PISTES ET SUGGESTIONS POUR UNE PLUS GRANDE EFFICIENCE DU SLAM POESIE
Les limites du point d’appui cognitif Certains écrits semblent remettre en cause le point d’appui cognitif sur lequel nous nous sommes basé durant l’expérimentation. La méthode de l’information/contre-information, point d’appui cognitif de l’expérimentation, devait amener les élèves à comprendre les limites de la validité des descriptions stéréotypées. Or, ce point d’appui semble trouver ses limites dans le cas où les stéréotypes identifiés par les élèves touchent la structure profonde de leur identité. Ainsi, au lieu de rechercher des informations pouvant invalider les stéréotypes et donc d’inclure des descriptions objectivant le réel, certains élèves ont montré une autre façon d’appréhender les mécanismes de réductionnisme des stéréotypes : remplacer de manière mécanique les stéréotypes négatifs par des autostéréotypes positifs. Que doit-on alors envisager pour combler cette limite du point d’appui cognitif ? C’est l’une des questions auxquelles on va tenter de répondre dans cette troisième partie.
Travail sur les autostéréotypes
La réalisation d’un tel travail est reliée à la mise en place d’une introduction systématique de l’apprentissage interculturel dans les lycées. En effet, s’il existe un fait d’apprentissage que notre expérimentation met en lumière, c’est la lacune au niveau de la réactivité des élèves dans l’association entre apprentissage interculturel et apprentissage langagier (ou linguistique). En cela, nous revenons sur la problématique de la formation des enseignants concernant le domaine de l’apprentissage interculturel. Pour travailler sur cette limite du point d’appui cognitif, il faut que l’enseignement de la langue prenne en compte une dimension intrinsèquement interculturelle. En ce qui concerne spécifiquement la problématique liée aux stéréotypes dans l’apprentissage interculturel, la formation de l’enseignant à des disciplines telles que la 81 sociolinguistique, la psychologie des relations intergroupales, l’analyse du discours s’avère indispensable. Nous nous axerons plus particulièrement sur l’analyse du discours dans ce qui va suivre. « Démonter la logique d’une pensée »36, tel peut être un des lieux d’une approche cognitive selon Martine Abdallah Preitceille. L’analyse du discours sur les autostéréotypes constitue, sur le plan méthodologique, un outil opérationnel en ce qu’il permet de « comprendre la nature même du discours ». Au niveau qui nous concerne, c’est-à-dire au niveau de l’outil slam poésie, elle permet l’analyse des différentes productions discursives issues des slams d’élèves. Concrètement, le travail sur les autostéréotypes se base sur l’analyse des textes d’élèves, en l’occurrence sur les lexiques et les syntaxes qu’ils ont utilisés. Lorsque l’enseignant rencontre des productions liées à des autostéréotypes, une démarche possible dans le travail sur l’autostéréotype consisterait à demander à l’élève d’expliquer le choix d’un lexique ou la formulation d’une phrase se rapportant à l’autostéréotype ; dans un deuxième temps, lui faire comprendre que sa formulation relève d’une affirmation autostéréotypée; enfin, lui montrer les limites de ce type d’affirmation et enfin explorer avec lui les différents ressorts concernant les mécanismes mentaux à l’œuvre dans le jugement autostéréotypé, notamment son ancrage dans l’inconscient. Le travail sur l’autostéréotype ne consiste pas ainsi à culpabiliser l’élève en portant un jugement de valeur sur ses affirmations mais à lui faire comprendre que l’autostéréotype est un mécanisme naturel de la pensée. Mais un mécanisme qui possède des limites intrinsèques quant à sa validité et qu’il lui faut abandonner progressivement. En allant au-delà du slam poésie et du travail sur les discours, une autre technique est également envisageable : la technique du blason. La technique du blason consiste à se représenter à travers un blason les éléments importants de la représentation que l’on de soi, de son groupe ainsi que des autres. L’enseignant en charge de la classe pourra par exemple envisager une discussion sur les représentations que l’élève projette sur son groupe d’appartenance en les mettant en perspective avec ce que les autres pensent de son groupe. L’existence d’une distorsion sur la représentation du groupe d’appartenance peut constituer une balise qui possède la vertu de favoriser un regard distancié sur l’endogroupe. Cet écart invite l’élève à une prise de conscience et surtout à l’échange (avec les autres élèves et l’enseignant), sans jugement moral de part et d’autre. La discussion en elle-même permet de mettre en posture d’apprentissage l’élève puisque ce qui est caractéristique des stéréotypes, c’est qu’ils sont rarement discutés puisqu’ils constituent un ferment d’appartenance au groupe. Le travail d’explicitation des non dits constitue une base de l’approche de l’apprentissage interculturel. L’enseignant peut alors donner un modèle explicatif de la discontinuité entre deux perceptions, celle de l’endogroupe et celle de l’exogroupe. Une modalité possible de raisonnement explicatif consiste en un va et vient entre la représentation de l’élève (de l’endogroupe) et la représentation des autres (l’exogroupe) et à recouvrir les champs possibles d’explication de la discontinuité. Ce n’est donc pas de monologue dont il s’agit mais d’échange entre les élèves et l’enseignant, à la charge de ce dernier ce dernier de rejeter les explications aberrantes qui entreraient dans le cours de la discussion ; l’important est d’objectiver la représentation de l’élève et de voir en quoi ce travail sur la représentation peut contribuer à un changement de regard sur soi. Ainsi, repenser les stéréotypes sur son groupe peut amener les élèves à comprendre que les stéréotypes peuvent avoir certains fondements, mais que ces fondements, lorsqu’ils sont discutés, à partir d’hypothèses rationnelles sont toujours à relativiser. Et ce processus de relativisation doit permettre un regard distancié sur son groupe.
Travail sur la représentation de la culture urbaine
Puisque certains élèves sont largement influencés par la culture urbaine dans sa composante rap et que celle-ci semble constituer une représentation annexe du slam poésie, un travail sur la représentation de la culture urbaine doit être effectué par l’enseignant en charge de la classe lorsqu’il abordera l’introduction du slam poésie. Les élèves se représentent la culture urbaine comme une entité indépendante qui fonctionne avec ses propres codes. Un des codes que nous avons remarqué dans l’analyse des écrits est représenté par le virilisme : il s’agit de la transformation de la négativité d’un stéréotype en vue de démontrer sa masculinité. Or, cette transformation implique que les stéréotypes ne sont plus considérés à partir de leur mécanisme d’exclusion mais comme un signe d’appartenance identitaire et donc de valorisation pour l’élève. Il s’agit donc de travailler sur le mécanisme idéologique du rap à partir de ces codes spécifiques. Plus précisément, il s’agit pour l’enseignant de travailler sur la dissociation entre l’esthétique et l’idéologique à partir des discours sur la culture urbaine et notamment des discours sur le rap qui irriguent la pratique de ces codes. L’enseignant peut ainsi recourir à des documents qui montrent clairement que le discours sur le rap peut obéir à des intérêts particuliers, par exemple l’intérêt de certaines personnes prônant un discours raciste. Ainsi, prenant conscience que l’art peut être manipulé à une fin idéologique, les élèves peuvent reconnaître la part de manipulation idéologique à l’œuvre dans une production artistique. Mais, en aucune façon, il ne s’agit pour l’enseignant d’opérer une dévalorisation de la culture urbaine.
Travail sur la représentation « cours de français »
Puisque certains élèves semblent considérer que le cours de langue est destiné exclusivement à l’acquisition de la compétence langagière, un travail sur la représentation de l’objet « cours de langue française » doit être entamé de la part de l’enseignante. Il doit apparaître très clairement pour l’élève qu’un cours de français n’est pas seulement un espace pour acquérir des compétences langagières mais culturelles et surtout interculturelles. Mais il faut au préalable que l’enseignant en charge de la classe doit être lui-même convaincu par l’introduction de l’apprentissage interculturel en classe de langue et surtout formé dans ce domaine. Une des modalités de travail sur cette représentation doit être la connexion langue/culture. En travaillant en amont sur des domaines « simples » comme l’étymologie par exemple, l’enseignant montrera à l’élève le domaine du lexique n’est pas vierge de composante culturelle. Une systématisation de cette connexion fera comprendre à l’élève que dans un cours de langue, de français en particulier, culture et langue ne sont pas dissociées. De même, cette connexion systématique doit être prolongée par l’enseignant de manière à ce que les élèves parviennent à comprendre que la perspective interculturelle ne se limite pas à la connexion langue/culture mais la dépasse largement. Nous pensons que l’intégration de la culture, en tant que domaine autonome de l’apprentissage de la langue, dans un cours de français, pourraient amener l’enseignant ainsi que les élèves à partager une 84 représentation du cours de français en tant qu’objet susceptible d’englober le domaine de la culture, pas seulement dans sa composante cultivée mais également dans sa composante anthropologique.