA, les accises, les droits d’importation et les taxes sur l’énergie et autres taxes à caractère environnemental. Le principe fondamental de la fiscalité internationale est que les impôts indirects sur la consommation sont perçus dans le pays où sont consommés les biens et services concernés. Un tel système n’était pas possible pour la TVA, de sorte que des dispositions transitoires ont été adoptées en matière de TVA. Globalement6 , les ventes à des personnes physiques sont régies par un système basé sur l’origine, tandis que pour la fiscalité entre assujettis, c’est un système basé sur la destination qui s’applique. Dans ce dernier cas, le mouvement transfrontalier de marchandises est scindé en deux transactions différentes: une fourniture intérieure à l’Union exonérée de TVA et une acquisition intérieure à l’Union soumise à la TVA dans le pays de destination. Les dispositions transitoires restent d’application, même si elles sont généralement jugées complexes et si elles entraînent des coûts de conformité élevés et des possibilités de fraude liée à la possibilité d’acheter des marchandises sans verser de TVA (fraude de type «carrousel») et de lacunes dans la perception (écart de TVA)7 . À l’heure actuelle, comme l’indique le rapport d’octobre 2014, le passage à un système de TVA définitif appliqué dans l’Union comme il le serait dans un seul pays n’est pas encore réalisable politiquement8 . Les accises s’appliquent au tabac, aux produits alcoolisés et aux cigarettes. Les accises sont des taxes spécifiques partiellement harmonisées à travers l’Union sous la forme d’un montant donné par quantité de produit, et qui ne varie pas en fonction du prix de détail.