PILOTAGE DE LA PERFORMANCE DES PROJETS DE SCIENCE CITOYENNE REPETES

PILOTAGE DE LA PERFORMANCE DES PROJETS DE SCIENCE CITOYENNE REPETES

ELABORATION DU PROGRAMME EPIDEMIUM : ORGANISATION, FINANCEMENT

Le projet Epidemium est une initiative issue d’une collaboration entre deux acteurs, Olivier de Fresnoye et Mehdi Benchoufi, et d’une volonté d’introduire la dimension d’ouverture de la science dans une discipline aussi normée que la santé et le médical. Afin de réunir des acteurs médicaux et des experts en analyse de données pour l’exploration, les deux initiateurs du projet ont collaboré avec deux structures : les laboratoires Roche ainsi qu’un nouveau type de laboratoire de recherche en santé, l’association La Paillasse, un laboratoire de recherche ouvert à tous. Les laboratoires Roche, une des plus importantes entreprises pharmaceutiques en terme de chiffre d’affaires, ont été intéressés par le projet car ils souhaitent évaluer comment l’analyse de 232 données massives et de sources hétérogènes pourrait être un catalyseur pour une nouvelle médecine plus préventive et personnalisée1. Alors que Roche est coutumier de la mise en place d’enquêtes épidémiologiques (voir par exemple l’étude ObEpi en 20122), les experts internes sont confrontés à une double contrainte par rapport aux méthodes statistiques conventionnelles. Premièrement, les équipes de laboratoire ne sont pas expertes des méthodes d’analyses basées sur l’intelligence artificielle. Ces méthodes sont relativement récentes, et les spécialistes n’ont pas reçu de formations spécifiques. Deuxièmement, la méthode scientifique à mettre en œuvre diffère des méthodes statistiques conventionnelles. Alors que la collecte de données est directement liée à une hypothèse prédéterminée, l’épidémiologie data-driven cherche à interroger une base de données déjà collectée avant que l’hypothèse ne soit définie. Ensuite, la Paillasse est d’abord un lieu physique qui recycle des instruments scientifiques dont les laboratoires se débarrassent pour un deuxième usage. Ce lieu permet à toute personne intéressée de mener des actions afin d’amorcer ou d’accélérer des projets scientifiques, entrepreneuriaux ou artistiques3. En plus de ses activités, La Paillasse regroupe un ensemble d’acteurs, souvent passionnés par la recherche et qui militent pour une science plus ouverte. Cette collaboration avec un laboratoire communautaire et ouvert n’est pas évidente pour un grand groupe pharmaceutique comme Roche. Au-delà des différences organisationnelles, cette collaboration met en avant des postures idéologiques sur la science très éloignées et parfois contradictoires. Pourtant, le projet a suscité un fort engouement au sein des laboratoires Roche avec la participation de plus d’une cinquantaine d’employés : un groupe projet dédié de 10 personnes, 24 ambassadeurs, et plus de 20 collaborateurs impliqués4. Les laboratoires Roche fournissent un financement, une expertise et ouvrent une partie de leurs données, tandis que la Paillasse fait profiter de sa culture de la science ouverte, l’accès à une communauté de scientifiques sensibles à l’ouverture des sciences ainsi que des locaux. Pour assurer l’unité et une forme d’indépendance, la collaboration entre Roche, La Paillasse et les initiateurs du projet ont créé ensemble en 2015 le projet Epidemium5, conçu comme une structure destinée à la recherche scientifique et consacrée à la compréhension et à l’épidémiologie du cancer. Le but du projet est de réunir l’ensemble des données rendues disponibles relatives aux potentiels facteurs de risque liés au cancer et de développer des projets à visée scientifique à partir de leur exploration et de leur exploitation. Les participants sont incités à explorer les bases de données pour construire des hypothèses scientifiques et des méthodes d’évaluation de ces hypothèses. Le principe d’Epidemium suit les caractéristiques propres aux projets de science ouverte. D’abord une ouverture des résultats intermédiaires, en rendant disponibles des bases de données scientifiques ainsi qu’un ensemble d’outils pour faciliter leur analyse.

COMPILATION DE DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES

La première étape d’Epidemium a consisté à collecter toutes les données ouvertes disponibles relatives à l’épidémiologie du cancer et les traiter pour les rendre plus facilement exploitables. Les données collectées ont été globalement divisées en deux types : les données sur la mortalité et l ‘incidence du cancer, et les données sur les facteurs de risque potentiels. Un ensemble de données a été compilé sur l’incidence et la mortalité du cancer à partir des bases de données disponibles sur les sites de l’OCDE et de l’Organisation Mondiale de la Santé6. L’OCDE fournit des jeux de données ouverts sur la mortalité du cancer sur la période 1960-2012 en fonction du pays, du type de cancer et du sexe. L’Organisation Mondiale de la Santé fournit des jeux de données à la fois sur la mortalité et sur l’incidence du cancer. Les jeux de données sur la mortalité du cancer concerne la période 1950-2012 et ceux sur la mortalité du cancer la période 1953-2007. Ils sont classés par pays, type de cancer, tranche d’âge et par sexe. Un jeu de données spécifique sur l’incidence des cancers en France sur une période 2009-2012 est également disponible avec un classement par région et par type de cancer. Les organisateurs ont également collecté des bases de données sur des facteurs de risque potentiels pouvant être corrélés à la mortalité et à l’incidence du cancer. La base de données la plus complète disponible concerne les jeux de données concernant la répartition des infections sexuellement transmissibles (VIH, Syphilis, tuberculose, hépatites,…) en particulier aux EtatsUnis. Ces bases de données concernent globalement la période 1990-2011 mais celle-ci varie suivant la maladie. La plateforme Epidemium a également collecté un ensemble de jeux de données sur des informations très générales, et dont l’exploration peut potentiellement mener à la découverte de facteurs de risque, ou au moins au classement des facteurs de risque suivant leur ordre d’importance. Ces données sont cataloguées suivant des thématiques : • Démographique : âge, population, taux de suicide, taux de mortalité et de fécondité, nombre d’enfants par femme,… • Environnemental : émission de CO2 et de GES, pourcentage de terres agricoles, biomasse en forêt,… (issues notamment du site de la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) • Travail : emploi et condition de travail, revenus, chômage, temps de travail, scolarisation,… • Economique : croissance, PIB par habitant, score démocratique,

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ORGANISATION DU PROGRAMME EPIDEMIUM

Epidemium est dirigé par une équipe de 6 personnes, des experts en science ouverte et en gestion communautaire ainsi qu’un chef de clinique en épidémiologie. Tout autour de cette équipe centrale que constitue le cœur d’Epidemium, plusieurs structures ont été développées correspondant chacune à des fonctions précises au cœur du projet (voir figure 47). L’équipe organisatrice est en lien très étroit avec l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (APHP) et donc avec des acteurs de la santé potentiellement intéressés par la démarche d’ouverture. En effet, un nombre certes restreint mais grandissant d’acteurs au sein du domaine médical militent pour une plus grande ouverture de la science et se retrouvent dans les valeurs défendues par le projet Epidemium. Différents partenariats sont initiés avec des spécialistes issus d’institutions publiques reconnues dans le domaine du cancer tel que l’Institut Curie, Gustave Roussy ainsi que le centre de recherche sur le cancer CLARA à Lyon. Cette communauté de spécialiste est indispensable pour asseoir une certaine crédibilité mais également pour fournir l’expertise scientifique essentielle à la bonne réussite des projets. L’équipe organisatrice a également constitué deux comités de spécialistes pour évaluer de façon indépendante les projets. Le premier est un comité scientifique dont l’objectif est de « garantir la qualité des outils et connaissances mis à disposition des participants au Challenge, définir une grille de critères d’évaluation des projets, valider d’éventuelles publications, identifier les applications des projets au terme du challenge, enfin, il doit participer à la rédaction d’un cadre méthodologique. »7. En pratique son rôle est de s’assurer que les méthodologies employées par les participants durant le processus sont cohérentes vis-à-vis des exigences scientifiques. Ce comité 7 http://wiki.epidemium.cc/wiki/Comité_scientifique 235 intervient trois fois durant la réalisation des projets par les participants. Une première fois au début pour s’accorder sur les critères d’observation des projets des participants. Une deuxième fois au milieu de projet pour évaluer l’avancement des projets et permettre un retour d’experts. Enfin une troisième fois à la fin pour évaluer le projet. Le comité est constitué de 9 personnes avec en proportion équivalente des experts en oncologie et des spécialistes de l’analyse de données. Figure 47. Organisation d’Epidemium. Le deuxième est un comité éthique, fondamental dans toute démarche de santé publique8. De nombreux enjeux concernent les données médicales comme la privatisation, le consentement à l’usage des données personnelles ou les risques de sur-diagnostics qui doivent être pilotés d’une point de vue éthique. La garantie de l’anonymisation est d’autant plus complexe à gérer avec des jeux de données ouverts. Le comité a en charge principalement d’évaluer si les pratiques mises en œuvre relatives aux données utilisées respectent les règles relatives à toute analyse médicale. Les membres du comité ont ainsi mis en place une charte éthique, qui précise le bon comportement à avoir par rapport aux données rendues accessibles. Ils sont également garants de la conformité éthique des projets vis-à-vis de cette charte. Le comité est constitué de 10 membres d’origines variées : chercheurs en Big Data, directrice d’association de patients, avocat, ou encore mathématicien (en l’occurrence Cédric Villani, médaille Fields 2010 en mathématiques).

DISPOSITIFS ET OUTILS DE GESTION AU SEIN DU PROGRAMME EPIDEMIUM

Les organisateurs du programme Epidemium ont mis en place deux challenges successifs, appelés   participants se sont généralement regroupés en équipe pour travailler sur une période de six mois pour formuler des hypothèses de recherche à partir des bases de données rendues disponibles par Epidemium. Notre analyse porte sur l’étude de ces challenges, afin d’en inférer les bons principes et d’en déduire un modèle de gestion approprié. Ce modèle a pour ambition de fournir un ensemble de critères et de règles dans le cadre d’une systématisation de l’ouverture des tâches couplées inventives que nous avons suggérée dans notre revue de littérature. Nous présentons dans cette section le programme Epidemium tel qu’il a été conçu avant le premier challenge. Cette présentation de l’organisation d’Epidemium et de sa gouvernance est réalisée au prisme des outils et des dispositifs de gestion qui ont été mis en œuvre. Au-delà de leur fonctionnalité technique, les outils de gestion peuvent être un moyen d’analyser un système de gestion. En plus d’avoir un rôle de médiation dans l’organisation, les outils de gestion constituent une forme privilégiée d’intervention pour construire de nouvelles capacités d’action, mais également un formidable appareil pour observer les transformations dans les organisations (Aggeri & Labatut, 2010). 

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