Plaidoyer pour l’exclusion-remède judiciaire

Plaidoyer pour une fixation judiciaire du prix en cas d’absence ou d’abus

Le refus de la fixation judiciaire du prix. Les arrêts du 1er décembre 19952064 témoignent d’une incontestable volonté de préserver la relation contractuelle en refusant d’annuler un contrat dépourvu de prix lors de sa formation. Pourtant, les magistrats ne sont pas allés jusqu’à s’octroyer le pouvoir de fixer eux-mêmes le prix défaillant. Il en résulte, d’une part, que lorsqu’aucun prix n’est déterminé par les parties au moment de la formation ou de l’exécution du contrat, celui-ci doit être anéanti. D’autre part, lorsque l’un des contractants a abusé de son pouvoir de fixation unilatérale, seules la résiliation du contrat et l’attribution de dommages intérêts peuvent être prononcées, à l’exclusion de toute réfaction judiciaire du prix.
Un refus injustifié. Dès lors que l’on se souvient que le juge s’est reconnu depuis longtemps déjà le pouvoir de déterminer le prix du contrat de mandat ou d’entreprise2066 , on ne peut qu’être surpris de l’absence de généralisation de la solution2067. Il est vrai que le prix n’est pas considéré comme un élément essentiel de ces contrats. Il n’en demeure pas moins que le juge se reconnaît ici la faculté de devenir coauteur du contrat. Pour cette raison, le juge devrait en toute logique pouvoir combler les lacunes de nombre de contrats2068. Au final, le juge ne devrait se résoudre à anéantir le contrat que si une disposition légale prescrit la détermination conventionnelle du prix ou si les parties ont souhaité ériger la détermination du prix en conditionessentielle. Dans tous les autres cas, l’admission d’une fixation judiciaire serait opportune et permettrait de préserver la relation contractuelle. Les principes européens du droit des contrats sont d’ailleurs en ce sens. Ils vont même plus loin puisque l’article 6-104 dispose que le contrat dont le prix fait défaut n’est jamais anéanti et doit pouvoir être complété par le juge et l’article 6- 105 dispose expressément que lorsque le prix fixé unilatéralement est abusif, le juge lui substitue un prix raisonnable2069, entendu comme un prix « que des personnes de bonne foi placées dans la même situation regarderaient comme tel »2070. En définitive, plutôt que de consacrer une fixation déguisée du prix via l’allocation de dommages et intérêts à la victime2071, il importe d’admettre que le juge soit officiellement et directement investi d’un tel pouvoir de réfaction.
La fixation judiciaire des prestations futures. Mieux ne pourrait-on autoriser le juge à procéder à la détermination du prix des prestations futures de manière à anticiper d’éventuels abus à venir ? Certes, le juge outrepasserait alors sa fonction juridictionnelle étant donné l’exigence processuelle d’un intérêt né et actuel et empièterait de la sorte sur les prérogatives des parties2072. Mais n’est-ce pas un risque à assumer ? Admettre que le juge puisse agir de manière préventive favoriserait la pérennité de la relation contractuelle. D’une part, assurée d’échapper à de nouveaux abus de son créancier, la victime de la fixation du prix serait en effet moins disposée à requérir la résiliation du contrat. D’autre part, même sollicité à des fins de résiliation, le juge serait moins enclin à l’accorder s’il dispose de cette autre alternative.
Des considérations similaires devraient prévaloir pour permettre au juge de procéder lui-même à la révision du prix en cas de bouleversement imprévu de circonstances.

Plaidoyer pour une révision judiciaire du prix en cas d’imprévision

Les raisons du refus. La perception renouvelée du temps et la prise en compte des contrats durables devraient permettre de revenir sur le refus de la Cour de cassation de prendre en compte l’imprévision contractuelle2074. Toutefois, la crainte d’un trop grand interventionnisme judiciaire justifie que le contrat demeure soustrait à la plume du juge. Il ne relèverait en effet ni de sa fonction juridictionnelle ni de sa compétence technique de procéder à la révision du contrat2075.
La critique infondée de l’incompétence du juge judiciaire. Toutefois, pourquoi le juge français serait-il moins à même de rééquilibrer le contrat que les juges étrangers habilités à y procéder2076 ? En effet, nombre de législations étrangères2077 ont autorisé le juge à réviser le contrat déséquilibré suite à un bouleversement des circonstances2078. De surcroît, les principes européens et les principes d’Unidroit ont également conféré ce pouvoir d’adaptation au juge.
En outre, comment justifier que le juge soit depuis longtemps déjà doté d’un tel pouvoir en matière administrative ? Le hiatus au sein de notre système juridique est en effet bien connu et pour le juge : soit résilier le contrat s’il constate que la mésentente entre les parties est trop importante et perdure,
soit fixer lui-même le prix si l’importance des intérêts économiques en jeu le commande. Mais, le droit des affaires s’accommode mal des lourdeurs et de la lenteur de la justice. Aussi, parce que la fixation judiciaire du prix permet de réaliser une économie de temps, elle doit être favorisée. Ce procédé a d’ailleurs déjà été utilisé en jurisprudence. V. régulièrement dénoncé2080. Alors que la Cour de cassation demeure attachée à la solution admise dans l’affaire Canal de Craponne, le Conseil d’Etat admet depuis un siècle2081 que le juge puisse rééquilibrer le contrat en octroyant une indemnité à la victime de l’imprévision. La solution administrative se fonde sur la continuité du service public et, en conséquence, la pérennité du contrat2082. Aussi importe-t-il d’offrir au juge judiciaire la même alternative à la résiliation du contrat2083. Il faut dire que les arguments ne manquent pas. Que l’on songe à l’équité, à la bonne foi ou encore à la cause, le juge dispose de plusieurs fondements solides.
La critique excessive d’un arbitraire judiciaire. D’abord, ainsi que l’a souligné le Professeur Philippe Stoffel-Munck, « il n’y a sans doute pas plus de juges arbitraires dans nos Palais qu’il n’y a de délinquants dans les trains de banlieue »
Par ailleurs, si le juge n’a cessé d’accroître son ingérence dans le contrat au fil du temps, il a toujours fait preuve de modération dans l’exercice de son pouvoir de correction. Que ce soit en matière de clause abusive, de fixation abusive du prix, de réduction de clause pénale, le juge a su montrer son sens de la mesure.
L’encadrement de la révision judiciaire. En outre, cette ingérence judiciaire pourrait être encadrée. En premier lieu, s’inspirant des principes européens ou de la jurisprudence administrative, le juge judiciaire aurait vocation à n’intervenir que de manière subsidiaire2087. En cas de bouleversement des circonstances s’ouvrirait en effet d’abord une période de renégociation entre les parties qui demeurent les mieux placées pour rétablir l’équilibre contractuel. Ensuite et seulement en cas d’échec des renégociations, le juge pourrait user de son pouvoir de révision2088.
En effet, compte tenu des enjeux économiques et sociaux, le maintien de la relation contractuelle doit la plupart du temps être privilégié sur son anéantissement2089. Au demeurant, il y a fort à penser que la perspective d’une révision judiciaire inciterait les parties à s’accorder sur une adaptation du contrat pour éviter que leur chose ne leur échappe. Dès lors, même finalement inappliquée, la consécration de la révision judiciaire conserverait une utilité.
En deuxième lieu, s’inspirant là encore des principes européens2090 et de la jurisprudence administrative, l’étendue de la modification judiciaire serait limitée. Si le juge pourrait effectivement modifier telle ou telle clause du contrat de manière à redistribuer équitablement les pertes et profits entre les parties, il ne serait en effet pas en droit de refaire le contrat ou d’en imposer un nouveau. Seul un aménagement ou un réajustement du contrat serait toléré. Enfin, plutôt que d’envisager une véritable correction du contrat2091, l’intervention du juge pourrait selimiter comme en matière administrative, à l’octroi d’une indemnité d’imprévision2092.
En troisième et dernier lieu, la révision judiciaire ne doit intervenir que lorsque la modification des circonstances a affecté l’objectif ou l’intérêt commun, c’est-à-dire lorsque l’une des parties a perdu tout intérêt au contrat.

CONCLUSION 

Parce que dans l’esprit des volontaristes le contrat n’est autre que la chose des parties, le juge n’a pas droit de cité dans la sphère contractuelle. Aussi, c’est la reconnaissance d’un intérêt contractuel distinct et supérieur à celui des parties dans la société puis dans tout contrat qui a engendré une perception renouvelée de la relation du juge au contrat. Dès lors que l’on admet que tout contrat, en raison de sa valeur patrimoniale pour les parties et pour les tiers, est doté d’un intérêt propre digne de protection, le juge peut être conduit à prendre en charge cet intérêt et, ce faisant, à garantir son efficacité durable.
Il n’est ainsi désormais plus question de prétendre que contrat et juge forment un « couple illégitime »
La liste des audaces commises par le juge afin de pérenniser le contrat ne cesse en effet de s’étendre. Dans la société, la protection de l’intérêt social a depuis longtemps déjà justifié la consécration de l’administration provisoire et la sanction des abus de minorité et de majorité. Dans les autres contrats, le même phénomène de judiciarisation s’observe. Par analogie avec le droit des sociétés, la protection de l’intérêt contractuel a favorisé la réfaction judiciaire du contrat ou son maintien forcé.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *