PISTES POUR LA MISE EN PLACE D’UN PROCESSUS DE PROSPECTIVE
À l’origine, l’objectif de la présente étude était de fournir une liste de méthodes possibles pour la construction d’un plan à long terme pour un développement durable, en mettant en évidence leurs forces et faiblesses intrinsèques, ainsi que les opportunités et éventuels risques d’une mise en œuvre dans le contexte belge. Comme nous l‟avons vu, une des conclusions de ce rapport est qu’il n’existe pas de telles méthodes standards prêtes à l’emploi parmi lesquelles on pourrait choisir la plus adaptée à la Belgique et aux objectifs du développement durable. En revanche, nous avons pu mettre en évidence une structure-type, constituée d’étapes spécifiques. Cette grille d’analyse est une manière de schématiser a posteriori la réalité complexe de processus plus ou moins structurés, aux contours tantôt définis à l’avance tantôt improvisés, mais selon des logiques à chaque fois différentes et dépendantes des objectifs poursuivis, des contextes et des acteurs spécifiques. Face à l’analyse de ces cas diversifiés, notre grille d’analyse s’est avérée robuste. Nous nous basons donc sur celle-ci, et sur les enseignements de cette étude pour formuler une série de pistes qui permettraient d’initier un processus de prospective et/ou de planification à long terme pour la Belgique. Par conséquent, cette troisième partie du rapport ne fournit pas de propositions « clé sur porte », mais présente différentes logiques permettant d’envisager la construction d’un plan à long terme. Ces différentes logiques ouvrent la porte à un large ensemble de possibles dont nous n’explorons ici que quelques brefs exemples.
DEUX PRINCIPES DE RESPONSABILITE
Deux principes du développement durable ont été mobilisés tout au long de ce rapport : la nécessité de concevoir les actions du présent à l’aune 1) de leurs conséquences à long terme, et 2) de leurs effets pour les différentes composantes de la société (présentes et à venir). L‟articulation de ces deux principes pour la société belge revient à formuler l‟hypothèse suivante : l‟intégration des aspects hétérogènes du développement durable (économie, environnement, social, culturel, institutionnel) est indissociable d‟une réflexion et d‟un débat à l‟aune du temps long, autour des incertitudes, des contraintes et des souhaits pour la Belgique. Changement climatique, solidarité intergénérationnelle, biotechnologies, gestion de l‟eau douce, production d‟énergie, aménagement du territoire, etc. sont autant de thématiques ayant des implications sur des dizaines d‟années, voire sur plusieurs générations et qui relèvent de domaines et compétences très différents. Nous allons reprendre les deux principes de responsabilité à long terme et de diversité des domaines pour les mettre au travail afin d‟élaborer quelques propositions de processus participatifs de prospective et de planification que pourraient initier les institutions belges. Des principes à leur mise en œuvre, le chemin est long et tortueux, semé d‟embûches qu‟il s‟agit de ne pas sous-estimer. Penser à long terme implique de prendre du recul vis-à-vis des évidences et de nos représentations partielles du monde, afin de tenter d’en appréhender les différents aspects et d’en redessiner les contours à l’aune du possible et du souhaitable. Cela implique non pas de nier les rapports de force, ni de dissoudre les conflits qui opposent les différents groupes de la société, mais de les entendre et de créer des espaces de dialogue et de négociation. Comme l‟analyse des cas (cf. partie II) nous l‟a montré, la mise en place d‟un processus de prospective ou de planification représente une démarche d’envergure, exigeante en termes de ressources, financières, bien sûr, mais surtout en temps, en qualification et en volonté politique. En outre, nous avons pu constater que le choix d‟une échelle spatiale non homogène rend l‟opérationnalisation d‟une démarche de ce type plus difficile : plus le niveau spatial est hétérogène (qu‟il s‟agisse de l‟Europe, de la France ou de la Belgique), plus la construction d‟une démarche intégrée (du point de vue sectoriel, spatial, temporel, etc.) et d’un produit détaillé est difficile. Il faut également remarquer que, contrairement aux attentes, la participation ne mène pas forcément au consensus, mais elle peut y contribuer (d’autant plus lorsque l’on prend en compte les dynamiques à long terme).
PRODUIT ET PROCESSUS
La construction d’un plan à long terme pour la Belgique en matière de développement durable, au-delà de la tentative de définir, structurer et échelonner des objectifs et des mesures, est aussi l‟occasion de redistribuer les connaissances parmi les acteurs concernés et de construire de nouvelles relations entre ces acteurs. En effet, une démarche participative de prospective et de planification à long terme produit deux types de résultats. D‟une part, l‟objectif de la démarche est de produire un plan à long terme. D’autre part, la démarche produit une série d’effets non programmables, insaisissables : de nouvelles relations interpersonnelles, de nouveaux réseaux, de nouveaux savoirs, de nouvelles représentations de la réalité, etc. Les personnes qui ont œuvré à de tels exercices insistent sur l‟idée que les effets non programmables ne doivent pas être considérés comme des « sousproduits », comme des « effets secondaires ». De ce point de vue, le plan n‟est pas uniquement une fin un soi, mais aussi un moyen, une aide pour se projeter au-delà du court terme et pour générer de nouvelles dynamiques. Comme c’est le cas pour beaucoup de plans et de programmes, la mise en œuvre du plan à long terme peut ne pas se dérouler comme prévu. Ce seront alors les effets générés tout au long du processus sur les acteurs et leurs relations qui prendront le relais face à des situations non prévues par le plan. Dans la mesure où les acteurs auront acquis de nouvelles connaissances sur le système, sur les autres stakeholders, qu’ils auront pris l‟habitude de dialoguer, ils pourront facilement remobiliser des balises communes et prendre ensemble les décisions face aux lacunes qui apparaîtraient. .
DEUX LOGIQUES
Les deux principes (responsabilité à long terme, diversité des acteurs) se traduisent dans l‟élaboration d‟un plan selon deux axes : la nécessité de penser l‟évolution sociétale à long terme; la mobilisation d‟acteurs divers aux intérêts et compétences multiples. Le processus de traduction lui-même implique que la construction des idées et des réseaux solidifie les liens entre les conceptions et les actions et renforce la capacité des acteurs à faire face à des situations imprévues lors de la mise en œuvre du plan. Différentes logiques peuvent bien entendu présider à la conception d’une démarche de prospective et de planification à long terme. Par souci de cohérence, nous emprunterons ici deux portes d’entrée : 1. la participation des diverses catégories d’acteurs : en partant de l’importance de la participation des différentes catégories d’acteurs, nous allons chercher à répartir leurs diverses contributions et à utiliser au mieux leurs compétences spécifiques. 2. la structuration du processus au travers d’étapes-clés : chaque étape produit des résultats spécifiques et peut à ce titre être au centre du processus politique de planification. Nous développons ces deux logiques dans la suite de ce chapitre. Elles se distinguent l‟une de l‟autre tant par la forme (présentation d’une logique théorique/présentation d’exemples) que par le fond (approches différentes de la participation, des catégories d’acteurs et des besoins éventuels liés aux différentes étapes, etc). Avec ces deux logiques nous ne prétendons pas épuiser l‟ensemble des exercices possibles de prospective et de planification. Elles découlent toutefois de la structuration de nos résultats. Et surtout elles doivent être envisagées comme des pistes, de différentes natures, visant à susciter la réflexion et l‟appétit pour de tels exercices.