Politique de la ville

Politique de la ville

La politique de la ville désigne la politique mise en place par les pouvoirs publics afin d’enrayer la dégradation des conditions de vie dans les quartiers défavorisés, de revaloriser ces zones urbaines en difficulté et de réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires. Parce qu’elle intervient aussi bien sur les effets et les causes de ces constats préoccupants, cette politique couvre une grande diversité de thématiques comme l’urbanisme, l’aménagement urbain, l’action sociale, l’éducation, la prévention de la délinquance et de la sécurité. Les objectifs de développement économique, d’emploi et d’insertion professionnelle se sont ajoutés à la liste des sujets traités par les actions émanant de la politique de la ville2 . La politique nationale de la ville a une dimension interministérielle qui s’est notamment traduite par la création du Comité interministériel des Villes (CIV), dès le début, en 1984. Cette instance gouvernementale, aidé de son secrétariat général, le SG CIV qui coordonne les interactions entre les différents ministères impliqués, a pour rôle d’arrêter les orientations de la politique de la ville, de définir les programmes qui la mettent en œuvre et de répartir les moyens, notamment financiers. Il existe cependant le ministère de la Ville avec un budget propre. Si elle est coordonnée à l’échelle nationale, la politique de la ville s’organise notamment avec la participation des collectivités locales. Cette politique étant basée sur le partenariat, il s’est avéré que le cadre contractuel fut celui indiqué. Amorcée à la fin des années 1970 avec la procédure « Habitat et Vie Sociale » (1977), puis engagée avec la procédure de « Développement Social des Quartiers » (DSQ) (1982) puis celle de contrats de villes (1992)3 , la politique de la ville se concentre sur les quartiers les plus dégradés et socialement en difficulté. Suite à ce type de procédures, d’autres initiatives très ressemblantes et avec le même but à atteindre se sont succédées en tentant de parvenir à traiter les problèmes dans toutes leurs dimensions (économique, sociale, etc.).

Mis en œuvre de 1991 à 1994, les Grands Projets Urbains (GPU), programmes de restructuration lourde sur des sites en grande difficulté, se limitaient à l’aspect urbain. Les Grands Projets de Ville (GPV) sont introduits en 1999 comme étant leurs successeurs. En effet, ils restent dans leur continuité mais intègrent plus de sites sur le territoire national (50 GPV contre 14 GPU) et tiennent compte des aspects économiques et sociaux, de l’amélioration des conditions de vie des habitants en plus de l’aspect urbain. Ils visent à insérer certains quartiers dans la dynamique de développement de leur agglomération4 . Les Opérations de Renouvellement Urbain (ORU) représentaient quant à elles des GPV à petite échelle. Une accumulation des dispositifs et la superposition des zonages permettant de localiser les sites prioritaires pouvant bénéficier de l’application des actions de la politique de la ville ont rendu sa géographie complexe et peu lisible. Menée par l’Etat en partenariat contractuel avec les collectivités locales, la politique de la ville s’applique aujourd’hui sur des territoires ciblés définis comme prioritaires. Dans la mise en œuvre de la géographie dite prioritaire, chaque zonage est défini par la loi, notamment la loi n°96-987 du 14 novembre 1996, loi de mise en œuvre du pacte de relance de la politique de la ville, mais des mesures particulières sont attribuées à chacun. Il existe trois niveaux d’intervention :  Les zones urbaines sensibles (ZUS) qui sont définies comme des zones « caractérisées par la présence de grands ensembles ou de quartiers d’habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l’habitat et l’emploi. Elles comprennent les zones de redynamisation urbaine et les zones franches urbaines. »  Les zones de redynamisation urbaine (ZRU) « correspondent à celles des zones urbaines sensibles […] qui sont confrontées à des difficultés particulières, appréciées en fonction de leur situation dans l’agglomération, de leurs caractéristiques économiques et commerciales et d’un indice synthétique […] établi […] en tenant compte du nombre d’habitants du quartier, du taux de chômage, de la proportion de jeunes de moins de vingt-cinq ans, de la proportion des personnes sorties du système scolaire sans diplôme et du potentiel fiscal des communes intéressées »  Les zones franches urbaines (ZFU) « sont créées dans des quartiers de plus de 10 000 habitants (ou de plus de 8 500 habitants pour les ZFU créées en 2006) particulièrement défavorisés au regard des critères pris en compte pour la détermination des zones de redynamisation urbaine ». Les avantages attachés à ces zones ont pour finalité principale le développement de l’activité économique et de l’emploi (par le biais d’exonérations des charges fiscales et sociales pour les employeurs) et le maintien de la diversité des fonctions urbaines. Ils comprennent aussi une aide aux bailleurs sociaux gestionnaires des logements dans ces quartiers (par le biais d’une exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties).

Outre ces zones définies réglementairement au niveau national, il existe d’autres quartiers prioritaires qui ont été retenus par les acteurs locaux dans le cadre de la préparation des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS). Les CUCS sont les contrats passés entre l’Etat et les collectivités territoriales qui succèdent en mars 2006 aux contrats de ville en entrant en vigueur au début de l’année 2007 et en restant en place jusqu’en 20135 . Ils permettent de mettre en œuvre des actions concertées avec différents partenaires dans le but d’améliorer la vie quotidienne des habitants dans les quartiers connaissant des difficultés. Les champs d’action prioritaires sont l’habitat et le cadre de vie, l’emploi et le développement économique, l’éducation, la citoyenneté et la prévention de la délinquance ainsi que la santé. On peut voir ci-dessous une représentation schématique en diagramme de l’évolution des contrats de ville dans le but de mieux comprendre ce qu’il en est aujourd’hui n plus de ces découpages, sont également distingués les quartiers éligibles à une convention de rénovation urbaine conclue avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Les quartiers ANRU, dont nous serons amené à reparler puisque le quartier d’étude sur lequel se base la deuxième partie de ce rapport en est un, sont principalement des quartiers en ZUS, mais aussi des quartiers qui présentent des difficultés comparables6 . Le zonage géographique permettant de prioriser les « territoires urbains dont les populations présentent des caractéristiques de grande précarité » s’est élargi à mesure que la politique évoluait. Plusieurs mesures additionnées ont conduit à différentes identifications de quartiers éligibles à la politique de la ville. Par conséquent, outre son manque de lisibilité, la géographie actuelle implique une dilution des moyens financiers alloués aux actions découlant des orientations la politique de la ville. Afin d’y remédier, la réforme de la géographie prioritaire présentée en 2013 par François Lamy, ministre délégué à la ville, désire tenir compte des usages des habitants, des lieux qu’ils fréquentent dans le nouveau découpage du périmètre des quartiers dits prioritaires. On parle alors de quartier « vécu » 7 . Cet aspect lié aux pratiques des habitants nous intéresse particulièrement dans la présente étude et sera traitée dans la deuxième partie. En faisant état des pratiques sur site qualifié de prioritaire par la loi, cela permettra de donner un aperçu du bilan des démarches engagées par l’Etat et les collectivités locales afin de mieux appréhender les futures politiques menées dans cette optique.

L’émergence des quartiers ANRU 

Après différentes procédures de la politique de la ville mises en place dès les années 1980, différentes lois (comme la loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991), différents projets de renouvellement urbain (comme les GPV, ORU) qui tentaient tenter d’apporter une amélioration au niveau social sans toutefois que l’optique de la réhabilitation fasse ses preuves (d’après un Rapport de la Cour des Comptes, 20028 ), la loi Borloo du 1er août 2003 marque un tournant dans la politique de la ville. Par ses objectifs de mixité sociale revendiqués, cette loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine réoriente la politique de la ville avec la création de l’ANRU à l’article 10. Elle adopte une solution radicale de démolition-reconstruction. La politique de la ville met ainsi en place à l’aide d’un Comité d’Evaluation et de Suivi (CES), un programme qui répondrait aux enjeux des quartiers classés en ZUS, le programme national de rénovation urbaine (PNRU) qui prône une restructuration lourde des quartiers victime du processus de ghettoïsation. Afin d’enrayer le processus de ghettoïsation de ces quartiers qui n’a pas réellement reculé malgré les différentes procédures mises en place, la loi Borloo permet l’application du Programme national de rénovation urbaine dans 751 zones urbaines sensibles (ZUS) pour une période de cinq ans, relayé par des programmes d’action locaux9 . Si les GPV et Opérations de Renouvellement Urbain (ORU) sont en corrélation directe avec les contrats de ville, ce n’est pas le cas des conventions de rénovation urbaine. En effet, celles-ci ont été dissociées de ces contrats. Cependant, on remarque tout de même des similitudes puisque que ce soit l’une ou l’autre des procédures, cela reste avant tout un accord entre différents acteurs et des modalités temporelles et de financement à fixer. 397 conventions ANRU sont signées à l’échelle de la France selon l’état du PNRU au 15 janvier 2014. Selon le rapport Dix ans de Programme national de rénovation urbaine : Bilan et perspectives de l’Observatoire national des ZUS (ONZUS), le PNRU concerne 594 quartiers restructurés avec 45 milliards d’euros mobilisés. Ce sont plus de 600 000 logements concernés par les opérations de démolition reconstruction et réhabilitation-résidentialisation. Fin 2011, 140 300 démolitions sont programmées, 106 000 sont engagées et près de 75 000 sont livrées. 

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Etat de l’art et problématisation de l’objet de recherche

 Nous avons abordé le moyen d’action la rénovation urbaine : la démolition-reconstruction, cela dans le but d’atteindre des objectifs. Parmi les finalités que l’on attend du PNRU, qui lui sont attribuées, nous nous intéresserons à celui de mixité sociale en particulier. Le souhait de mixité sociale est loin de pouvoir résoudre les problèmes de tensions et conflits entre les habitants d’un même quartier. « Inversement, le rapprochement dans le même habitat de familles dont le genre de vie est très différent provoque aussi des tensions préjudiciables à la vie sociale » (KAËS, 1963, p.82). Il ne faut pas oublier de prendre en compte les conditions dans lesquelles la mixité sociale peut être développée. « Le problème du rapprochement des catégories sociales différentes ne peut être envisagé sans des transformations de structure extrêmement profondes et sans les équipements collectifs qui permettront ces transformations de la structure sociale » 10 disait Paul-Henri Chombart de Lauwe qui l’avait déjà compris en 1960 et qui a été l’un des premiers à en avoir parlé.La vie au quotidien des habitants d’un quartier se traduit majoritairement dans les équipements et services collectifs. Si la question du logement possède une place centrale dans le PNRU, la rénovation urbaine concerne aussi les espaces publics. En effet, les travaux de recherche qui ont été effectués jusqu’alors traitent principalement de l’aspect « habitat et logement » puisque la démolition-reconstruction constitue la caractéristique essentielle de la rénovation urbaine. L’autre objectif important de la politique de rénovation urbaine repose dans la diversification des quartiers en difficulté qui rassemblent des personnes aux caractéristiques sociales similaires. Des travaux ont été engagés sur l’aspect social comme les travaux dirigés par Christine Lelévrier, sociologue et spécialiste de ce type de problématiques, par l’étude de la mixité sociale à travers le profil des personnes qui habitent ces nouveaux logements. Cependant, le fonctionnement au travers des pratiques n’a lui pas fait l’objet d’un sujet d’étude à part entière. En effet, comment faire état du fonctionnement d’un quartier ? Il faut s’intéresser aux pratiques des habitants car c’est l’articulation de différentes pratiques, usages, habitudes quotidiennes qui créent une vie de quartier. Au sein d’un quartier, les espaces publics sont les lieux où l’on peut observer les interactions entre les habitants. Dans ce travail de recherche, nous nous ne concentrerons donc pas sur les logements dans les quartiers ANRU le sujet ayant largement été abordé à travers de nombreux travaux de recherche mais sur les pratiques des habitants dans leur quartier, hors de leur logement, dans les espaces publics. « La mixité sociale fait référence à la cohabitation dans un même espace de groupes sociaux aux caractéristiques diverses d’âge, de genre, de nationalité, d’origine ethnique, de statut professionnel, de niveau de ressources, […] etc. » 11 telle est la définition donnée par le Conseil syndical du Grand Lyon. Si globalement des gens présentant des caractéristiques sociales différentes arrivent à vivre côte à côte au quotidien et avec un minimum de conflits (gérés dans le respect car on ne peut les élider totalement étant donné que différents usages peuvent être fait d’un même espace), c’est que le pari de la mixité sociale dans ces quartiers historiquement et socialement marqués par la présence d’une population vivant dans des grands ensembles d’habitat social est réussi ; cela peut fonctionner. Nous allons alors aborder la mixité en outrepassant sa vision immobilière et en ciblant sur la coprésence de personnes n’étant pas amenées à se croiser d’ordinaire, voire le « vivre ensemble » dans l’espace public, à l’échelle du quartier. La problématique qui conduira cette recherche s’intitule : Dans quelle mesure les espaces publics participent-ils à la mixité sociale des quartiers ANRU ? Si dans les années 1980, René Kaës affirme que la vie quotidienne, la présence des différents types de population se traduit essentiellement dans les équipements et services collectifs, nous allons voir ce qu’il en est désormais. Nous partirons sur l’hypothèse suivante : Les espaces publics s’inscrivent bien au delà des équipements. 

Définition des notions clés

L’espace public représente les lieux de scènes de vie sociale. Dans le fonctionnement d’un quartier, l’attention portée à l’espace public est primordiale puisqu’il fait le lien entre ce qui appartient au domaine privé et ce qui relève de la sphère publique, auquel il fait partie. Cet espace de transition permet la circulation au sein de l’espace pour lier différents bâtiments, différents usages, différentes fonctions, différentes personnes… Cet accès à tous sans aucune distinction permet l’interaction, aussi minime soit-elle entre les personnes qui pratiquent l’espace public. 

L’espace public et les espaces publics 

L’espace public au singulier est à différencier des espaces publics. En effet, les espaces publics sont des lieux physiques localisés et délimités géographiquement alors que lorsqu’on parle de l’espace public, on pense au lieu d’échange, de partage, de relation, de circulation aussi bien des personnes que des idées, de confrontation d’opinions, etc. Ces deux termes ont en commun la notion de communication qui est indissociable de celle de circulation (voire de rencontre). Le terme « espace public » n’a pas de définition homogène et c’est notamment ce qui le rend d’autant plus intéressant. Chaque discipline apporte son point de vue sur ce que sous-entend cette appellation et tente d’élaborer sa propre définition. La notion englobée par le terme « espace public » pourrait être décrite comme se concentrant sur l’usage qu’il est fait des espaces publics physiques. Penchons-nous sur la définition donnée dans un ouvrage de référence dans le domaine de l’aménagement, le Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement : « D’usage assez récent en urbanisme, la notion d’espace public n’y fait cependant pas toujours l’objet d’une définition rigoureuse. On peut considérer l’espace public comme la partie du domaine public non bâti, affectée à des usages publics. L’espace public est donc fermé par une propriété et par une affectation d’usage. » (MERLIN, CHOAY, 1988, pp.320-322). La notion d’espace public est apparue dans les années 1970. C’est une notion difficile à définir puisque chaque domaine (géographie, aménagement, etc.) souhaite définir la notion avec l’angle de sa propre discipline étant donné que l’espace public couvre plusieurs enjeux. Comme nous nous intéressons particulièrement aux usages et pratiques qu’il en est fait et que nous sommes en mesure de constater qualitativement, c’est surtout l’aspect social et culturel que nous allons mettre en avant. La notion d’espace public sous-entend une « pratique sociale collective » : « […] les espaces publics sont des lieux de rencontre et de frottement où se développe la vie sociale, où se forgent les idées, où se reconnaissent les groupes sociaux. Ce sont des creusets d’échanges et de cultures mais aussi des espaces de cohésion et d’identité »

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