Piloter les coûts grâce au contrôle budgétaire
Le contrôle budgétaire est déjà une technique ancienne dont « l’invention » remonte au début des années vingt pour les Etats-Unis et aux années 1930 pour la France. C’est une technique de gestion largement répandue dans les entreprises qui toutes ou presque la pratique aujourd’hui. Toutefois, les entreprises ne mettent que rarement les mêmes usages derrière le concept. Le contrôle budgétaire se révèle extraordinairement différents d’une entreprise à l’autre. De plus, les critiques sont nombreuses aujourd’hui à l’encontre des budgets. A tel point que de sérieuses réformes de cet outil de gestion sont régulièrement proposées. L’une d’elle va jusqu’à prôner la suppression des budgets. Piloter grâce au contrôle budgétaire nécessite de mettre en place une structure adéquate fondée sur des centres de responsabilité. La procédure budgétaire que nous décrirons ensuite en détail prend alors place sur cette structure. Elle se compose de plusieurs étapes distinctes et qui s’articulent logiquement. Après cette description technique, nous verrons comment peut être utilisé le budget et les fonctions qu’il remplit. Toutefois, cet outil fait l’objet de critiques que nous évoquerons rapidement car elles apparaissent comme autant de précautions à respecter. L’ensemble de ces considérations sera ensuite développé au travers de deux études de cas sur la procédure budgétaire. Enfin, nous verrons quelles sont les solutions d’amélioration des budgets qui ont été proposées ces dernières années. La mise en place d’une structure de gestion adéquate La mise en place d’un système de gestion budgétaire nécessite avant toute chose d’élaborer une structure de gestion fondée sur des centres de responsabilité. Une telle structure repose sur un découpage de l’entreprise en sous parties qu’il est ensuite possible d’agréger. Une alternative serait toutefois possible grâce à un découpage transversal de l’organisation sous forme de processus. Nous reviendrons sur cette pratique moins traditionnelle après avoir exposé les formes traditionnelles du budget. On a pris l’habitude de distinguer cinq formes classiques de centres de responsabilité : • le centre de coûts productifs dans lequel il est possible de mesurer la production et d’établir une relation assez fiable entre la fin et les moyens utilisés. On sait par exemple combien coûte la production de telle ou telle pièce d’une machine car on sait combien de matière, de main d’œuvre et de charges indirectes (amortissement, frais généraux…)8 le centre doit consommer pour la produire. Un centre de responsabilité qui fabrique cette pièce sera un centre de coûts productifs. L’objectif d’un tel centre est de réduire les coûts tout en respectant certains impératifs, qui sont autant de contraintes, en termes de qualité et de délai. Le responsable du centre est libre d’acheter comme il l’entend.• le centre de coûts discrétionnaires (marketing, service juridique, gestion de ressources humaines, R&D) où il est difficile de mesurer l’output et d’établir un lien entre la fin et les moyens utilisés. Ce n’est pas parce que l’on étoffe le service marketing que celui-ci sera plus efficace ou efficient. Cela pose d’ailleurs la question de savoir ce qu’est un bon service marketing et comment modéliser son activité. L’exemple du service de gestion des ressources humaines est encore plus intéressant. Pour certaines de ces activités, c’est un centre de coûts productifs (établissement des feuilles de paye par exemple). Mais pour d’autres activités, il s’agit d’un centre de coûts discrétionnaires. C’est le cas, par exemple, du recrutement ou, plus encore, des négociations salariales. Il n’est pas possible, ou difficile, dans ce cas d’établir une relation stricte entre les ressources utilisées et les missions effectuées. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est également difficile de trouver des indicateurs de mesure de la performance pour de tels centres. L’objectif du responsable d’un tel centre de responsabilité n’est pas simplement de réduire les coûts car cela peut être obtenue en dégradant le service plus que de raison. Il faudra donc associer de nombreux critères d’évaluation à l’objectif de maintien ou de réduction des dépenses. • le centre de recettes ou de chiffre d’affaires qui a pour mission le placement des produits auprès de la clientèle sous contrainte d’un budget de dépenses donné (frais de déplacement, per diem des commerciaux, configuration donnée d’un magasin…). L’objectif est la maximisation du chiffre d’affaires ou des ventes. • le centre de profit dont le responsable est engagé tant sur ses recettes que sur ses dépenses. C’est généralement la combinaison de centres de coûts productifs, de coûts discrétionnaires et de chiffres d’affaires. Bien souvent, de nombreux centres de responsabilité dans l’entreprise sont qualifiés de centres de profit alors qu’ils auraient plus vraisemblablement une autre nature. Ils deviennent centres de profits via la construction d’un système de prix de cession internes. Cela permet de récréer un marché interne et de juger les différents responsables comme des « patrons de petites entreprises ». Psychologiquement, une telle position est valorisante pour ceux qui l’occupent. Le système des prix de cession interne peut toutefois compliquer la gestion de l’entreprise. L’objectif d’un responsable de centre de profit est la maximisation du profit. • le centre d’investissement est un centre de profit dont le responsable a la possibilité de choisir le montant de ses investissements. Le responsable de ce centre a la possibilité de déterminer le montant des investissements mis en œuvre. Le critère de réussite est alors le taux de rentabilité des capitaux mis en œuvre (ROA ou Return On Assets) ou le bénéfice résiduel (BR). L’ensemble de l’entreprise est ainsi découpé en centres de responsabilité. A chacun de ces centres va correspondre un budget assorti d’objectifs ad hoc. L’entreprise est en elle-même un méta-centre de responsabilité que la direction générale est chargée d’administrer. Le découpage en centres de responsabilité permet de décliner la logique de responsabilisation aux niveaux intermédiaires de l’entreprise. En leur associant un budget, c’est une logique comptable de la gouvernance d’entreprise (corporate governance) qui est ainsi étendue à toute l’entreprise comme l’illustre le schéma suivant : Il n’est pas toujours aisé d’établir la nature exacte de centres de responsabilité. En effet, ils peuvent avoir une nature hybride comme le montre le schéma ci-dessus. C’est particulièrement le cas dès que des centres de responsabilités sont agrégés. Voyons maintenant comment sont construits les budgets de ces différents centres
La procédure de construction budgétaire
La procédure budgétaire sert à décliner la stratégie et, par conséquent, elle doit être articulée avec les plans stratégiques et opérationnels. Cette déclinaison s’accompagne de documents et de réunions qui ont pour but d’encadrer la procédure. Enfin, les différents budgets doivent s’articuler correctement les uns par rapport aux autres dans un ordre bien défini. Vue d’ensemble de la procédure budgétaire L’établissement des budgets de l’entreprise se conçoit d’abord de façon globale. Une orientation générale est fixée par la direction de l’entreprise puis est déclinée dans toute l’organisation. Les différents services font ensuite des propositions de plans d’action qu’ils valorisent sous forme de budget. La difficulté est alors de faire en sorte que ces différents budgets soient cohérents les uns par rapport aux autres et qu’ils agréent aux attentes de la direction générale de l’entreprise. En fonction du degré d’implication plus ou moins fort de la direction dans l’établissement des budgets, on dira que les budgets sont top down (centralisés et descendants) ou bottom up (décentralisés et remontants). En général, ils sont un peu des deux, cela dépend des cas. La première étape est l’élaboration d’un plan stratégique par la direction générale de l’entreprise. Celui-ci est repris par les différents niveaux hiérarchiques qui chacun à leur niveau vont traduire le plan stratégique et l’adapter à leurs différentes contraintes locales. Cela nécessite de refaire dans chaque service un travail d’analyse stratégique. Ce plan a une Nicolas Berland © Citer ce livre : Berland N. (2009), Mesurer et piloter la performance, e-book, www.management.free.fr 66 amplitude variable, généralement de trois à cinq ans. Il est glissant et réactualisé tous les ans. Ce plan est ensuite décliné en plan opérationnel. Ce dernier permet de concrétiser la réalisation du plan stratégique. On commence alors à identifier les grandes actions à mener, on raffine les hypothèses d’environnement, on établit un calendrier des principales actions. Il arrive bien souvent que plan stratégique et plan opérationnel soient confondus en une seule et même étape. Ce n’est qu’une fois ces préalables acquis que commence la phase budgétaire proprement dite. Avant tout chiffrage, les responsables de centres de responsabilité et leur équipe doivent imaginer et proposer des plans d’action. Ces derniers sont le prolongement des plans opérationnels dans le cadre de l’année. Ils incorporent les modalités concrètes d’action qui seront lancées pour mettre en œuvre la stratégie. Par conséquent, avant d’être un exercice financier, le budget doit être un exercice pratique de simulation et de planification des actions à réaliser à court terme. C’est théoriquement à l’issue de l’élaboration des plans d’action qu’est réalisé un chiffrage économique, mais nous verrons plus bas que ce n’est pas toujours le cas. Ce chiffrage permet de s’assurer de la viabilité financière des plans établis. Le budget n’est jamais réalisé en une seule fois. C’est un travail itératif nécessitant de préciser peu à peu les chiffres avancés afin qu’ils soient cohérents pour toute l’entreprise. Ces itérations sont les navettes budgétaires.